11 novembre 1940

Dans le sixième arrondissement de Paris, à l’angle du boulevard Raspail et de la rue du Cherche-Midi, on peut lire la plaque commémorative suivante :

« Les jours précédant le 11 novembre 1940, des tracts ont circulé dans les lycées parisiens, notamment à Janson de Sailly, Carnot, Condorcet, Buffon, Chaptal et Henri IV, ainsi qu’à la Corpo de Droit, dans le Quartier latin, appelant à manifester le jour de l’Armistice, à 17 h 30.
Le 10 novembre 1940, plusieurs journaux parisiens publient un communiqué de la préfecture de police stipulant que : « Les administrations publiques et les entreprises privées travailleront normalement le 11 novembre à Paris et dans le département de la Seine. Les cérémonies commémoratives n’auront pas lieu. Aucune démonstration publique ne sera tolérée ».
Des instructions très fermes ont été transmises aux inspecteurs d’Académie et aux chefs d’établissement : les cours ne doivent pas être interrompus et la traditionnelle commémoration devant le monument aux morts de chaque établissement devra se dérouler en présence des seuls professeurs. Le matin du 11, des inspecteurs de police visitent les lycées parisiens, ne constatant rien d’anormal. Mais à partir de 16 heures, à la sortie des cours, une majorité de jeunes, mais aussi des enseignants, des parents d’élèves, des anciens combattant, commencèrent à confluer vers les Champs Elysées. D’abord silencieuse, la manifestation laisse bientôt échapper des acclamations faisant référence au général de Gaulle, et quelques drapeaux tricolores feront aussi leur apparition.
La répression par la Wehrmacht commencera à 18 h 00. Il y eut une centaine d’arrestations, dont 90 lycéens et quelques blessés. Au total, environ 2500 jeunes gens ont participé à ce qui fut l’une des premières manifestations collectives de résistance à l’occupant. »

Avant de revenir sur ce 11 novembre 1940, décrivons l’ambiance parisienne de l’époque pour que nos jeunes lecteurs (ceux de moins de 60 ans) se rendent compte que l’Internet n’existait pas et que cette manifestation n’était pas une promenade de santé.

Cinq mois seulement séparent cet événement de juin 1940 et de l’appel du Général de Gaulle, alors que les troupes de la Wehrmacht, uniformes impeccables, véhicules propres, font leur entrée dans Paris déclarée ville ouverte et vidée de sa population par l’« exode ». Les rares badauds regardent en silence cette « parade ». Tout est bien ordonné. Aux carrefours, des agents de police français règlent la circulation et les files de voitures allemandes s’arrêtent sagement au signal du policier ; ça paraît surréaliste.

Les Parisiens sont pantois. Pas de résistance acharnée, pas de combats de rues, pas de soldats en furie. Des gens murmurent : « ils ne sont pas aussi méchants qu’on nous l’a fait croire ». En fin de matinée, les soldats allemands semblent avoir quartier libre. Ils attendent sagement leur tour devant les voiturettes des marchands de quatre saisons, paient les fruits en Reichsmarks, se font photographier avec un régime entier de bananes qu’ils viennent d’acheter.

Pour celui qui ignorerait dans quelles circonstances ils sont arrivés jusqu’à Paris, ils apparaissent non pas comme des envahisseurs mais comme des touristes. Des affiches sont placardées sur les murs, montrant un soldat allemand souriant et beau comme un dieu qui porte d’un bras une fillette blonde et une valise de l’autre pour aider une jeune maman portant un autre enfant et qui rentre chez elle après avoir tenté de fuir Paris. « Ils ne sont pas si méchants », dit la légende de cette affiche. Les Parisiens sont hébétés, abasourdis par notre incroyable défaite.

Dans les mois qui suivent, la plupart des Parisiens qui avaient fui reviennent. Les commerçants rouvrent leurs boutiques. Celles des Juifs doivent prévenir par une affichette que c’est une « maison juive ». Les vacances scolaires terminées, les écoles et lycées reprennent leurs cours. Beaucoup d’hommes de 20 à 40 ans sont absents, prisonniers de guerre pour la plupart. Nul ne songe encore à résister et peu de gens ont entendu le fameux appel du Général de Gaulle qui est encore un inconnu. La « pensée unique », le « politiquement correct » de l’époque passent beaucoup mieux, sans difficulté puisque Radio Paris et autres émetteurs sont contrôlés par les occupants. Les discours du maréchal Pétain annoncent sur les ondes la défaite, l’armistice puis la collaboration. Le principal souci des gens, c’est de savoir comment s’adapter à la nouvelle situation.

Il faut savoir et comprendre tout cela pour apprécier le courage et la spontanéité des 2500 manifestants du 11 novembre 1940 à l’Arc de Triomphe.

Je ne vous raconterai pas toute la genèse clandestine de ce jour historique. Des livres entiers et hélas méconnus lui sont consacrés. J’ai trouvé des références sur Internet, je ne peux toutes les citer non plus : comme vous êtes des internautes émancipés qui pensez par vous-mêmes, faites le test suivant : tapez « “11 novembre 1940” » (avec les guillemets) sur un moteur de recherche, et vous aurez une liste de milliers de pages qui parlent de cette manifestation parisienne, et aussi des mouvements spontanés en province.

Les liens conduisent à des sites plutôt à droite et d’autres plutôt gauche, vers des sites gaullistes, et même vers des articles de l’Humanité (celle des années 2000, pas celle de 1940 !) en passant par des sites officiels des ministères de la Défense ou des Anciens Combattants. Vous y trouverez les tracts manuscrits de l’époque, et aussi les photos, les noms, les origines, les courants de pensée, les appartenances politiques, religieuses ou philosophiques de quelques-uns de ces 2500 manifestants, dont une partie continua la Résistance au nazisme. Certains d’entre eux moururent au combat ou sous la barbarie, ou furent fusillés avec ou sans procès sommaires que la propagande officielle s’empressait de faire accepter.

A l’Arc de Triomphe, ce 11 novembre 1940, il y avait donc des lycéens et des lycéennes de « Janson de Sailly » et d’« Henry IV ». Ce devaient être de bons « cathos » des quartiers chics, certainement « villiéro-compatibles » comme on dit aujourd’hui. Il y avait aussi des gens des classes populaires, des « quartiers » selon l’expression elliptique moderne, et même de rares communistes qui bravaient les consignes collaboratrices de leur parti officieux, car le pacte germano-soviétique était de rigueur en ce 11 novembre 1940. La suite des événements nous confirme que les Résistants étaient de tous bords ou d’aucun, même si certains histrions tentent aujourd’hui de réécrire l’Histoire.

A l’inverse, il y avait des « collabos » de tous les partis. Il y avait ceux qui appelaient l’« ouvrier français » à « fraterniser avec le soldat allemand » dans un grand élan prolétarien. Il y avait des bourgeois catholiques qui ne rataient aucune messe du dimanche, et qui dénonçaient ou spoliaient des Juifs alors que d’autres coreligionnaires les cachaient. Il y avait des socialistes qui ont voté les pleins pouvoirs à Pétain ou qui profitèrent de l’occasion pour grappiller le patrimoine immobilier de la SFIO. Il y avait les fascistes français d’avant-guerre, qui n’eurent pas d’efforts à faire pour s’adapter.

Il y avait encore pire parmi tous ceux-là, et de tous bords là encore : ceux qui s’engagèrent dans la milice au service de la Gestapo et des S.S. Leurs troupes comportaient des Lacombe Lucien, mais leurs chefs étaient de redoutables manipulateurs de foules. De tels retournements de vestes rouges ou brunes passaient par de longs discours idéologiques tordus, qui expliquaient par exemple qu’Hitler allait construire l’Europe nouvelle débarrassée des « races impures » et des déviants, ou qui récupéraient à leur compte les progrès sociaux de l’Allemagne… d’avant le IIIème Reich.

Les manifestants du 11 novembre 1940 ont agi en dehors de toute propagande officielle ou officieuse. Des « cathos » et ces « cocos », ce jour-là et les années suivantes n’ont écouté que leur cœur et leur bon sens, au lieu de palabrer et de philosopher pour justifier l’injustifiable. Et pourtant certains d’entre eux étaient très érudits, tandis que d’autres étaient autodidactes ou « ouvriers et paysans », comme le dit le Chant des Partisans. Ils ont répondu aux appels clandestins, qu’ils soient « Français de souche » ou immigrés polonais, arméniens, italiens, Juifs français ou « issus de l’immigration » de première ou de n-ième « génération », musulmans de la Mosquée de Paris, « Corpo de Droit » et de droite, etc. (J’abrège la liste, que ceux qui ont été oubliés me pardonnent. Mentionnons aussi le premier fusillé pour fait de Résistance, dès le 19 juin 1940, ainsi que le premier réseau, dans le Béarn.)

Il est curieux qu’à notre époque où le « devoir de mémoire » devient politiquement sélectif et paradoxalement « pluriel » ethniquement et culturellement, nous ne célébrons quasiment pas, à gauche comme à droite, les premières grandes manifestations publiques de la Résistance que furent celles du 11 novembre 1940. Les uns ont-ils peur de se faire traiter de « gauchistes » ou d’« anti-français » ? Les autres craignent-ils d’être accusé d’être « villiéristes », ou de s’allier à l’« extrême droite catholique » ? Craignent-ils tous des procès en blasphème pour oser rétablir des vérités historiques qui vont à l’encontre de telle ou telle pensée unique ? Ont-ils peurs de se faire traiter de manipulés ou de manipulateurs ?

Les vrais esprits libres n’ont cure de toutes ces réductions idéologiques, de tous ces discours indigestes qui inventent des néologismes pour cacher le fait de ne rien faire, de ne pas agir, tout en jouant la comédie du faux politiquement incorrect en multipliant les « oui mais » et les « ni ni ».

La diversité de ces militants, de ces manifestants du 11 novembre 1940, nous la retrouvons à la pointe du combat contre ce que nos amis algériens et iraniens appellent « le IIIème totalitarisme ». Je ne jouerai pas sur les mots, je n’entrerai pas dans les discussions exégétiques ou hagiographiques ; je désignerai ce totalitarisme par un mot sur lequel nous pouvons tous nous entendre : l’islamisme.

Ces Algériens, ces Iraniens, et bien d’autres, nous ont prévenus mille fois : l’offensive du voile islamique, tout comme l’apartheid alimentaire dans les cantines scolaires et autres attaques contre la laïcité et la République, sont l’avant-garde de cet islamisme depuis les années 1980 et 1990. Partout où règne ou veut régner la charia, celle-ci s’accompagne du voile militant et de la militance pour le voile, puis de l’imposition du voile, symbole du machisme et de la différenciation des « bonnes » musulmanes.

Evidemment, pour ne pas affronter le danger, on peut toujours trouver des excuses et des boucs émissaires.

A gauche, on insiste sur le côté social, sur les « ghettos » de banlieue. C’est vrai que les islamistes recrutent à tour de bras, dans les bidonvilles du Maroc, dans les cités du 93 ou dans les quartiers nord de Marseille. Mais c’est vrai aussi que les prosélytes de la charia et du jihad habitent aussi dans les quartiers bourgeois et les centres-villes commerciaux. Ils peuvent exercer des professions libérales et même être médecins. Ils fleurissent également dans nos campagnes, achetant des hameaux entiers en France. Les enquêtes sur les réseaux islamistes comme sur les attentats récents en Europe ou au Maghreb montrent que l’argument social ne suffit donc pas à expliquer ce phénomène récent qu’est l’islamisme contemporain et son corollaire : la multiplication de nouveaux voiles plus ou moins intégraux et intégristes.

A droite, on dénonce l’immigration incontrôlée. C’est vrai que les islamistes recrutent plus facilement dans la population d’origine musulmane, en lui rappelant ses « origines », en instrumentalisant l’histoire au travers de l’ineptie sémantique des « Indigènes de la République ». Mais c’est vrai aussi que cette population immigrée, de première ou de n-ième génération, est la première victime des intimidations d’islamistes très minoritaires parmi elle ou de « Français de souche » convertis. Heureusement, c’est aussi dans cette même population qu’on trouve une avant-garde de la résistance au IIIème totalitarisme, des hommes et des femmes qui risquent leur vie partout dans le monde pour leur « apostasie » réelle ou supposée ou pour leur opposition aux « barbus » et à leur charia.

Ces vrais résistants à l’islamisme prennent des risques car ils considèrent que la démocratie et la laïcité ne sont pas négociables et ils agissent malgré les intimidations et les menaces de mort, tout comme leurs camarades d’origine occidentale ou asiatique, sans chercher des excuses et des boucs émissaires. Leur combat commun ne se laisse récupérer par aucun courant idéologique de gauche ou de droite, par aucun monopole du cœur, par aucune explication vaseuse et partisane.

La diversité de cette avant-garde contre les chariatistes et les jihadistes, elle se retrouve face à l’avant-garde de l’islamisme qu’est le prosélytisme militant pour le voile, le refus du droit de caricaturer Mahomet et de critiquer les textes et les hagiographies qui servent de bréviaires aux islamistes. « Cathos » et « cocos », ségoléno-compatibles et pro-sarkozistes, laïcs ou républicains des deux rives, se côtoyaient dans le même soutien lors des procès de Louis Chagnon, de Charlie-Hebdo et de Fanny Truchelut. Ils se côtoyaient dans une manifestation toulousaine en faveur de Robert Redeker et dans un rassemblement lyonnais contre les prêches sexistes d’Hani Ramadan. Les mêmes résistants à l’islamisme, qui ne se cachent pas derrière des « oui mais » et des « ni ni », intellectuels ou manuels de gauche, de droite ou apolitiques, « Français de souche » ou de racines extérieures, Européens ou Maghrébins, signent la pétition « Halte au voile » ([www.halteauvoile.fr->www.halteauvoile.fr])

Ces esprits libres n’ont pas besoin de longues emphases infatuées sur la « laïcité » et le « féminisme » pour agir et réagir. Quelques-uns de leurs aînés n’ont pas eu besoin de leçons de « démocratie » et de « République » pour oser défier l’occupant nazi dès le 11 novembre 1940. Ce jour initiait publiquement la fin de la résignation prêchée par le maréchal Pétain dans ses appels radiodiffusés.

image_pdfimage_print