Les prières de Ribery ont-elles leur place dans un stade ?

Les amateurs de football peuvent voir, lors des matches de l’équipe de France, un spectacle étonnant : avant le coup d’envoi, Franck Ribéry se livre ostensiblement à une longue prière, les paumes de la main vers le ciel. (1) Il paraît que cela ne devrait pas nous étonner. En effet, le quotidien algérien « Ech-Chorouk » du lundi 9 juin nous apprend que l’international, converti à l’islam, se fait maintenant appeler Bilal, tout comme son partenaire Eric Abidal. Le premier joueur international français converti à l’islam fut Nicolas Anelka, qui effectua, selon le quotidien algérien, le pèlerinage de La Mecque, il y a cinq ans.
Faut-il voir dans cette conversion la raison pour laquelle il fut l’un des rares joueurs de l’équipe de France de football à avoir échappé aux sifflets des spectateurs de Saint-Denis, lors du match France-Maroc, il y a quelques mois ? A cette occasion, on vit le public prendre fait et cause pour l’équipe visiteuse, siffler « La Marseillaise » et conspuer les joueurs de l’équipe de France, même ceux de couleur qui, comme Lilian Thuram (pourtant anti-sarkozyste), avaient le tort de ne pas être musulmans ? Il n’y a, à notre connaissance, que dans notre pays que l’hymne national fut sifflé, à deux reprises, lors de rencontres internationales, en 2001 contre l’Algérie et en 2007 contre le Maroc.
Il y a cinquante ans, en 1958, sous la direction de Raymond Kopa, fils de mineur polonais, l’équipe de France écrivait une page glorieuse de son histoire, en Suède, prenant la troisième place de la Coupe du monde. Il y a bientôt vingt-cinq ans, elle fut couronnée championne d’Europe avec pour capitaine un enfant d’Italiens, Michel Platini. Jamais des enfants de Polonais, ou d’Italiens, pays aux traditions catholiques solidement ancrées, ne se seraient permis, sur un stade de football – ou dans des écoles -, de vouloir imposer la religion de leurs parents. Zinedine Zidane, qui a mené l’équipe de France au titre mondial en 1998, n’a jamais, à ma connaissance, parlé de religion.
Ayant joué au football de 1970 à 1995 – à un niveau bien plus modeste, évidemment -, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu un joueur, dans mon équipe ou dans l’équipe adverse, faire une prière sur un stade de football, avant le coup d’envoi, ou lors d’un but marqué, ou même dans le vestiaire. J’ai pourtant joué de nombreuses années avec un pasteur évangélique tchadien, véritable force de la nature. Jamais, sur le terrain, il n’a eu la moindre attitude ambiguë quant à sa foi : il savait respecter ses partenaires, ses adversaires, le public, estimant que l’expression de sa croyance devait se dérouler ailleurs que dans un tel cadre.
Il est étonnant que personne, dans l’équipe de France, ne rappelle Ribéry à l’ordre. Que se passerait-il si un joueur catholique faisait, avant le match, sa prière de manière aussi visible ? Certes, quelques-uns font le signe de croix, de manière furtive, en entrant sur le terrain, ce qui est déjà moins irritant par la pudeur discrète dont le geste se pare. Mais lorsque le geste devient gestuelle, il porte atteinte à l’espace public, ce qui rend l’attitude de Ribéry plus que déplacée, surtout si l’on garde à l’esprit qu’un tel joueur porte le maillot d’un pays laïque et, ce faisant, le représente aux yeux de millions de spectateurs et téléspectateurs. Remarquons, par ailleurs, qu’aucun autre joueur, pas même dans les rangs turcs de l’actuel championnat d’Europe, ne se permet semblable prosélytisme religieux sur le terrain.

Mais la présence de l’islam dans le football peut avoir d’autres aspects. Une footballeuse voilée de 15 ans vient d’être sélectionnée dans l’équipe nationale danoise des moins de 16 ans. La Fédération danoise de football (DBU) a choisi Zenab El-Khatib en “raison de ses qualités de joueuse”. Pour elle, “l’important est de donner une chance aux filles et garçons talentueux de jouer au football dans nos clubs et dans l’équipe nationale sans tenir compte du milieu religieux dans lequel ils ont grandi”. Cette décision s’inscrit dans le contexte actuel de tolérance auquel on voudrait nous habituer en matière de port du voile, puisque celui-ci est autorisé au Danemark dans les écoles, sur les lieux de travail et au Parlement ! Seul celui des femmes juges vient d’être interdit en mai dernier, après une vive polémique au sein de la classe politique.
En athlétisme, il y a cinq ans, un athlète français, Mehdi Baala, avait pris l’habitude, après chaque épreuve, de faire sa prière, à genoux, sur la piste (2). Dans d’autres sports, l’islam essaie de trouver des ambassadeurs qui véhiculent son message. L’ancien champion du monde de judo Djamel Bouras (3) est aujourd’hui un militant politique religieux, soutien fidèle du Hamas et du Hezbollah, ce qui, manifestement, ne dérange pas François Bayrou, chez qui il milite.
Dans les années 1995, un jeune international de basket, Olivier Saint-Jean, se convertira à l’islam, et se fera appeler Tariq Abdul-Wahal. Interviewé en direct, lors du Journal de Vingt- Heures, il utilisera ses deux minutes d’antenne pour ne parler que de l’islam et pas du tout de basket !
Mais le sport doit-il être réservé aux hommes ? Annie Sugier, présidente du Comité Atlanta +, mène depuis plusieurs années une bataille exemplaire pour que la mixité des délégations – refusée par les seuls pays islamistes – soit appliquée, et que les sanctions contre les pays qui s’y opposent soient les mêmes que celles prises à l’encontre de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid (4).
Suite à l’affaire de Vigneux, où un maire UMP est prêt à céder un gymnase municipal pour un tournoi inter-mosquées féminins, avec cette particularité que l’accès doit en être rigoureusement interdite aux hommes, il serait vraiment temps que les fédérations rappellent que dans un pays laïque, la pratique du sport est un facteur d’intégration et non de démonstrations religieuses : pour ces dernières, des lieux de culte sont prévus !
Mais une fois encore faudrait-il que l’exemple vînt de haut ! Les idoles sportives ont une grande responsabilité, quant à leur attitude vis-à-vis de la jeunesse. Quand Zidane, oubliant les règles du jeu, frappe un adversaire d’un coup de tête en pleine poitrine, lors de la finale de la Coupe du monde, il donne un mauvais message à tous les gamins qui l’admirent. Quand Ribéry fait sa prière, avant le match, devant des millions de regards attentifs – voire fascinés -, il complique au-delà de toute raison la tâche de n’importe quel entraîneur face à un gamin qui voudra immanquablement faire de même.
Et puis, de vous à moi, par quel miracle une prière suffirait-elle pour gagner un match ? Comment se fait-il que le credo ribéryste ne soit pas parvenu à éviter notre récent échec face aux Pays-Bas ? S’adresser au ciel, c’est courir le risque d’oublier que le match a lieu sur terre, et que c’est sur terre, bien plus modestement, qu’il se gagne ou se perd !
Pierre Cassen
(1) http://fr.youtube.com/watch?v=bNUhwMEET9s&feature=user
(2) http://www.fairelejour.org/article.php3?id_article=343
(3) http://www.islamisation.fr/archive/2007/05/23/bayrou-investi-djamel-bouras-l-ami-du-hezbollah
(4) http://www.ripostelaique.com/2008-une-annee-en-or-pour-les.html

image_pdfimage_print