Pas stalinien le PCF ? Oh que si !

Un lecteur de Riposte Laïque est furieux. Nous avons osé qualifier de stalinien, le PCF. Et pour nous le prouver, ce lecteur commence à se lancer dans une diatribe contre ces ignobles gauchistes qui sont passés de l’université aux cabinets ministériels et aux sinécures diverses et variées. Comme si cela avait un rapport avec l’objet du débat qu’il soulève.

Il est quoi, il était quoi le PCF ?

Disons ici, que personnellement, pour répondre à l’accusation presque infamante de notre témoin de moralité attestant le non stalinisme du PCF, je ne suis pas allé à l’université, à mon grand regret. Je ne suis pas entré dans des locaux universitaires, sauf pour aider les syndicalistes étudiants opposés à l’UNEF dite « pour son renouveau », au moment de la scission du syndicat étudiant. C’était justement, lorsque le PCF organisait des violences dont, on le voit aujourd’hui, notre censeur en accuse les autres. Une anecdote : à cette époque, un collègue de travail, qui m’accompagnait, reçut alors un coup de cul de bouteille d’une canette de bière, volontairement cassée pour servir d’arme blanche. Heureusement qu’il portait un épais manteau en peau de mouton qui fut fendue sur toute la hauteur, sans parvenir jusqu’à la peau de son porteur, sans quoi, ses tripes se seraient retrouvées à l’air… Pas stalinienne, l’UEC normalisée au début des années soixante, c’est sur !!
Personnellement, j’ai connu le PCF, de l’intérieur en tant que militant, à partir du début de l’automne de 1961.
A l’époque, le Parti communiste français avait Maurice Thorez pour secrétaire général. Maurice Thorez, c’était aussi le « fils du peuple », le bien-aimé Maurice.
C’était le même Maurice Thorez qui, en 1929, après avoir eu quelques faiblesses pour Trotski et l’opposition de gauche au sein du PCUS, versa jusqu’à sa mort dans le soutien sans faille à Staline puis à chaque direction successive du parti de la bureaucratie moscovite. Je veux cependant nuancer mon propos le concernant. Le soutien à Kroutchev ne fut pas aussi inconditionnel et enthousiaste, surtout après que ce dernier ait lancé la bombe du fameux rapport secret lu devant les congressistes au 20ème congrès du PCUS en 1956, rapport qui dénonçait les « crimes du culte de la personnalité de Joseph Staline».
Mais visiblement notre objecteur n’a jamais entendu parler de tout cela. Il n’a certainement jamais entendu parler de la fameuse formule de Thorez : « je suis le plus stalinien de France, dans notre parti qui est fier d’être stalinien… ». Maurice Thorez, Duclos et quelques autres dirigeants de premier plan ne cessaient de marteler à ce sujet.

Qu’est-ce qu’être stalinien ?

Les partis staliniens sont les partis et groupes nés de la transformation de la troisième internationale en domesticité extérieure de la caste privilégiée qui est apparue et a cristallisée en URSS.
La discussion, entre marxistes, a longtemps porté sur la question de savoir : Est-ce que le gouvernement terroriste totalitaire de Staline est celui d’une nouvelle classe dirigeante privilégiée, réalisant une exploitation forcenée de la classe ouvrière comme jamais le capital privé n’était parvenu à l’obtenir, ou est-ce une couche sociale privilégiée non cristallisée en nouvelle classe exploiteuse distincte du capitalisme, mais ne constituant pas l’avenir de ce dernier, sous la forme d’un « collectivisme bureaucratique » et hautement policier. Pour dire les choses autrement, le stalinisme comme formation sociale, était-il un état ouvrier dégénéré pouvant servir de point de départ vers le socialisme, par une pression populaire, brisé par une révolution politique, ou était-il une formation sociale nouvelle, une nouvelle forme totalitaire de l’exploitation du travail humain sur des bases entièrement étatisées ? Trotski, Schachtman, Kuron et Modzelewski, et beaucoup d’autres se pencheront sur la question. Tous constataient le fossé s’élargissant entre la classe ouvrière et ses soi-disant partis prétendant réaliser une dictature vers la non-dictature et l’égalité sociale réelle et complète.
Les partis staliniens étaient ceux soumis politiquement à Moscou. Leur appareil était étroitement contrôlé par les différents apparats qui formaient les réseaux du comintern puis de son successeur le Kominform. Maurice Thorez, dont on vient de parler, et son équipe, employaient cette formule : le soutien inconditionnel à l’URSS, patrie socialiste des travailleurs, et à son parti dirigeant, constitue la « pierre de touche de l’internationalisme prolétarien ».
Concrètement, cela voulait dire quoi ?
Je ne vais pas ici faire un inventaire complet. Je ne prendrai que quelques exemples pris parmi beaucoup d’autres.
 En 1949-1950 éclatera l’affaire dite des « blouses blanches ». Staline, comme les sommets de la bureaucratie, avait des médecins, tous des Juifs, pour s’occuper de sa personne vingt-quatre heurs sur vingt-quatre; Staline, à la différence du calife résidant au Caire, n’avait pas un seul Maïmonide pour se dévouer à sa santé, mais une bonne dizaine qui se dévouaient aussi pour quelques privilégiés du régime. La mise en route de la suite de la shoah, sa nouvelle phase prise en charge par le potentat Staline, se traduisit d’abord par la répression du Comité antifasciste juif, mis en route avec l’assassinat déguisé en accident automobile de son président, l’acteur du théâtre yiddish de Moscou, Solomon Mikhoëls, et enfin par la mise en accusation des médecins. Une campagne internationale fut lancée. Le PCF, ses cellules, le quotidien l’Humanité, comme toutes les cellules du PCUS, comme toutes les assemblées d’usines tenues sous le contrôle vigilant du NKVD, voteront les condamnations de ces personnages « répugnants », ces « cosmopolites à double face ». A la même époque, Lyssenko, un charlatan dont Staline s’était entiché, « révolutionna » la génétique soviétique. Ce sera la « génétique prolétarienne » opposée à la « génétique bourgeoise ». comme un seul homme, l’appareil du PCF, ses organes de presse, emboitèrent le pas. Pas stalinien, le PCF ? mais peut-être que notre lecteur ignore tout de la vie de ce parti, pour la vertu duquel il veille, prêt à dégainer s’il le faut.
 En 1956, la classe ouvrière et tout le peuple de Hongrie, avec dans ses rangs la majorité écrasante des membres du parti communiste, se soulevèrent contre les hommes de Moscou formant le groupe central réuni autour de Rákosi et Geroë appuyés sur la police politique, l’AVO.
A partir de la classe ouvrière des grandes usines de Csepel, le Billancourt hongrois, la Hongrie se couvrira de conseils ouvriers élus et révocables. Ces organisations ouvrières renouaient avec la tradition d’élection et de révocabilité de la Commune de Paris et des premiers Soviets. C’étaient des réunions de délégués réalisant l’interconnexion démocratique des représentants de la classe ouvrière de Hongrie en une grève générale ; une grève générale totale et unanime qui dura depuis la seconde intervention russe (novembre 1956) jusqu’à la fin de février 1957 malgré les arrestations et les coups de canons de l’artillerie russe.
Dirigé par le vieux dirigeant communiste Imre Nagy, le gouvernement hongrois se déclara responsable devant les conseils ouvriers devenus sources de toute légitimité. Quand le gouvernement de l’URSS envoya chars et des troupes pour submerger le petit pays, pour à coups de canonnades et de déportations vers le goulag, pour restaurer la dictature de la bureaucratie, la classe ouvrière française sympathisa spontanément et massivement avec les ouvriers de Hongrie. Le PCF répandit des vomissures sur le peuple hongrois et les communistes qui restaient fidèles au socialisme en tant que mouvement ouvrier libre. En lisant tracts et articles, on apprenait ainsi que « les hongrois insurgés sont des fascistes »… que ce sont « des Croix fléchées », un mouvement paramilitaire pro nazi qui avait pris part activement à la déportation vers Auschwitz de sept cent mille Juifs de Hongrie, que ce sont « des agents de l’impérialisme qui pendent les communistes dans les rues »… Alors, haro, sus aux Hongrois soulevés. Vive le goulag ! Interdiction d’avoir des doutes ou des désaccords, sinon, la porte, dehors du non stalinien PCF, ouste, exclu !!
Mon premier souvenir politique marquant est lié à ces événements. J’avais douze ans alors et j’habitais le haut de Ménilmontant. Le vingtième arrondissement était à cette époque un bastion du PCF parisien. A chaque carrefour, on trouvait un CDH, un vendeur de l’Humanité dimanche ; c’était « l’huma » vendu au porte-à porte, qu’achetait à Céline ma grand-mère maternelle, une ouvrière métallurgiste. Comme tous les CDH, le mari de Céline collait les affiches de son parti sur les murs du quartier et, outre son journal de parti, il nous vendait Vaillant, l’ancêtre de Pif le chien. Dans ce vingtième arrondissement, quadrillé et sillonné par les militants du PCF, dans cet arrondissement ouvrier par excellence, des milliers d’hommes et de femmes, la plupart membres et sympathisants du PCF descendront un soir la rue de Belleville, avec un seul mot d’ordre, scandé par plusieurs milliers de personnes : Thorez au poteau ! Thorez au poteau ! J’ai gardé en moi, leurs voix d’ouvriers et d’ouvrières du Paris de la Commune.

Thorez et les siens, -les « thoréziens », étaient le noyau sélectionné par les hommes de Moscou dans le PCF, au moyen de multiples processus d’épuration portant des noms. C’étaient des noms de victimes, des noms de « d’ennemis et de traîtres au parti et à la classe ouvrière ». Rappelons-en quelques uns de ces « traîtres », pour notre lecteur : Auguste Lecoeur, l’organisateur de la grande grève des mineurs du nord. Grève totale, en pleine occupation allemande ; André Marty et Charles Tillon les « mutins de la mer Noire », les organisateurs de la révolte de l’escadre française, en soutien à la révolution des soviets d’ouvriers et de paysans ; Servin et Casanova, de hauts dirigeants, accusés de méthodes « liquidationnistes » ; Kriegel-Valrimont, haut dirigeant lui aussi et victime collatérale de l’épuration des précédents etc., etc.- Le noyau « thorézien » défia la solidarité naturelle qui portait les travailleurs français vers les travailleurs de Hongrie. Le PCF perdra dans l’affaire plus d’un million d’électeurs, 20% de son électorat, qu’il ne récupéra jamais, sans compter des milliers de militants, beaucoup ayant été exclus, dont des cadres de grande valeur, comme Gérard Spitzer, comme Simon Blumenthal. Le choix en faveur du Kremlin, le soutien sans faille aux bourreaux du prolétariat et des communistes hongrois amorça le déclin du PCF qui agonise aujourd’hui.
Le lecteur choqué m’objectera que le soutien à l’envoie au goulag de plusieurs dizaines de milliers de prolétaires hongrois, les hommes, les femmes et les enfants, après les bombardement à l’artillerie lourde dans les rues de Csepel, le centre ouvrier de Budapest, ce n’était qu’une bavure non significative. Cela ne déterminerait pas la nature stalinienne du PCF ?
 Notre lecteur avait évidemment zappé le soutien fanatique aux impostures judiciaires des années 1936-1938, procès truqués qui liquideront physiquement la quasi-totalité du parti bolchevique et décimeront ensuite l’encadrement de l’armée rouge.
 Il a manifestement zappé le soutien à Ulbricht ainsi qu’aux chars du Kremlin tirant dans la foule des ouvriers berlinois en grève générale et réclamant, le 17 juin 1953, la démission du sous- Staline allemand et la constitution « d’un gouvernement des métallos ». Notre Lecteur a oublié que les fusillades, les emprisonnements d’ouvriers reçurent le soutien sans faille du non-stalinien PCF. Notre lecteur nous dira, mais oui, mais ce n’était pas à mon époque, ce n’était pas quand j’étais à l’UNEF pour son renouveau pour contrecarrer les méchants étudiants gauchistes et les trotskistes. C’était il y a longtemps, c’était en 1953. Effectivement, c’était en Juin 1953. C’était en 1953, comme la grève des mineurs d’Ostrava, réprimée elle aussi avec le soutien politique des dirigeants du PCF, ce brave et courageux parti non-stalinien.
 Et en 1968, il était de quel côté le non-stalinien PCF, quand six cent mille soldats du pacte de Varsovie s’en vinrent occuper la Tchécoslovaquie, pour annuler le congrès du parti communiste de Tchécoslovaquie, congrès formé de délégués élus après amples discussions par la base ouvrière et réuni dans une grande usine de Visocany, sous la protection des ouvriers mobilisés, pour décider le pluralisme politique afin de consolider la socialisation des grands moyens de production pour le bénéfice de toute la société, en les arrachant au monopole de la bureaucratie. Il était de quel côté le gentil non-stalinien PCF quand s’est déchaînée la normalisation avec le sacrifice de Jan Pallach et son cortège de licenciements, d’exclusions du PCT normalisé et d’emprisonnements ? il était où, de quel côté, le PCF ?

Pas stalinien, dîtes-vous ?!

 Et en décembre 1970, quand la Zomo, la milice du stalinisme en Pologne fusilla à coups de mitrailleuses des centaines de travailleurs des villes portuaires de la Baltique. Ils étaient de quel côtés les cadres et les dirigeants du non-stalinien PCF, quand ces manifestations réprimées dans le sang déboucheront sur la grève générale et l’occupation des trois chantiers navals avec l’élection d’un comité interentreprises de grève des ports de la triville, Szczecin, Sopot et Gdansk? Et vous, monsieur l’objecteur, de quel côté étiez-vous, vous le non-stalinien ?

C’était en 1970. 1953-1970, une sacrée longue période quand même, non ?
Et dans la décennie de 1980, après que les ouvriers polonais aient constitué Solidarnosc, avec l’adhésion libre de dix millions d’entre eux, quand en décembre 1981, sous la pression des despotes du Kremlin, la bureaucratie stalinienne en Pologne à déclenché l’état de guerre contre la classe ouvrière, de quel côté il était le non-stalinien PCF et vous-même ?
1953-1981…, ça fait plus de trois décennies, ce n’est pas rien quand même, pour juger la politique d’un parti et de sa nature. Qu’opposer à cela, pour déterminer que n’était pas et que n’est pas stalinien ce brave parti, qui jugera « globalement positif » le bilan du despotisme bureaucratique stalinien camouflé sous le prête-nom de « socialisme réel ». Rien d’autre, pour confirmer ce que je vous indiquais, vous croyez ?
On sait que la bureaucratie est- allemande prit le relais des experts allemands du troisième Reich, certains recyclés en experts « communistes », auprès du gouvernement de Nasser et des nationalismes arabes du proche et Moyen-Orient. C’est le stalinisme est-allemand, qui joua un rôle décisif pour l’organisation de groupes politiques pseudo marxistes, comme les FPLP et PDPLP. Leur politique, à ces partis « marxistes », dont on vit une traduction aux jeux olympiques de Munich, ne fut pas condamnée par le PCF. On le voit encore aujourd’hui ; toujours fidèle à cette ligne stratégique concoctée par le KGB et les services Est-allemands pour le compte des satrapes moscovites, le PCF est actif pour faire de l’assassin raté, qui doit sortir de prison dans deux ans, le militant FPLP Salah Hamouri, sa nouvelle icône, véritable coqueluche du show biz stalinisant, devenu son prétendu Dreyfus franco-palestinien. Pas stalinien le PCF, c’est évident…
J’ai évoqué le PCF et les questions internationales, formant la substantifique moelle de son existence politique quotidienne. J’aurai bien sur pu parler, pour rappeler quelques bons souvenirs à notre amoureux du PCF victime de méchants gauchistes, j’aurai pu évoquer ces violences hebdomadaires du PCF tout le long de l’année 1961. Cela se produisait devant les usines métallurgiques de Saint-Ouen, quand il y avait des usines dans cette ville ouvrière. C’était l’époque bénie, lorsque le non stalinien PCF se proclamait : Le parti de la classe ouvrière. C’était l’époque divine, quand il se considérait comme le propriétaire exclusif de la classe ouvrière ou son époux jaloux. Deux groupes de trotskystes, -réunissant en tout et pour tout une centaine de membres et militants pour tout le pays-, voulaient diffuser devant ces usines. Interdit ! Interdit ! Interdit !!! C’était un crime de lèse PCF que de venir diffuser des tracts devant des usines. Mais bien sur, ce bon parti, -qui n’était pas stalinien-, notre objecteur nous l’assure, cassait les gueules, à coups de poubelles pleines lancées sur les diffuseurs de feuilles de choux qui lui déplaisaient. Tout cela se faisait sous le regard satisfait du membre du Bureau politique du coin, un certain Etienne Fajon, député oublié depuis mais célèbre à l’époque. Il le faisait pour la bonne cause du développement maximum et continu de la démocratie, ce bon non-stalinien PCF. Ben voyons… vous voyez bien que le PCF n’a pas été et n’est pas un parti stalinien. 1927-1961, ce n’est rien qu’une petite parenthèse, cela ne compte pas. Ben voyons…

J’allais oublier, mais c’était pour la bonne bouche

La cité de 4000, il doit connaître notre lecteur indigné. En 1971, avec mon collègue et camarade agressé à coup de tesson de bouteille de bière devant la Sorbonne, nous avons failli avoir le crâne réduit en bouillie. Notre organisation avait osé vouloir s’implanter parmi les jeunes du grand ensemble. La municipalité « non-stalinienne », formée de dirigeants PCF, paya une bande d’une bonne cinquantaine d’adolescents, pour nous assiéger, alors que nous diffusions devant le petit centre commercial se trouvant aux pieds de la barre. Mais les assiégeants n’étaient pas qu’autour de nous venus nous assiéger et nous injurier; certains étaient en position, avant que nous arrivions. Ils se trouvaient sur le toit du petit centre commercial, et à un moment, ils nous ont bombardé de projectiles divers, dont des pavés. C’est comme cela qu’entre mon collègue et moi, un gros pavé de grès est tombé, passé à quelques centimètres de nos têtes. Pas stalinien, le bon et doux PCF ? Vous aussi vous ne le ne croyez pas ? Pourtant tout le prouve, puisque notre lecteur critique l’affirme, alors….
Alain Rubin

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