Réponse à un article de Libération, qui juge "excessif" "La journée de la jupe"

« La journée de la jupe »

Je commence par une citation que vous devez connaître : « tout ce qui est excessif est insignifiant » ; je ne vous ferai pas l’injure de citer l’auteur que vous connaissez certainement ! Enfin. Je le rappelle : Talleyrand.
Excessif et à la limite de la désinformation, la présentation des élèves et de la prof : « Elle est blanche, cultivée et en jupe. Ils sont noirs, basanés et ignorants. » Ah bon ? Alors nous n’avons pas vu le même film ! je vous rappelle que l’un des deux élèves qui terrorise la classe, qui apporte le pistolet, qui va mourir est blanc, tout ce qu’il y a de plus blanc ! Je sais que cela vous dérange, que cette vision ne correspond pas aux schémas tout faits et combien rassurants d’un monde manichéen que vous et de trop nombreux autres journalistes, sociologues, vous plaisez à présenter : les bons et les méchants, les « basanés »(pour reprendre votre vocabulaire , terme que je n’ai jamais employé au long de ma carrière) et les blancs ! Que de simplisme de la part d’un intellectuel, donneur de leçons !

Excessif « les filles la méprisent » ; Ah bon ? Mais, encore une fois, nous n’avons pas vu le même film. Peut-être avez-vous oublié, peut-être avez-vous dormi, ou enfin peut-être n’avez-vous pas vu le film ? Je vous rappelle que c’est une fille qui va prendre sa défense, une basanée (eh oui encore une !) et qui va la sauver : mais elle non plus ne rentre pas dans vos schémas simplistes ; elle est belle, pas voilée (là cela vous dérange !), elle a envie d’étudier, de s’intégrer, mais elle ne peut avoir accès à la culture de la prof à cause de « voyous » qui terrorisent la classe et font régner la loi du plus fort, de la vulgarité, de la rue. Et ce voyou l’empêche d’accéder au savoir qui lui permettrait d’avoir une place dans la société. Mais vous, cher monsieur, que savez-vous de ces problèmes ? Avez-vous été confronté à la souffrance des filles dans ces quartiers où règne la loi du plus fort ? Avez-vous été confronté, en tant qu’adolescent à ce que vit le jeune « basané » (encore un !) qui se révolte contre le voyou en chef et qui se fait « casser la figure » ! Mais où donc vivez-vous pour avoir une vision aussi manichéenne et dangereuse de la société ? A vous lire, le voyou en chef est une pauvre victime… des filles, de ses compagnons de classe qui n’osent pas lui tenir tête, de la prof. C’est grave et va à l’encontre de tout ce que nous demandent ces enfants qui vivent dans des quartiers en souffrance, dans des familles en souffrance, et pour qui l’Ecole représente la seule possibilité de « s’en sortir ». Mais, vous qui prenez la défense de celui ou ceux qui imposent par la terreur leur loi, vous vous faites le complice de cette situation. Aider ces jeunes en difficulté, c’est prendre leur défense, quelle que soit « la couleur » de leur peau ; ce sont, ne vous en déplaise, eux les victimes.
Venons-en maintenant aux adultes : « le malaise recherché aurait été autrement plus dense et intéressant si le propos n’avait pas été parasité par une contextualisation censée dépeindre ce désastre collectif à travers, en vrac, des profs démagogues, un proviseur lâche… ». Ah bon, cela n’existe pas ? Pour votre information, je vous renvoie au rapport Obin (membre éminent de la hiérarchie de l’Education Nationale » qui parlant de problèmes de violence, d’antisémitisme dans les établissements scolaires, dit que là où l’administration est ferme, là où les profs sont solidaires, ce genre de problèmes disparaît. Mais votre attitude est dangereuse et dessert ceux que vous prétendez aider. Ces élèves que j’ai bien connus, que j’ai aimés, à qui je voulais transmettre tout ce que l’Ecole Républicaine, Laïque m’avait donné, à moi, fille d’immigrés, me permettant de devenir en une génération prof de lettres et élue de la République, ces élèves en fait vous les méprisez, je dirai même que cela vous arrange de les laisser « à part », dans leur territoire, (qu’ils ne viennent surtout pas vous déranger, qu’il ne viennent surtout pas troubler le monde tel que vous le concevez).
Cher Monsieur, je vous plains ; voyez-vous, j’ai eu la chance pendant 30 ans, de quitter les beaux quartiers, de changer « de planète » tous les matins, de rencontrer des élèves formidables qui refusaient d’être confinés, comme vous et vos pairs le faites, dans des rôles dont ils souffrent. Et jamais vous ne saurez la joie que j’ai éprouvée lorsque j’ai emmené mes élèves sortis des «Territoires Perdus de la République », voir à la Comédie Française, les Fourberies de Scapin, avec dans le rôle principal, Philippe Torreton.
Mireille Kukawka

L’ARTICLE SCANDALEUX DE BRUNO ICHER, DANS LIBERATION

Molière en joue
Tableau noir. Le retour d’Adjani en prof qui prend sa classe en otage.
La Journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld avec Isabelle Adjani, Denis Podalydès, Yann Collette… 1 h 28.
Ce n’est pas d’hier que les enfants font peur à la société qui les a engendrés. Les librairies et vidéothèques sont pleines de livres et de films qui rappellent que l’angoissante impuissance d’un système face à une jeunesse en perdition n’est pas caractéristique de notre époque. Ce n’est pas une raison pour conclure que tout va bien mais, entre un fatalisme aussi coupable que confortable et le drame prophétique qu’est la Journée de la jupe, il y a un certain fossé.
Le film de Jean-Paul Lilienfeld imagine une prof de français au bout du rouleau qui prend sa classe en otage avec un pistolet confisqué à un jeune voyou. Elle est blanche, cultivée et en jupe. Ils sont noirs, basanés et ignorants. Les garçons la traitent de pute et ne l’écoutent pas, les filles la méprisent. Maintenant qu’elle a un flingue entre les mains, ça change la donne, et ce cours de français sur Molière, ils vont l’écouter de bout en bout, le canon sur la tempe.
On peut estimer qu’il y a quelque chose de salutaire à provoquer un profond malaise par le truchement de cette femme réduite pour se faire entendre à basculer dans une violence qu’elle a justement condamnée toute sa vie.
Le message est clair : un jour, ça arrivera. Mais le malaise recherché aurait été autrement plus dense et intéressant si le propos n’avait pas été parasité par une contextualisation censée dépeindre ce désastre collectif à travers, en vrac, des profs démagogues, un proviseur lâche, des flics belliqueux, des politiciens cyniques et des parents d’une rare malhonnêteté intellectuelle. Même si le scénario retombe sur ses pattes, on regrette que ce film n’ait pas eu le cran de se résumer à un huis clos, aride et explosif, entre cette prof qui bafoue ses principes et des gamins piégés à leur propre jeu cruel. D’autant plus regrettable qu’Isabelle Adjani, qui capture l’image comme personne, avait choisi de revenir devant une caméra pour un rôle qui, compte tenu de sa carrière et de ses origines, trouve en elle un écho forcément douloureux.
BRUNO ICHER Libération

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