Marketing délicat sur le Ramadan, le halal et les « saveurs de l'Orient »

En cette période de Ramadan, je découvre un autre glissement sémantique, cette fois dans les supermarchés. Evidemment, depuis plusieurs années, ceux-ci affichent de plus en plus de rayons dans leurs magasins, et de pages dans leurs catalogues, destinés à la clientèle musulmane très consommatrice de denrées alimentaires en ce moment. Et cette année, on a même vu des spots publicitaires pour les plats cuisinés « Zakia Halal » sur les chaînes TF1 et M6. Mais à y bien regarder, tout en favorisant ce créneau, les publicitaires tentent d’en dissimuler l’aspect islamique.
Dans le spot « Zakia Halal », un couple poussant un caddie dit : « nous on mange halal, oui mais… Zakia Halal ». Une autre cliente dit « Zakia Halal, nous aussi », et puis des voix off ajoutent : « Nous aussi, moi aussi ». Et ça se termine par le slogan : « Et c’est un régal. Plats cuisinés Zakia Halal, toujours un régal ! » Les deux actrices ne sont pas voilées, et le spot ne fait aucune allusion à l’islam ou au Ramadan, à part le mot « halal » qui est seulement justifié par le couple qui dit « nous on mange halal », sans dire… pourquoi ils mangent halal. Or si on mange halal, c’est bien pour satisfaire un précepte islamique ! On veut ainsi faire passer un message à la communauté musulmane, sans effrayer les… « Français de souche » !

La même stratégie se retrouve dans les rayons et les pages de catalogues des supermarchés pour le Ramadan. Il y a quelques années, s’affichaient en gros la mention « Ramadan » ou « Spécial Ramadan ». Désormais, le mot « Ramadan » a disparu ou est écrit en tout petit chez Carrefour et Cora, qui préfèrent titrer ces rayons et ces pages « les saveurs d’Orient ». Leclerc, lui, dispose de deux catalogues au contenu parfaitement identiques… sauf la page de couverture : l’une titre « Spécial Ramadan » et l’autre « Les saveurs de l’Orient ». Le premier catalogue est distribué dans les quartiers dont la population est majoritairement musulmane, et l’autre dans les quartiers… « français de souche ».
Quant à Intermarché, il n’hésite pas à mettre dans son catalogue au milieu de ses pages « Saveur d’Orient » destinées au Ramadan, un lot de deux bouteilles de Sidi Brahim rouge ou rosé (un vin algérien) au milieu de plats halal, ainsi qu’une page entière consacrée à « la route des vins du Maghreb ». Des vins… bien peu halal !
Notons au passage que Carrefour a inventé, dans son catalogue pour le Ramadan, des « œufs halal » ! C’est une notion qui intrigue beaucoup les spécialistes sur les sites islamiques, puisque seule la viande est « halalisable » en islam. Des œufs seraient-ils halal parce que pondus par des poules voilées, ou égorgées au nom d’Allah au moment de la ponte, ou parce que le coq qui les a engendré est musulman ? Mystère !

Sur France 2, un gérant d’hypermarché expliquait à demi-mot la stratégie commerciale de ces opérations « spécial Ramadan », qui visent des objectifs contradictoires. D’une part attirer la clientèle musulmane forte consommatrice en ce mois de Ramadan. D’autre part, le remplacement du mot « Ramadan » par « saveur d’Orient » est destiné à attirer des clients non-musulmans qui désirent goûter des produits exotiques, tout en ne faisant pas fuir la ménagère de 50 ans « française de souche » à qui, sans doute, les mots « Ramadan » ou « islam » n’inspirent pas forcément la sympathie.
Voiles et Ramadan sont donc volontairement exclus de ces campagnes publicitaires, ce qui prouve que les spécialistes en marketing se livrent à un exercice difficile : faire du chiffre avec les musulmans et les amateurs de cuisine orientale, mais ne par rebuter une grande partie des Français qui ne portent guère la religion de Mahomet dans leur cœur. Et ce n’est pas l’affichage de burkas et de burkinis ou le harcèlement de mairie pour exiger des mosquées qui vont les faire changer d’avis, bien au contraire !
Djamila GERARD

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