Le voile d’une religieuse est-il moins choquant que celui d’une islamiste ?

Si l’on se réfère aux termes du jugement qui condamne Fanny pour discrimination sur des bases religieuses et non pour des raisons racistes, il apparaît que la Cour nous a partiellement entendu(e)s – nous qui la soutenions – malgré ce que prétendaient les parties civiles MRAP, LICRA et LDH, par contre il est clair que nous n’avons pas été convaincantes sur le thème de la discrimination religieuse. Cela est sans doute dû aux réponses que nous avons données à une question particulière du président qui sans doute ne l’ont pas convaincu.

« Et si à la place d’une femme voilée musulmane vous aviez eu devant vous une religieuse catholique, est que vous auriez eu la même réaction ? ». Cette question le président du Tribunal Correctionnel d’Epinal l’a posée d’abord à Fanny Truchelut, alors que j’attendais dans la salle des témoins, puis à moi, après que j’eu terminé mon témoignage sur ce représente le voile.

Nos réponses ont été assez voisines. Fanny a dit : « Non, je n’aurais pas eu la même réaction car une religieuse est en quelque sorte une professionnelle ». Quant à moi, je ne me souviens plus de mes mots précis, mais j’ai dû dire : « Non, car une religieuse a fait le choix de se retirer du monde et de se consacrer à Dieu, et le port du voile dans ce cas n’a pas valeur de modèle pour l’ensemble des femmes ».

Donc nous n’avons pas été comprises. Voilà pourquoi il me semble important de revenir sur ces réponses.

Il faut d’abord affirmer sans détour que quelle que soit la femme qui porte un voile et quelle que soit sa religion, le voile correspond à une vision du rôle et du statut des femmes qui est en contradiction avec sa place et son statut dans une société démocratique c’est-à-dire mixte et égalitaire.

Le voile a représenté, avant même l’arrivée des religions monothéistes, une façon de dissimuler le corps des femmes considéré comme source de désordre. A la question « d’où vient cette histoire de voile ? », Mohamed Kacimi ( Tribune libre de Libération du 10 décembre 2003 et auteur de « La confession d’Abraham, L’Arbalète, 2001), répond qu’ il « s’agit d’une croyance sémitique très ancienne qui considérait la chevelure comme le reflet de la toison pubienne ! » Il est une forme de stigmatisation de la sexualité des femmes auquel leur corps est assimilé dans sa totalité.. Il ne faut pas oublier que la sexualité de « l’autre » fait toujours peur. De ce fait, la place assignée aux femmes est la maison. Lorsqu’elles se déplacent dans l’espace public elles doivent être invisibles car l’espace public appartient aux hommes
Le voile est donc doublement discriminatoire : il sépare les femmes des hommes et il sépare les femmes honnêtes des autres. Ainsi comme le rappelle Mohamed Kacimi dans cette même tribune libre de Libération,, le roi d’Assyrie Teglat Phalazar 1er, qui au XII éme siècle avant JC rend obligatoire le port du voile, stipule – ce qui est révélateur- que « les prostituées ne seront pas voilées » !

Le voile est « dérangeant » au sens fort du terme, en ce qu’il est le symbole de cette stigmatisation du corps des femmes. Stigmatisation qui dans l’histoire de l’humanité s’est traduite par un statut de second rang pour les femmes dont nous sortons à peine dans nos sociétés. . Cette peur de la sexualité des femmes est à l’origine de l’obsession de la virginité, de mariages forcés, de crimes d’honneur, de la lapidation des femmes adultères,

Alors pourquoi le voile de la religieuse, qui renvoie à ce même symbole, serait-il moins « dérangeant » que celui de la musulmane ? Est-ce parce que nous accepterions plus facilement ce qui vient de notre fond culturel chrétien que des musulmans ? Evidemment non ! Il y a en fait plusieurs réponses à cette question.

D’abord, comme je l’ai dit lors du procès parce, même si le symbole auquel renvoie le voile est le même, il n’éclabousse pas l’ensemble des femmes puisque celles qui le portent déclarent être entrées en religion -elles font d’ailleurs vœu de chasteté et sont symboliquement les épouses du fils de Dieu- et sont donc en dehors des normes du séculier.

Ensuite parce que ce voile, de même que les mantilles ou les foulards, que portaient dans les Eglises il n’y a pas si longtemps les femmes – cette fois-ci toutes les femmes et non pas seulement les religieuses- représentaient une marque de soumission à Dieu et non aux hommes. Il ne faut pas oublier que sauf exception elles ne les portaient pas dans la rue mais bien en pénétrant dans l’Eglise. On peut admettre, même si l’on est laïque, que des personnes croyantes veuillent marquer leur respect et leur soumission à l’égard de Dieu dans le lieu de culte. On peut regretter que cela se fasse par le bais d’un voile pour les femmes. On peut en tout cas se réjouir que cette pratique ait été abandonnée par la majorité des femmes mêmes dans des pays comme l’Espagne ’

Tel n’est pas le sens donné au port du voile par les femmes musulmanes qui le portent en outre en adoptant des modéles issus de traditions venant des pays du Golfe et non du Magrheb !. Il s’agit bien ici, comme ce fût le cas dans le passé de se conserver pour son mari, et de se séparer des autres hommes au point même de ne pas leur serrer la main et même de porter des gants et de se recouvrir le visage et parfois tout le corps. Cela va aussi dans les hôpitaux jusqu’à refuser d’être soignée par un médecin homme. A la différence de la pratique des mantilles tombée en désuétude, celle du voile islamique et de tout ce qui en découle, se développe à vue d’œil avec la volonté d’affirmer une vision de la femme pudique et modeste par comparaison avec la femme occidentale dépravée.

Alors là nous réagissons car le sens qui est donné au voile est celui qui a fait tant de mal aux femmes et à l’humanité dans son ensemble dans la passé : celui de la ségrégation entre les hommes et les femmes et, celui d’une subordination des femmes aux hommes. Il n’est que de rapprocher la situation des femmes des zones géographiques où le voile islamique persiste – ou se développe- pour tirer la conclusion que les femmes n’ont rien à gagner à prendre le voile !

Ce voile n’est pas un signe religieux , il est, et nous le savons tous, le porte drapeau de l’islamisme politique –modéré ou non, le mot modéré est déplacé car sur la question des femmes l’islamisme n’est jamais modéré- qui en fait un élément prioritaire de son programme.

Annie Sugier

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