Carnet d’un voyageur zoulou dans les banlieues en feu, de Pierre Jourde

En guise d’avertissement, ce livre nous est présenté comme un petit guide à l’usage du voyageur désireux de mieux connaître les mœurs de certaines tribus habitant la périphérie des grandes agglomérations Nubiennes.
La Nubie est une République laïque située sur les bords du Nil où « il y a ce qu’il faut penser et ce qu’on ne peut pas dire ».

L’auteur, qui a fait un travail de recherche pour compléter son expérience de terrain, déclare d’emblée qu’il ne se fait pas d’illusions sur la manière dont son ouvrage sera jugé, d’autant plus qu’en Nubie le mot « réactionnaire », fréquemment usité, tient lieu de verdict et permet, une fois prononcé, d’évincer toute discussion.
A la lecture de ce récit pittoresque nous ne pouvons qu’être fortement intrigués par les us et coutumes d’une partie de la population nubienne issue de l’immigration Belge, venue de Flandre et de Wallonie. Les évènements relatés dans ce guide n’ont rien d’imaginaires, ce sont des faits d’actualité se déroulant dans un pays démocratique où l’information ne connaît aucun arbitrage idéologique. La vision qu’en a le voyageur zoulou nous rappelle toutefois qu’il est toujours bon de s’interroger sur sa propre interprétation des réalités de ce monde.

Imprégnés d’une forte tradition catholique, les Belges, en Nubie depuis trois générations, se heurtent à un certain nombre de problèmes qui rendent de plus en plus difficile la réussite de leur intégration et celle des générations futures.
Parmi ces problèmes il en est un de taille que les autorités Nubiennes font semblant d’ignorer c’est le problème du « jeune Belge ». Ce dernier est rarement qualifié de « Belge » car en Nubie l’emploi de ce mot, comme l’utilisation d’autres expressions taboues, est fortement déconseillé sous peine d’ennuis graves, y compris avec la justice. Dans ce pays, où il vaut mieux surveiller son vocabulaire, on dit tout simplement « une bande de jeunes » voire « des jeunes des quartiers sensibles », formule forte appréciée des journalistes mais qui laisse à penser, au voyageur zoulou, qu’habiter dans un de ces quartiers pleins de sensibilité pousse irrémédiablement à des actes déplacés du genre agressions verbales ou physiques, viols, meurtres ou incendies de poubelles ou de voitures.
Il faut savoir qu’en Nubie, il est admis que la jeunesse et la sensibilité du lieu d’habitation peuvent pousser au crime. Mais pas la « belgitude ». Etre Belge (et jeune mâle de surcroît) rend victime et transforme tout acte délictueux ou comportement violent en expression de souffrance, en appel de détresse, en geste de désespoir, en réaction de révolte revendicative contre une société qui exclut et discrimine.

Le voyageur est invité à visiter les cités des grandes villes nubiennes, ces « territoires invisibles » où les jeunes passent leur temps à « tenir les murs ». Les bâtiments austères, dégradés en permanence par les jeunes désoeuvrés en signe de protestation, sont aussi habités par des travailleurs aux revenus modestes, d’origine Belge pour la plupart, qui se sont adaptés aux codes spécifiques des lieux pour le bien être général. Dans ces quartiers, on vit dans la joie et la bonne humeur. Les braves gens circulent en toute tranquillité, sans sac à main, sans argent, sans portable, sans un mot et sans porter le regard plus loin que le bout de leurs pieds. Ils partagent volontiers les soirées d’animation culturelle organisées en plein air par les jeunes amateurs de nouvelle musique appelée « bourrée belge », ou encore les prestations artistiques rituelles « sons et lumières » avec feu de véhicules et caillassage de pompiers.

Le voyageur, friand de découvertes insolites, doit savoir que beaucoup de jeunes issus de l’immigration Belge sont très catholiques. Il est donc tout à fait normal de voir les femmes porter des grandes chaussettes de laine car cette religion leur interdit de montrer leurs chevilles. Elles portent aussi des jupes plissées bleu marine que certaines se plaisent à rallonger sur les chaussettes à triple épaisseur, histoire d’être mieux considérées et d’échapper aux regards des hommes incapables de réprimer leurs pulsions sexuelles à la vue d’une cheville dénudée. Des intellectuels nubiens, spécialistes des libertés individuelles, expliquent qu’il faut respecter les pratiques culturelles même quand elles vont à l’encontre de l’évolution de la condition humaine. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que les jeunes filles nubiennes qui montrent leurs chevilles soient traitées de putains par les garçons belges sans que cela dérange et que les femmes belges pas assez couvertes, ou sortant seules, soient réprimandée, punies, enfermées, violées ou contraintes de porter des chaussettes de laine triple épaisseur.

Il n’est pas étonnant, non plus, que les symboles de la République, l’école et les institutions nubiennes en générales soient l’objet d’attaques répétées de la part des jeunes belges. Ils n’ont d’autres formes d’expression que la pulsion violente de leur désespérance.
Bien sûr, comme personne ne les écoute, personne ne peut les comprendre ! Ce qui leur manque c’est le dialogue avec un grand D. Car la parole résout les conflits, les sociologues nubiens le savent et ne cessent de le répéter. Quand les enseignants dialogueront avec les jeunes, quand les éducateurs dialogueront avec les jeunes, quand les policiers dialogueront avec les jeunes, que les hommes politiques dialogueront avec les jeunes, le problème des jeune Belges sera réglé. Il faut que tout le monde s’y mette de bon coeur ! Que toute la population nubienne rentre en discussions ! Place aux grandes palabres, aux franches camaraderies, aux conversations sympathiques, à la communication de proximité ! Le tutoiement et quelques bourrades viriles, ça ne fait de mal à personne. Après quoi, le jeune pourra retrouver sa bande, les lois de sa bande, les valeurs de sa bande et son territoire invisible. On dira alors que tout va bien et que la Nubie a résolu ses problèmes de banlieues…mais seulement pour un certain temps.

Car Pierre Jourde n’en reste pas là. En guise de conclusion, il rassure le voyageur qui aurait raté les grands incendies rituels de l’automne 2005. « Il n’y a pas d’inquiétude à avoir, dit il, compte tenu de l’inertie des Nubiens et de l’attachement de ce peuple à ses vieilles coutumes, il est fort probable que d’autres fêtes se préparent, plus belles encore. ».

« Carnets d’un voyageur zoulou dans les banlieues en feu » est un petit régal d’humour satyrique, un pamphlet sociologique sans prétention et politiquement incorrect qui encourage à la clairvoyance. Vous ne trouverez sans doute pas ce livre en tête de gondole des rayons des Fnac. Vous n’en verrez sans doute aucune critique favorable dans Le Monde ou dans Libération. Il est possible même que son auteur soit vilipendé et traité de raciste. Car comme l’explique Pierre Jourde : « il existe en Nubie des mots rituels qui servent à jeter l’anathème sur toute personne qui ne suit pas la droite ligne »…le mot « raciste » en est un. Il est bon parfois de prendre la tangente. Alors mettez vous dans la peau d’un zoulou le temps d’un voyage, une visite éclair dans les banlieues nubiennes de cent six pages exactement.
aux éditions Gallimard (2007)

Brigitte Bré Bayle

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