Témoignage : La vie quotidienne d'une libraire dans l'enclave musulmane du Bourget

Songeuse, je suis; opportunistes, ils sont.
Migraineuse, je deviens; autoritaires, ils se montrent.
Clairvoyante, je demeure; insipides, ils se font.
Qui sont-ils?
C’est ainsi que divaguait mon esprit, monnaie faisant derrière ma caisse, en ce jour de marché.
La clientèle était nombreuse, chacun jouait des coudes pour passer avant tout le monde, eux d’abord et peu importe si la grand-mère avalait son dentier de colère, si le grand-père grognait parce qu’il venait de se prendre un coup de charrette dans les chevilles et si la jeune femme, avec son bébé en poussette, se mangeait la porte de la boutique, faute de candidat à la galanterie et au laisser-passer.
Au milieu de tout ce fatras, une personne m’interpella, pas pour un achat à effectuer, mais pour une demande incongrue :
– Vous pouvez me la mettre à l’heure?
Une femme d’origine étrangère mais aux allures européennes me tendit alors un cadran carré, de la taille d’une grosse horloge.
– Euh, oui bien sûr!
Je retournai la chose, constatai une heure affichée et exacte…
– Je crois que votre pendule est à l’heure, Madame…”, fis-je, en lui restituant l’objet, avec mon air le plus aimable possible, pour une fois !
Elle repoussa brusquement ma main, me remit le tout énergiquement sur le comptoir, haussa le ton et me dit :
– Vraiment tu comprends rien, règle moi les heures des prières…
Un court instant, je crus qu’elle faisait de l’humour, histoire de sympathiser; mais non, elle réitéra la question, et une mise au point s’imposait.
– Je suis catholique, madame; la boutique est un lieu public et laïque, aussi pour les heures des prières je pense que vous vous êtes trompée d’endroit et de personne.
Cette fois, offusquée de tant d’audace, elle se saisit de l’objet, me montra sur le côté des écrits en langue arabe:
– Là les prières, tu dois les savoir, espèce d’impure ! Venez tous, c’est une impure parmi nous, ne restez pas là !
Ce moment, me laissa indécise émotionnellement, en rire ou en pleurer, ou les deux à la fois, je ne pouvais choisir.
Juste la preuve que pour certains, je n’ai plus ma place ici, en mon quartier, celui de mon enfance, et que, le quartier étant maintenant habité presque exclusivement par des musulmans, ils ne me tolèrent que parce qu’ils me croient convertie à l’islam.
Quelques jours s’écoulèrent avec leurs lots quotidiens d’agressions verbales, la routine en somme.
Alors que je faisais mes invendus, un groupe d’hommes africains pénétra en l’échoppe, pour acheter des journaux de courses. Ils avaient le verbe haut, occupaient tout l’espace et s’exprimaient dans une langue inconnue de moi.
Je continuais donc mon travail, pensant qu’ils discutaient entre eux, quand soudain, ils me secouèrent par un bras en criant.
Terrorisée, je leur demandais ce qu’ils voulaient; là ils me firent comprendre, dans un français plus qu’approximatif, que je devais les servir.
Je m’exécutais au plus vite, espérant leur départ…
Hélas pour moi, ils restèrent plantés à me faire une leçon sur le fait que je devais apprendre leur langue pour rester travailler ici, car la France elle n’était plus aux Français!
Comment me sortir de ce bourbier, en premier lieux surtout ne jamais baisser les yeux, faire face et se rapprocher des alarmes, et puis soudain une idée lumineuse…
– Ah ouè tou né compréné pé la lessou, té sotsa lé sossuré a basculo, povré pitiou…
Je répondis en patois charentais, langue de mon enfance, transmise par mes grands-parents et par mes parents, usitée encore en ma province et partagée avec ma fille.
Voyant cela, ils me tournèrent les talons, et moi j’en rigole encore.
 
 
Marie-Neige Sardin
 
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