Quand M6 casse la mixité dans les écoles

L’émission E=M6 du 29 aout dernier, toujours animée par le journaliste scientifique Mac Lesggy, a offert aux téléspectateurs la diffusion d’une idée que j’estime rétrograde, sous couvert d’un « progrès scientifique ». Jugez plutôt par vous-même sur http://www.m6.fr/emission-e_m6/ : vous avez la possibilité de revoir l’émission.
Figurez-vous que nos amis d’outre-manche font une expérience « scientifique » : ils séparent les enfants à l’école selon leur sexe dans les matières principales et comparent leurs résultats ! 28% de réussites en plus si les enfants de sexes différents sont séparés ! Quel miracle de performance !
Le tout appuyé par des commentaires de neurologues vous expliquant que les cerveaux de la femme et de l’homme ne fonctionnent pas pareil, mais attention, sans remettre en question l’efficacité de celui de la femme relativement à l’homme : là, le neurologue sent bien qu’il touche un sujet sensible …
Et notre présentateur aux célèbres montures colorées de s’émerveiler des résultats de cette « expérience ».
Seulement voilà, monsieur Lesggy oublie certains aspects pour le moins inquiétant dans cette expérience anglaise.
Tout d’abord, quel est le rôle de l’école ? Former des enfants à être des rouages bien huilés dans une industrie capitaliste qui vise le rendement à outrance ou rechercher l’épanouissement intellectuel des individus et leur permettre de penser par eux-mêmes afin d’être des citoyens acteurs de la Citée ?
La sacro-sainte rentabilité anglo-saxonne ne deviendrait-elle pas prioriraire sur l’individu ? Prioritaire sur le principe même de l’égalité des sexes ? Pourquoi ne pas tolérer alors une discrimination sexuelle et séparer selon leur sexe les écoliers si cela accroit leur aptitude au rendement ? Il faudrait accepter de sacrifier cela ?
Le vivre ensemble entre sexe n’a plus sa place dans cette « expérience » : le garçon et la fille y sont considérés comme des êtres capables d’avoir une attention détournée par un membre du sexe opposé. De coupables attirances les détourneraient de l’objectif, être performant ?
Au diable l’apprentissage du respect du corps de la femme : éduquons les garçons à être performants entre eux, les filles de leur côté, et les vaches seront bien gardées.
Dans cette expérience, on ne se soucie pas que ces écoliers et écolières soient quelques années plus tard des citoyens vivant ensemble dans la même société : ils ne sont perçus qu’avec la loupe très étroite de la rentabilité à apprendre des connaissances utiles en vue d’être à une place donnée dans l’appareil productif de l’économie anglaise.
Mais poussons l’analyse plus loin puisque notre journaliste de M6 n’a pas su le faire. Une expérience réellement rigoureuse aurait pris en compte un autre facteur : l’homosexualité latente chez certains individus.
Ainsi, évoquer que l’hétérosexualité est générateur d’inattention est partiellement faux. Mais là, silence radio sur la mesure de la performance des garçons entre eux. Idem pour les filles. Le facteur d’homosexualité est-il négligeable à l’age des écoliers et écolières en question ? Ou bien est-ce le puritanisme britannique qui écarte ce qui était encore considéré comme une maladie mentale dans les années 60 ?
Gageons que l’expérience ne sera pas tentée de séparer les hétérosexuels et homosexuels dans une prochaine « expérience scientifique » : le politiquement correct est un élastique qui ne peut pas être tendu au de-là de la loi … à moins qu’un Christian Vanneste ne s’en mêle !
Mais allons encore plus loin dans la compréhension de cette soi-disante expérience … comme par hasard menée dans un pays qui est une monarchie et dont le chef suprême est également chef religieux !
La laïcité en Grande Bretagne n’est pas pour demain malheureusement : on a trop tendance à oublier que la Reine est également chef de l’Eglise Anglicane.
Et là, tout s’éclaire : sous couvert d’une expérience scientifique, ne doit-on pas voir un retour à une forme rétrograde de l’enseignement que nous avons connu avec « une certaine Eglise » ?
N’est-il pas étrange que le silence soit fait sur l’école où l’expérience est menée ? Est-ce une école publique anglaise … de l’Eglise Anglicane ? Est-ce une école affichant une relation avec une autre Eglise ?
Un journaliste digne de ce nom se pencherait davantage sur les causes de l’expérience : les scientifiques ne sont jamais que des fonctionnaires au service de l’Etat, y compris en Grande Bretagne. Le scientifique fait ses mesures, étudient les cerveaux, les résultats des écoliers … mais il perçoit un salaire pour cela : ce projet a un coût.
Si tout cet argent est dépensé par l’Etat anglais pour cette expérience, il y a bien une raison à cela, mais aussi un décideur. Qui est ce décideur ? Et dans quel but ?
Ne peut-on pas s’interroger sur les motivations des commanditaires de cette « expérience » ? A l’initiative de qui et pourquoi cela est-il conduit ? Le chef de projet de cette expérience a-t-il une orientation religieuse particulière ?
Est-ce l’Etat anglican qui souhaite réintroduire la séparation des sexes chez les écoliers dans les écoles mixtes ?
Personnellement, je n’ai pas été émerveillé par cette soi-disante expérience. Qu’un homme puisse avoir son attention attirée par une autre personne lorsqu’il étudie n’est pas un fait nouveau : c’est même naturel.
Selon moi, une école véritablement formatrice doit apprendre aux garçons et aux filles à vivre ensemble, c’est-à-dire éprouver des pulsions afin de les comprendre et les gérer. L’école n’est pas que le lieu de l’instruction, elle est aussi le creuset où sont formés les esprits des citoyens de demain.
Séparer les sexes à l’école est une bien mauvaise idée et je trouve extrêmement inquiétant qu’une chaîne de télévision se fasse le porte parole d’un mode d’éducation religieux du siècle dernier au nom de la performance et sous couvert d’une expérience scientifique de laquelle on écarte toute portée philosophique et morale pour se focaliser sur le seul paramètre très discutable du rendement.
L’égalité des sexes est un concept qui est loin d’être dans les mœurs et le combat des Femmes est loin d’être terminé.
Et il n’y a aucun émerveillement scientifique à voir dans cette expérience : cette école anglaise ne m’inspire aucun sentiment de progrès. Elle me fait dire que la bétise est monnaie courante et qu’elle devient rétrograde lorsqu’elle est bêtement relayée par un journaliste … qui a peut être oublié de nettoyer les verres de ses lunettes avant de parler.
Raoul Andresy

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