Le Traité de Lisbonne va-t-il changer nos vies ?

Depuis 2005, les partisans du défunt T.E.C.E. (Traité Etablissant une Constitution pour l’Europe) nous jurent que les Français et les Néerlandais, avec leur non outrecuidant, ont mis l’Europe en panne, faute d’un plan B. Il est donc intéressant de voir comment l’Union a fonctionné jusqu’à présent – si elle a fonctionné – et ce qui va changer avec le Traité en cours de ratification.
Quand on examine le texte, on se rend compte, sans aucun étonnement, que la mise en œuvre du Traité de Lisbonne va donner encore plus de pouvoirs à une Commission qui n’a de comptes à rendre à personne et à une Cour de Justice acquise au libéralisme et à la libre circulation des capitaux. Or, la construction européenne nécessiterait un AUTRE TRAITE plutôt que de donner à Bruxelles encore plus de moyens pour légitimer le dumping social ; en effet, le Traité de Lisbonne, comme le défunt T.E.C.E., ne font que graver dans le marbre, ad vitam aeternam, les principes de concurrence libre et non faussée, principe majeur de la construction européenne, comme deux exemples récents le montrent bien :
Affaire Laval : en décembre dernier, une entreprise lettone effectuant un chantier en Suède qui versait des salaires inférieurs aux conventions locales a gagné son procès devant la Cour de Justice européenne. En effet, n’ayant pu trouver de travailleur suédois à ses conditions, elle avait engagé des ouvriers lettons à moindre coût. Cela avait déclanché une grève du syndicat du bâtiment, qui avait abouti au blocage du chantier “letton” et à la faillite de la société lettone. Les magistrats de la Cour européenne ont estimé qu’il y avait eu préjudice au motif que le syndicat avait rendu “moins attrayante, voire plus difficile, l’exécution de travaux de construction sur le territoire suédois”, ce qui constitue “une restriction à la libre prestation des services “. Ainsi la directive Bolkestein fait-elle sa rentrée par la grande porte avec le principe du “pays d’origine” pourtant exclu lors de l’adoption de la directive …
Affaire Viking : deux syndicats finnois de marins avaient menacé de grève la compagnie finlandaise Viking Line qui avait décidé d’immatriculer un de ses ferries en Estonie, ce qui lui aurait permis d’engager des marins estoniens à moindre coût. L’affaire a été portée devant la Cour européenne de Justice, deux disposions des traités européens étant contradictoires dans l’affaire. L’une qui autorise la liberté d’établissement des entreprises dans toute l’U.E., l’autre qui reconnaît aux travailleurs le droit d’entreprendre des actions collectives pour défendre leurs droits. Dans son arrêt du 11 décembre, la Cour a jugé que la menace de grève des deux syndicats représentait une restriction du droit d’établissement de la société Viking Line (qui pavoise) mais a reconnu, néanmoins, qu’en général les actions collectives pouvaient être justifiées, si elles étaient destinées à protéger les emplois ou les conditions de travail des travailleurs et si tous les autres moyens pour résoudre le conflit avaient été épuisés. Bref, les choses ne sont pas claires et soumises à l’appréciation des juges, qui devront définir ce qu’est un “objectif légitime” …
Dans le même ordre d’idée, quand l’Etat français s’est engagé, en novembre, à accorder des allègements de charge et des compensations aux pêcheurs français, la Commission a immédiatement rappelé qu’une compensation qui représenterait une aide au fonctionnement ne serait pas compatible avec les règles communautaires …On verra également bientôt Bruxelles refuser à la France le droit d’utiliser sa clause de sauvegarde pour les O.G.M. Monsanto, n’en doutons pas … et Sarkozy s’en sortira, comme Pilate : “c’est pas ma faute, c’est Bruxelles qui ne veut pas de moratoire” Or, on ne voit pas Bruxelles qui, fin octobre, a autorisé trois nouveaux maïs OGM américains pour l’alimentation animale, lui donner raison.… L’art de nous faire passer des vessies pour des lanternes. Si on veut aider les pêcheurs, si on veut interdire les O.G.M. il ne faut pas ratifier le Traité de Lisbonne ; c’est simple mais imparable.
Il ressort de tout cela que Bruxelles, systématiquement, va encourager le dumping social et les délocalisations. En effet, l’ancienne partie III sera dans le nouveau traité, constitué de centaines de pages d’amendements aux traités actuels. Certes, la phrase sur la concurrence libre et non faussée ne figure plus comme objectif (à la demande de N.Sarkozy), dans le traité proprement dit, mais le “protocole n° 6″ affirme que le marché intérieur doit obéir à la concurrence non faussée : ” Le marché intérieur tel qu’il est défini à l’article [I-3] du traité sur l’Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée. ”
Alors il ne faut pas compter protéger nos industries devant les produits chinois fabriqués à moindre coût, d’autant plus que le Traité stipule clairement que le libre-échange est la norme et qu’il faut “réduire les barrières douanières ET AUTRES”. Ainsi, non contents de ne pouvoir freiner les importations massives, nous pouvons nous attendre à ce que nos acquis sociaux fassent partie des barrières à … supprimer !
D’autre part, chacun se rend bien compte que la libre circulation des capitaux est une des raisons des délocalisations ; les capitaux, à l’affût de taux de rentabilité toujours plus élevés, dictent leur loi et entraînent le déménagement des industries traditionnelles des pays à hauts salaires vers les pays à bas coûts, auquel nous assistons aujourd’hui. Or, l’article 57 du traité de Lisbonne stipule que seul le conseil Européen UNANIME peut créer une entrave à cette libre circulation ! Ce qui crée de facto l’impossibilité de remettre en question ce point capital pour nos économies.
Enfin, la B.C.E., en contradiction totale avec les arguments utilisés par N.Sarkozy pendant sa campagne, voit ses statuts et ses missions confirmées et confortées. Indépendance totale par rapport aux gouvernements nationaux, lutte contre l’inflation et non contre le chômage, soumission des Etats à ses diktats économiques, obligation de “faire avec” un euro fort qui pénalise nos exportations, interdiction de battre monnaie, ce qui revient à obliger l’Etat à emprunter à des sociétés privées l’argent dont nous avons besoin. En effet, depuis Maastricht, selon la règle qui sera gravée dans le marbre du Traité de Lisbonne, la création monétaire est exclusivement réservée aux banques privées. Un Etat ne peut plus battre monnaie. Qui sait que cette dette dont on nous rebat les oreilles n’est pas due aux déficits, aux fonctionnaires ni à la Sécurité Sociale mais aux intérêts cumulés que paie l’Etat depuis des années à des banques, des sociétés ou des individus qui se sont enrichis monstrueusement ? Et c’est une spirale infernale, puisque tout investissement entraîne emprunt… L’Etat vit à crédit, ce n’est pas une image, c’est la réalité imposée depuis Maastricht à l’Europe, sans pouvoir changer si le Traité de Lisbonne est ratifié.
D’ailleurs, la mort de nos services publics est programmée par le traité. Baptisés « services d’intérêt général » dans un protocole qui ne concerne en fait que les « services d’intérêt économique général » lesquels sont soumis aux règles de la concurrence. La liberté d’établissement et la liberté de circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services continuent de revêtir une importance capitale, comme le reconnaissent les auteurs du traité..
Quant à la laïcité, elle n’apparaît pas une seule fois alors que, au contraire, les religions ont retrouvé une place déterminante puisque l’héritage religieux est mentionné comme « source de la démocratie, de l’Etat de droit et des libertés fondamentales » (sic !) ; nous sommes ravis de voir que l’Inquisition, les chasses aux sorcières, les “directeurs de conscience”, l’appui délibéré de la religion catholique aux puissants sont source et de démocratie et de libertés fondamentale ! D’ailleurs, la “Charte des droits fondamentaux” non seulement ne présente aucun intérêt social, (y apparaît le “droit de travailler” -merci quand même !- ce qui est bien distinct du “droit au travail et à l’emploi “), mais elle donne à la Cour de Justice Européenne (C.J.E.) des pouvoirs exorbitants qui peuvent rendre caduques les lois nationales ; en effet, bien que il y ait un renvoi aux “pratiques et législations nationales” elle peut être saisie par quiconque estime que ses droits ont été violés, elle peut vérifier que les Etats ont bien adapté leur constitution et leurs lois au Traité et peut donc, il faut s’y attendre, être amenée à se prononcer sur la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école et même sur notre principe d’égalité. En effet, le Traité prône la non-discrimination alors que notre constitution a pour objectif l’égalité homme-femme. Le paradoxe de l’affaire c’est que la C.J.E peut être amenée à considérer que refuser des élèves voilées est de la discrimination, alors que, pour notre législation, il s’agit du respect d’égalité… Le Royaume-Uni et la Pologne ne s’y sont pas trompés, ils craignent bien, malgré l’exception dont ils font l’objet, que cette Charte ne devienne contraignante pour eux. Enfin, on peut très bien imaginer que la Cour Européenne de Justice soit amenée à juger de la légalité des grèves, préjudiciables à la liberté de l’économie et … amène les Etats à revenir sur le droit de grève !
Ultima, sed non minima, le nouveau traité subordonne la défense européenne à l’Otan et invite les Etats membres à améliorer progressivement leurs capacités militaires… Pas question de dépenser pour aider les entreprises ou, tout bonnement, les salariés, c’est-à-dire les hommes, à vivre, mais creuser le déficit en équipements militaires est vivement encouragé … L’U.E. prépare-t-elle en catimini la guerre ? Obéit-elle aux lobbies des fabricants d’armes ?
Ainsi, si nous reprenons la question posée au début de cet article, on ne peut que répondre, hélas, que le Traité de Lisbonne, non seulement ne va rien changer, (il est faux de prétendre que l’Europe était en panne, les exemples cités le prouvent ) ; il va, au contraire, aggraver le système actuel propre à voir disparaître emplois, industries, à voir se multiplier délocalisations, emplois précaires et à temps partiels, disparition des services publics, atteintes aux droits des travailleurs et aggravation des inégalités.. C’est-à-dire à une remise en question complète des principes de notre constitution nationale qui promeut (promouvait ?) égalité et fraternité. Les députés et sénateurs qui voteront en faveur du Traité de Lisbonne sont des vendus et des traîtres à la nation.
Christine Tasin
http://christinetasin.over-blog.fr

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