Réponse à un contradicteur de RL, qui confond la violence – légitime – de l'Etat et celle des racailles

Et si le mal existait vraiment ?
Le débat de l’été est lancé avec Malakine, qui a répondu à notre article.(1) Son argumentation se résume à dire que nous désignerions les musulmans comme des boucs émissaires de l’ensemble des problèmes de la France, alors que notre pays connaîtrait une crise systémique due à notre propre dégénérescence post-soixante-huitarde, à l’hyperindividualisme dont le président Sarkozy serait le modèle paradigmatique. Le mal serait en nous, et la solution pour le « néo-réactionnaire » qu’il se targue d’être (comme le dit François Miclo : « pourquoi néo ? ») serait de « réhabiliter l’autorité partout, à de nouveau être en mesure de penser le collectif comme quelque chose sinon de sacré au moins supérieur à l’individu, et à redonner du sens, des repères et du plaisir au vivre ensemble. Et cela dans toute la société française, pas seulement dans les quartiers sensibles. » Cependant, Malakine pense que « la guerre contre les racailles » est un piège électoraliste du « sarkozysme finissant », il a « la désagréable impression que le discours type riposte laïque prépare le terrain idéologique pour une vaste offensive militaro-judiciaire contre les quartiers sensibles qui assurera la réélection de Sarkozy. » Il ne croit pas du tout en « la possibilité de transformer une société et une culture, dominante ou minoritaire, par la répression policière et la sanction pénale » et compare cette hypothèse avec le combat soviétique pour déchristianiser la Russie, qui n’aurait eu pour effet que d’enfanter de nouveaux Russes complètement bigots. Il conclut en pensant qu’une « politique de laïcité intégriste résolument anti-islam, l’assimilation par la force publique, la surenchère répressive ou la tolérance zéro absolue, auraient à n’en pas douter le même succès. »
Ce qui m’intéresse dans ce débat avec Malakine, c’est de mettre en lumière et en déroute deux idées qui ont l’air d’être frappées du coin du bon sens, deux idées qui flottent dans l’air du temps, qui sont « dans toutes les têtes », comme disait Guy Debord. Il s’agit de deux idées girardiennes (3) devenues folles, intrinsèquement liées l’une à l’autre, et qui forment la colonne vertébrale de l’article de Malakine. La première fausse bonne idée, c’est ce que Malakine appelle la « bouc-émissarisation » des musulmans, dont Riposte Laïque serait le fer de lance. J’ai déjà démonté cette dénonciation, dans un article vieux de deux ans. (2) Malakine, comme tant d’autres esprits aguerris et sensibles aux mécanismes de désignation des boucs émissaires, croit fort sage d’affirmer que toute désignation d’un ennemi est la création d’un bouc émissaire. Il oublie de vérifier si celui dont les agissements sont dénoncés comme mauvais est véritablement innocent ou non. Car la structure de la dénonciation d’un bouc émissaire, et celle d’un ennemi véritable se ressemblent certainement, cependant la première ne vérifie pas le bien-fondé de ses accusations, tandis que la seconde met en avant des réalités, des faits têtus, et non des fantasmes.

M. Malakine concède qu’il y aurait peut-être quelque vérité dans nos dénonciations, bien qu’il hurle avec les moutons en écrivant « Vous jetez de l’huile sur le feu en diffusant de la haine comme si elle pouvait constituer une réponse adaptée à la violence. » Il entrevoit que s’il était d’accord jusqu’au bout avec nos analyses de la réalité, il faudrait envisager « une vaste offensive militaro-judiciaire contre les quartiers sensibles ». Et cette perspective, il ne peut la soutenir. Ce qui l’en empêche, c’est la deuxième idée girardienne mal digérée, à savoir de concevoir la violence de l’Etat et la violence des bandes organisées comme des doubles mimétiques monstrueux, aussi dépourvues de légitimité l’une que l’autre. C’est pourquoi il croit que « la violence d’Etat exercée contre ces groupes sociaux désignés comme les ennemis ne fera que diffuser encore un peu plus ce mal qui ronge la société française : l’individualisme, le repli sur soi, la peur généralisée, l’anxiété érigée en principe émancipateur, la défiance à l’égard de l’autre, la déliquescence de l’idée de nation, la violence sourde et la loi du plus fort. Au final, ce n’est (sic) plus quelques bandes de racailles contrôlant des zones de non droit que nous aurons à gérer, mais de véritables tensions communautaires, un scénario à la Belge avec deux communautés qui se replient sur leur identité, s’ignorent, se rejettent, s’accusent mutuellement de racisme et se combattent à la moindre occasion. »
S’il s’agit là encore d’une idée girardienne devenue folle, c’est parce que d’emblée elle oublie que la violence d’Etat est la seule légitime, parce qu’elle doit être la seule possible. Renvoyer dos-à-dos policiers et voyous, en faire deux jumeaux monstrueux, indifférenciés et aussi infondés dans leur violence l’un que l’autre, c’est avouer n’avoir jamais rien compris ni à René Girard, ni à l’essence de l’autorité politique. La violence d’un Etat de droit est la seule légitime, celle d’une bande de voyous ne le sera jamais. C’est parce que Malakine ne se pose jamais cette question centrale de la légitimité de la violence, qu’il peut comparer la manifestation réelle de l’autorité, c’est-à-dire sans avoir peur de mots, l’envoi de l’armée pour éradiquer les bandes de voyous, qu’elles soient composées d’intégristes musulmans ou non, avec les exactions soviétiques contre l’Eglise orthodoxe russe. Cela est un réel amalgame délirant, qui passe pour une idée très fine, alors qu’elle confond ce qui doit absolument rester distinct : le bras armé du droit avec le bras d’honneur du malfrat. C’est cette fausse sagesse girardienne que renferment l’expression « ne pas jeter de l’huile sur le feu » et le reproche de « répondre à la violence par la haine ». Sa fausseté consiste à indifférencier ce qui doit absolument rester distinct : la violence injuste, et la riposte (laïque) légitime à cette injustice, perdant ainsi l’intelligibilité des phénomènes sociaux et, partant, toute capacité d’action.

Cela montre à quel point M. Malakine ne sait pas de quoi il parle lorsqu’il souhaite « réhabiliter l’autorité partout », s’il ne sait plus faire la différence, dans le domaine pratique, entre violence légitime et violence injuste, et dans le domaine théorique, entre incitation à la haine et dénonciation de l’injustice. Ce qu’il appelle de ses vœux, le contenu politique réel de ce collectif qui est « sinon sacré, au moins supérieur à l’individu », c’est exactement ce qu’il craint : c’est la violence étatique légitime, « sacrée et supérieure », qui désarme toutes les autres violences individuelles, profanes, inférieures et injustes. Au lieu de nous demander à nous de veiller à « ne pas dénoncer des effets dont nous chéririons les causes », Malakine ferait bien lui-même de ne pas souhaiter des « actions thérapeutiques » dont il abhorrerait les manifestations concrètes.
Enfin, il est farfelu de voir dans Riposte Laïque « des boutte-feux à la solde d’un pouvoir en perdition ». Il faudrait nous lire avant d’avancer de telles inepties. Car pour résumer notre position face à Sarkozy, on aimerait lui demander « Où est le karcher ? » Il ne suffit pas de tenir un discours sécuritaire, il faut encore rétablir véritablement la sécurité dans les quartiers insensibles. Les modestes gens ne se paient pas de mots, ni d’attitudes virilistes. Il a été très risqué de promettre de régler le problème de la sécurité et d’avoir déçu cette attente. Le non respect de cette promesse électorale-là est trop facile à vérifier pour ceux qui vivent dans les « territoires perdus de la République ». C’est pourquoi l’issue des élections de 2012 est une véritable inconnue. Ce qui me semble plus grave, c’est la perte de crédibilité des institutions de l’Etat dans son ensemble que cette promesse non tenue entraîne sur le court et le long terme. Car si l’Etat perd définitivement sa légitimité, alors il deviendra un violent parmi les violents, indistinct dans la mêlée, et la guerre civile n’est vraiment pas loin.
Radu Stoenescu
(1) http://horizons.typepad.fr/accueil/2010/07/et-si-le-mal-tait-en-nous-rponse-riposte-laique.html
(2) Je me réfère bien sûr aux analyses de René Girard.
(3) « C’est une très belle idée, véritablement chrétienne, que de dénoncer les mécanismes de désignation de boucs émissaires. C’est une avancée culturelle de taille, que d’avoir appris après des siècles de persécutions, qu’il ne faut pas croire que telles personnes sont le diable incarné et qu’il suffirait de les occire pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. La plus grande ruse du diable n’a pas été de nous faire croire qu’il n’existait pas, mais plutôt de nous faire croire qu’il existait, qu’il était bien identifié, que c’était le Juif, l’homosexuel, la sorcière, le Noir ou l’athée. Mais c’est parce que nous sommes à présent tous au courant de cette première ruse, que nous sommes victimes de la seconde : celle de nous faire croire qu’il n’existe pas ! Nous craignons de définir précisément et légitimement « l’étrangeté haïssable » parce que nous croyons que le faire, c’est succomber à la première ruse du diable. Nous avons peur de circonscrire une des causes des maux de la société, parce que la définition précise d’un mal nous apparaît comme la désignation d’un bouc émissaire. » http://www.philo-conseil.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=32&Itemid=58

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