Ode à la laïcité sous les ors de la République

Samedi 24 janvier avait lieu la remise des 4ème Prix de la Laïcité décernés par le Comité Laïcité République, à l’Hôtel de Ville de Paris. Le nom de Bertrand Delanoë figurait en haut du carton d’invitation et il était, disons, curieux, de le voir associé à une telle manifestation car nous n’oublierons pas l’inauguration de la place Jean-Paul II où les manifestants laïques ont été violemment refoulés, ou encore les généreux subsides que le maire de Paris offre à des crèches confessionnelles ou autres associations cultuelles…
Mais oublions un peu le double-jeu de la plupart des élus français (ils sont régulièrement cités dans les colonnes de Riposte Laïque) pour apprécier à leur juste valeur les interventions de qualité qui vont se succéder tout au long de cet après-midi entièrement dédié à la laïcité.

C’est Philippe Foussier, le président du Comité Laïcité République, qui prend la parole en premier sur le thème « Laïcité : actualité et enjeux ».
Il commencera son intervention par le rappel des origines du Comité Laïcité République et de ses objectifs. Sur le sujet, je renvoie les lecteurs à l’interview de Patrick Kessel, président d’honneur du Comité, qui figure dans le dernier numéro de Riposte Laïque (1).
Philippe Foussier réaffirme avec force l’importance de la science, du savoir, et de l’analyse de la raison : il faut ainsi accepter que certaines questions n’ont pas de réponses, et ne pas en chercher dans les dogmes. Il constate que les ecclésiastiques n’ont jamais accepté les Lumières, et que la nostalgie de « l’ordre ancien » est bien vivace. Le premier domaine hérité des Lumières qui subit leurs attaques est celui de la science, et en particulier les travaux de Darwin par le biais du créationnisme ou autre dessein intelligent.
Le second acquis des Lumières qui est remis en cause est l’universalisme des Droits de l’Homme, sous prétexte que ces valeurs viendraient d’ex-pays colonisateurs. Ce qui se passe en ce moment à l’ONU et la perspective de Durban 2 où la liberté d’expression sera remise en question pour renouer avec la notion de blasphème en est l’inquiétant révélateur. Les tenants du différentialisme portent une responsabilité énorme dans cette triste « évolution » car le « droit à la différence » amène tôt au tard à une « différence des droits ». Monsieur Foussier salue ainsi Madame Simone Veil et le travail du comité qu’elle présidait : ils ont refusé que le préambule de la Constitution française soit modifié pour y inscrire la notion de diversité, qui aurait inévitablement amené à un glissement vers la discrimination positive chère à notre Président, et donc donné ses lettres de noblesse à cette « différence des droits » totalement intolérable dans une République laïque et indivisible. Monsieur Foussier ajoute que la conception communautariste est collectiviste et réactionnaire, car elle enferme l’humain dans une communauté (raciale, ethnique ou religieuse) qu’il a rarement choisie puisque due le plus souvent au hasard de sa naissance. Il dénonce aussi fermement le dévoiement des principes républicains opéré par nos responsables politiques ainsi que l’instrumentalisation de l’élection de Barack Obama et « l’obsession raciale » qui l’accompagne.
Les Nations-Unis et la remise en cause de l’universalisme des Droits de l’Homme sera justement le sujet de l’intervention suivante. Malka Marcovich est historienne, engagée dans la lutte pour les droits des femmes et travaille comme consultante au sein de diverses organisations internationales. Le sujet de son dernier livre « Les Nations Désunies: comment l’ONU enterre les droits de l’homme » servira de trame à son intervention. Madame Marcovich retrace comment, depuis la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui faisait consensus à l’époque (seule l’Arabie Saoudite faisait « bande à part »), la petite voix jihadiste, portée par Khomeiny, a commencé à se faire entendre en 1979, pour arriver, en 1981, à l’adoption d’une résolution proposée par l’Iran reconnaissant la « discrimination religieuse ». L’ Organisation de la Conférence Islamique mise en place en 1990 a permis en 1993 l’introduction de la notion de « relativisme culturel ». Aux voix de pays ouvertement théocratiques comme l’Arabie Saoudite pour qui les lois religieuse sont au-dessus de toutes les autres, se sont ajoutées celles des pays qui, suite à la chute du mur de Berlin, sont sortis du giron socialiste, ainsi que celle de la Chine : en effet, ces pays ont tous en commun le refus de toute ingérence dans leurs « affaires intérieures ».
La communauté internationale n’a semble-t-il pas vu le danger car aveuglée par l’idée que les idéaux démocratiques ne pouvaient que continuer à progresser à travers le monde. Et en 1998, pour le cinquantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme et pour se positionner ostensiblement contre la thèse du « choc des civilisations » défendue par Samuel Huntington, l’ONU, menée par son secrétaire général Kofi Annan, propose d’ouvrir « le dialogue des civilisations » ; ce sera en 2001 le thème de Durban I de sinistre mémoire car lieu, entre autres, de violences anti-sémites. C’est en septembre 2001 que, pour la première fois, le terme « islamophobie » sera introduit dans un texte onusien. 3 jours après avait lieu l’attentat du 11 septembre.
Depuis, ces dérives se sont amplifiées pour arriver désormais à ce que Madame Marcovich nomme une « plongée abyssale ». Derrière une diplomatie qui n’est désormais que « de façade », nous assistons à une remise en question dramatique de l’égalité homme/femme, de la laïcité, et de l’universalisme des Droits de l’Homme.
Ces « réformes » continuent dans le but avoué de « redonner aux religions un rôle politique » car elles seules seraient à même de « régler les conflits ». De plus, le « religieux » est instrumentalisé par les états autoritaires pour leur propagande totalitaire : en effet, des états comme Cuba, le Vénézuela, la Chine, la fédération de Russie et la Corée du Nord sont aux côtés des pays islamiques car ils trouvent ainsi un moyen de « dénoncer » les démocraties par leur supposée « islamophobie ».
En 2006 a été créé le Conseil des Droits de l’Homme, où l’ Organisation de la Conférence Islamique est majoritaire. Dans les résolutions qui en émanent, la « haine des religions « est désormais vue comme le « racisme absolu ». La liberté d’expression y devient « discrimination raciale » ou « religieuse », et on y justifie les actes de terrorisme qui seraient finalement de justes réponse au « blasphème ».
Dans cette dérive qualifiée par Madame Marcovich de « plongée abyssale », les médias ont leur part de responsabilité. Il n’est en effet jamais ouvertement fait mention de « censure » mais de « responsabilisation des médias ». Exemple significatif : il a été mis en place au Qatar un « centre pour la liberté des médias » dirigé par… Robert Ménard ; on se doute que le rôle de ce « centre » sera des plus ambigus.
Mais alors, comment en est-on arrivé là ? L’ONU est financée à 90% par les pays « démocratiques », c’est ainsi que nous finançons la propagande qui remet en question nos valeurs… Pour Madame Marcovich, le fond du problème vient de la définition de la démocratie qui figure dans les textes originels, car le suffrage y est le seul critère. Il faudrait que la démocratie soit clairement définie comme l’héritage direct des Lumières et de ses valeurs.
Madame Marcovich regrette également la faiblesse de la France dans la diplomatie mondiale ; elle la voit comme peu attentive aux dérives « onusiennes », car pensant sans doute bénéficier d’une espèce de « protection magique » qui la mettrait à l’abri de tout cela… Les lecteurs de Riposte Laïque savent qu’il n’en est rien…
C’est à la suite de cette description inquiétante de la situation internationale qu’interviendra l’hommage à Malalaï Kakar. Madame Kakar était une des rares femmes à travailler au sein de la police afghane. C’était une « icône » du civisme et de la laïcité. Elle avait 40 ans et six enfants. Elle a été abattue par des talibans devant chez elle le 28 septembre 2008.
Cet hommage est effectué par Alain Morvan, courageux ancien recteur de l’académie de Lyon qui s’était élevé contre l’ouverture d’un lycée musulman et contre les propos négationnistes de Bruno Gollnisch, professeur d’université à Lyon 3.
Un petit échange entre participants et intervenants eut ensuite lieu sur des questions diverses.
Je retiendrai l’anecdote relatée par un habitant du 19ème arrondissement à qui, lorsqu’il faisait une remarque à une personne ne respectant pas le code de la route, il a été répondu que « le code de la route ne figurait pas dans le coran », ce qui illustre le fait que les lois communautaires et religieuses semblent de plus en plus se substituer dans certains esprits aux lois républicaines…
La réponse de Philippe Foussier à une question portant sur l’importance de l’ « affirmative action », (improprement traduit par discrimination positive en France) dans la réussite des « minorités visibles » aux USA fut également du plus grand intérêt. Monsieur Foussier a constaté que la situation est désormais plus diffuse qu’au début du 20ème siècle, car, en France, « l’espace public est désormais envahi par un ordre clérical ». Monsieur Foussier réaffirme que seul le choix de l’universalisme républicain peut participer au combat émancipateur de l’être humain, combat qui ne peut en aucun cas passer une discrimination positive, quel que soit le terme qu’on lui donne. A son sens, une « lecture raciale » qui remplacerait une « lecture sociale » serait dangereuse, car ce serait en quelque sorte le retour du « droit du sang ».
Après le rappel de l’origine de ces prix de la laïcité par Patrick Kessel, les lauréats ont été désignés par Jean-Pierre Changeux, le président du jury de ce 4ème prix : le prix international a été attribué à Nadine Abou Zaki, journaliste, artiste et philosophe libanaise, et le prix national à Guillaume Lecointre, zoologiste et systématicien.
Avant de donner la parole aux lauréats et d’en savoir ainsi plus sur leurs travaux, Jean-Pierre Changeux est revenu sur son parcours personnel et nous a fait part de ses réflexions sur la laïcité. Ce scientifique de haut niveau, professeur au Collège de France et à l’Institut Pasteur, neurobiologiste et auteur de plusieurs ouvrages, affirme sa confiance en la science, qui a été faite « par les hommes et pour les hommes ».
Plutôt que de se protéger derrière d’arbitraires principes de précaution qui favorisent l’inaction, il insiste sur le fait que les scientifiques doivent se responsabiliser et coopérer autour de la planète pour travailler ensemble au bien de l’humanité. Dans cette perspective, le séquençage récent du génome humain est un outil fondamental qui doit aider au rapprochement des êtres humains : l’unité de ce génome à travers la planète atteste en effet des dispositions communes du cerveau de tous (capacité au langage et à la conscience). Mais alors, se demande-t-il, pourquoi est-ce si difficile d’arriver à une « éthique universelle » ? Il introduit ici la notion de contraintes « épi-génétiques » qui, elles, sont dues à l’environnement culturel. En effet, le nouveau-né incorporera dans son cerveau sa propre histoire et celle de son environnement socio-culturel. Des « circuits culturels » s’inscrivent ainsi dans le cerveau du nouveau-né à son insu, dont les systèmes de croyances diverses qui divisent l’humanité. A ces « circuits culturels » s’ajoutera un espace « conscient » qui lui permettra de d’effectuer la distanciation entre ce qui est « privé » et ce qui est « public ». C’est là le rôle fondamental que joue la laïcité en aidant à faire cet effort de distanciation. Une éducation à la laïcité permettra de faire prendre conscience aux humains à travers le monde que la diversité épi-génétique, la diversité des cultures, n’est en fait due qu’au hasard de la naissance.
Ainsi, la laïcité est un outil qui permet de faire face à l’intégrisme en relativisant les différentes croyances et en unifiant la connaissance héritée des Lumières. Pour Monsieur Changeux, la science et la laïcité sont les fondements nécessaires à « une vie en harmonie et fraternité » au delà de toutes les différences culturelles. Pour lutter contre l’irrationnel et l’intégrisme, Monsieur Changeux affirme qu’il faut « ouvrir le dialogue », et surtout « ne pas combattre l’intolérance par l’intolérance ».
Je me permettrai un commentaire personnel : après l’intervention de Madame Marcovich sur ce qui se passe à l’ONU, les limites du « dialogue » et l’impasse dans laquelle se trouvent les démocraties qui font preuve de tolérance à l’égard des « intolérants », ce discours certes humaniste semble désormais totalement utopique…
La remise des prix fut ensuite effectuée par Anne Hidalgo, première adjointe au Maire de Paris.
Ce fut à Nadine Abou Zaki, la lauréate du prix international, de prendre la parole en premier, devant l’ambassadeur du Liban et le Secrétaire de La Ligue Arabe, assis au premier rang du public.
Nadine Abou Zaki est une jeune femme libanaise, philosophe, journaliste et artiste (sculptrice et poète). Elle est éditrice en chef du premier magazine social féminin panarabe « Al Hasnaa », et également présidente du Forum de la Nouvelle Femme Arabe. La première édition de ce forum a eu lieu à Dubaï en 2007, et celui de 2008 a Beyrouth.
Je ne reviendrai pas en détails sur le contenu de son intervention: le son trop faible de la sonorisation pour sa « petite voix », l’ensemble un peu confus de son discours (philosophie oblige ?) et certaines « ambiguïtés » que j’ai cru entendre m’empêcheraient de le faire de façon neutre et objective. Notons toutefois son affirmation de « la dimension publique du religieux » et son analyse un peu alambiquée de la sphère privée et publique en opposition à l’espace public que n’aurait sans doute pas reniée certains laïques de notre connaissance…
Ce fut ensuite à Guillaume Lecointre, lauréat du prix national de s’exprimer. Guillaume Lecointre est professeur au Museum d’histoire naturelle, zoologiste et chercheur en systématique (la science des classifications). Il est engagé dans le combat contre l’instrumentalisation des sciences par les pouvoirs religieux, et regrette l’absence de mobilisation massive des scientifiques contre ces dérives. (voir son passionnant article « Evolution et créationnismes »(2).
Pour Monsieur Lecointre, la science est laïque par son universalisme. Elle exige que ceux qui se prétendent scientifiques expriment des connaissances objectives en laissant leurs « options métaphysiques au vestiaire », et Monsieur Lecointre regrette que ce ne soit pas toujours le cas de certains scientifiques qui s’expriment dans les médias. Il dit aussi à quel point la science dépouillée de tout argument religieux est l’alliée des femmes ; la volonté de donner un statut « sacré » à l’embryon est un exemple de ce qui peut remettre en cause le droit à l’avortement.
Et finalement, il rappelle (« enfin », j’aurais envie de dire…) qu’en science, il n’y a pas de séparation entre l’homme et l’animal…
Pour finir cet après-midi riche en réflexion et sujets de débat, quelques personnalités présentes ont pu prendre la parole quelques minutes.
Je retiendrai personnellement les interventions de Michèle Vianès, présidente de « Regards de Femmes » et de Sihem Habchi, présidente de « Ni Putes Ni Soumises » qui sont des petits bouts de femme pleines d’énergie, de courage et qui sont en prise directe avec la souffrance des femmes « sur le terrain » et au quotidien. J’en profite pour leur exprimer ma plus grande admiration…
Le « mot de la fin » a été laissé à un grand homme politique, athée et rationaliste, Henri Caillavet. À 95 ans, ce précurseur a été de tous les combats pour l’émancipation des femmes, avec le droit à l’avortement, la mise en place du divorce par consentement mutuel ; il a également lutté en faveur de l’euthanasie ou encore du droit des homosexuels.
Ce grand monsieur a conservé toutes ses qualités d’orateur ; il nous a fait vibrer par sa passion et son humanisme. C’est avec émotion que nous avons reçu son appel « Ne baissons pas les bras ! ».
Nous n’avons pas le droit de le décevoir.
Laurence Vuillemot
1. http://www.ripostelaique.com/Patrick-Kessel-president-d-honneur.html
2. http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosevol/decouv/articles/chap1/lecointre1.html

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