Marseillaise : ah ! ce sang impur !

Certains messages parus dans le courrier des lecteurs (partie défavorable), en particulier du N° 64, m’inspirent la réflexion suivante.
Voilà, semble-t-il en priorité, le passage de la Marseillaise qui dérange tant nos bien-pensants de toutes sortes dignement drapés dans leur noble et néanmoins stéréotypé drapeau de bons sentiments :
“Qu’ un sang impur
Abreuve nos sillons”.
Voilà donc les vers par qui le scandale arrive. Ce n’est pas nouveau.
A ces merveilleux pacifistes et antiracistes, à ces gens si bons, je pourrais répondre par ce qu’on appelle « une réponse…de Normand » essayant de leur donner tort tout en leur donnant quand même un peu raison, dans le genre : « Certes, il vrai que…On ne peut nier en effet la signification un peu trop ceci, un peu trop cela, que je déplore comme vous naturellement, mais tout de même, peut-être pourrait-on considérer aussi que…etc. etc. »

Eh bien non ! Ma réponse sera beaucoup plus ferme, sans louvoiements ni contorsions d’aucune sorte : je ne trouve rien à redire à ces paroles. Sachant que, par cette déclaration sans ambiguïté, je m’expose immanquablement au risque d’être sur le champ traité de barbare sans doute sanguinaire et probablement raciste d’extrême droite, je m’explique.
Ce passage du refrain de la Marseillaise, comme d’ailleurs l’ensemble du chant, effectivement de guerre à l’origine (« Chant de guerre pour l’Armée du Rhin »[1] ) ne fait que défendre la France lorsqu’elle est attaquée, en l’occurrence, à l’époque de la création de ce chant, par des ennemis non seulement de notre pays mais aussi des valeurs issues du Siècle des Lumières que la France représente à cette époque[2]. La référence à la notion d’impureté du sang n’a pas la moindre connotation raciste ni xénophobe. C’est un contresens total que de l’interpréter ainsi. Est impur, dans la Marseillaise, ce qui menace notre patrie, notre liberté, notre République, pas seulement, d’ailleurs, la liberté des Français, mais la liberté en général. L’expression est à prendre dans un sens quasiment métaphorique : il ne s’agit pas d’une impureté biologique, voire ethnique, mais d’une impureté morale et politique.
Il est curieux que nos contempteurs indignés n’aient par contre aucun commentaire à exprimer sur les vers « Contre nous, de la tyrannie, L’étendard sanglant est levé » qui, bien que figurant aussi dans le refrain, semblent passer par profits et pertes alors que, néanmoins, ils donnent la clé des deux derniers vers : “Qu’un sang impur Abreuve nos sillons”… Il y a pourtant du tyran là-dedans, et même du tyran sanguinaire (ce qui est un pléonasme). Quant aux « féroces soldats » qui viennent « égorger vos fils, vos compagnes », sans doute sont-ils le fruit d’une imagination maladive de la part de l’auteur ? Il est vrai que les envahisseurs qui sont venus nous rendre visite par le passé l’ont toujours fait dans une intention pacifique et débonnaire.
Ce chant n’est pas un chant d’agression, mais un chant de défense, et de défense pas contre n’importe qui ni n’importe quoi : contre les tyrans quels qu’ils soient. Le « sang impur » est un symbole : celui des ennemis de la liberté et de l’émancipation humaine, celui de la tyrannie. Que la République Universelle s’installe, que la tyrannie disparaisse de la surface de la terre, et il n’y aura plus de sang impur.
Il s’agit aussi, bien sûr, de défendre la France, la Patrie. Mais précisément, la France, là encore, en tant que symbole universel, dans ce qu’elle a pu offrir de meilleur, au demeurant généralement reconnu, au Monde (même si elle n’y est évidemment pas toujours parvenue) : la liberté, l’égalité, la fraternité. L’impureté consiste à détruire ces valeurs-là. Il est permis de les détester : je laisse dès lors à ceux qui veulent “traîner les Lumières devant le tribunal de l’Histoire” la responsabilité de leur haine et de leurs intentions.
Certes aujourd’hui la France ne se trouve plus dans la situation militaire (Jemmapes, Wattignies…) qui était la sienne au moment de la création de ce qui allait devenir “La Marseillaise”. Elle était alors attaquée de tous côtés par tout ce que l’Europe comptait de réaction contre les idées véhiculées par les philosophes des Lumières. Il n’en demeure pas moins que le principe de défense de ces valeurs reste – plus que jamais, serais-je tenté de dire – d’actualité, si bien que le texte de la Marseillaise n’a pas vieilli et n’a pas la moindre “adaptation” à subir. Les menaces contre la liberté sont toujours là, peut-être sous d’autres formes, et même tendent à se renforcer. Pas plus aujourd’hui quen 1792, le “sang impur” n’est celui des peuples (et évidemment pas celui de l’équipe adverse! Allons, ressaisissez-vous!), mais celui des tyrans et de tous ceux qui attentent à la liberté, à l’humanisme, et répandent partout la haine et l’obscurantisme.
Voilà pourquoi je considère tout simplement qu’il n’y a pas un mot à changer aux paroles de notre hymne. Si certains sont incapables de comprendre les textes les plus élémentaires, qu’ils retournent à l’école de la République ! En espérant que les enseignants auront encore le droit de procéder à de saines explications de textes.
Yves PIALOT
[1] Le “Chant de guerre pour l’armée du Rhin” est devenu “La marseillaise” à la suite de la montée à Paris des fédérés marseillais en juillet 1792, qui, tout au long de leur expédition, n’ont cessé de chanter ce chant patriotique et libérateur. Ils l’ont encore chanté au cours de la journée insurrectionnelle au palais des Tuileries le 10 août 1792, où plusieurs d’entre eux ont laissé la vie.
[2] Pour éclairer quelques lanternes un peu défaillantes sur la véritable signification du combat exprimé dans la Marseillaise, voici quelques extraits moins connus que les vers tant incriminés, mais qui contribuent à les éclairer sans équivoque.
strophe IV : “Tremblez, tyrans, et vous perfides,
L’opprobre de tous les partis…”
strophe VI : “Liberté! liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs!”
strophe IX : “La France que l’Europe admire
A reconquis la Liberté
Et chaque citoyen respire
Sous les lois de l’Egalité;
Un jour son image chérie
S’étendra sur tout l’univers.
Peuples, vous briserez vos fers
Et vous aurez une patrie!”
et enfin pour clore le débat
strophe X : “Et le Français n’arme son bras
Que pour détruire l’esclavage…”
Tout est dit.
Si après cela, les détracteurs de la Marseillaise n’ont toujours pas compris, alors je crains que leur cas ne relève pas seulement d’un retour à l’école ou de cours du soir…
Yves Pialot

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