Réponse à une lectrice

Courrier de notre lectrice
Bravo, Christine Tasin, pour votre analyse très complète d’un énorme
gâchis, à tous niveaux.
L’injection de toujours plus de « moyens » n’est effectivement pas
LA solution à une situation dont vous faites bien de rappeler les
causes.
L’hétérogénéité absolue dans le collège unique est un problème que
j’ai bien connu : n’a-t-on pas confondu pendant plus de trente ans
l”égalité DANS l’école et l’égalité DEVANT l’école ? Les très bons
élèves s’y débrouillent. Mais pour les moyens, et a fortiori les plus
fragiles, la réduction progressive des horaires, en français surtout, a
conduit à l’équivalent du régime de la double peine…
Quant aux méthodes de jadis, qui ont fait leurs preuves, et qui
reposaient sur l’émulation et la sélection, elles sont devenues
impensables aujourd’hui et seraient contestées par nombre de parents
d’élèves !
Même au bac de français, on ne peut plus enlever qu’un maximum de 2
points à une copie truffée de fautes (c’est-à-dire plusieurs fautes par
ligne). Et s’il n’y avait que l’orthographe, ce ne serait encore pas si
grave… puisqu’elle sera tôt ou tard réformée. Mais ce sont aussi le
vocabulaire, la syntaxe, l’aptitude à construire un raisonnement qui font
surtout défaut…
Les correcteurs ont des consignes d’indulgence, au brevet et au bac, que
l’on ne soupçonne généralement pas… La longueur des dictées a été
divisée par trois ou quatre. On n’a plus le droit d’enseigner la grammaire
de façon normative, l’apprentissage ô combien formateur du résumé de
texte argumentatif a été supprimé des programmes des lycées, etc.
L’essentiel est depuis des décennies de masquer ce scandale : l’échec,
mais pas de l’éradiquer… Cela coûterait bien trop cher… De toute
façon, selon un rapport de l’OCDE que j’ai parcouru il y a déjà
quelques années, on a besoin d’une minorité de citoyens pour faire
tourner l’économie mondiale, alors à quoi bon en faire des personnes
instruites et critiques?
J’ai choisi mon métier par amour ET par goût pour les lettres à la
fois. Je crois analyser assez bien les origines de ce qui fut réellement
pour moi une “vocation”. (Comme dit Robin Williams dans “Good morning
Vietnam”, “j’ai toujours voulu enseigner avant de mourir” ! Rire jaune…
Pourtant je suis la seule enseignante (et presque la seule fonctionnaire,
agnostique) d’une famille de cadres moyens, catholiques pratiquants de
surcroît.
Mais mes parents étaient sociables et ouverts. Ils chantaient dans une
chorale, faisaient du théâtre en amateurs, avaient une vie associative
riche et intéressante… Ils avaient donc des amis enseignants, auxquels,
sans doute possible, j’ai dû m’identifier car ils étaient sympas,
blagueurs ! J’adorais assister aux répétitions…
J’ai par conséquent été leur (bonne) élève dans leurs classes, en
primaire puis dans un agréable collège semi-rural, arboré et fleuri.
Ils entraient toujours en classe avec le sourire, savaient se montrer
fermes et souples, toujours justes.
Il faut dire que nous étions faciles, un petit peu craintifs aussi, comme
il faut l’être car la relation enseignants-enseignés, à mon avis, n’est
pas une relation égalitaire.
C’était l’époque des Trente Glorieuses. Les problèmes sociaux,
économiques, familiaux n’étaient pas comparables à ceux d’aujourd’hui.
Les parents faisaient majoritairement confiance aux profs, les aberrations
pédagogistes commençaient tout juste à apparaître, on ne proposait pas
de stages pour “gérer” la violence à l’école, qui était encore un
sanctuaire à l’entrée duquel on laissait ses souliers…
C’est ainsi que, tout naturellement, j’ai voulu leur ressembler, à ces
bons maîtres.
La suite a été une longue série de satisfactions, mais aussi de
déconvenues, avec le sentiment fréquent d’avoir été dupée, pour les
raisons que vous évoquez.
Je sais pour l’avoir vécu que dans certaines zones, ce métier est
quasiment impossible.
Un jour, insensiblement, on se rend compte que l’on n’a plus le feu
sacré… qu’on est usé et désabusé… que l’on perd pied…
On éprouve le sentiment terriblement dévalorisant d’être inutile, de
parler dans le vide… On expérimente sur des cobayes les nouvelles
théories parfois aberrantes des chercheurs en sciences de l’éducation…
On déprime. On reçoit la visite d’un inspecteur qui vous “conseille” de
faire moins de grammaire et d’orthographe, d'”ANIMER vos classes avec plus
d’entrain” (sic). On a un chef d’établissement laxiste et démago, puis le
ministre Allègre… Les parents croient les calomnies répandues depuis la
rue de Grenelle. On n’ose plus prendre de sanctions de peur d’en subir
soi-même… Les élèves, les grands frères, les géniteurs vous
menacent si vous faites votre travail…
Alors… On rêve de retraite, mais elle est encore loin… On n’a pas de
goût particulier pour l’administratif…On se surprend à penser
démission ou congé de longue durée…
On finirait par tomber réellement malade. Car, n’en déplaise aux psys de
la MGEN, la situation dans les zones difficiles est une condition
pathogène. J’ai encore envie de hurler quand je les entends dire que les
dépressions d’enseignants sont essentiellement dues à des causes
exogènes
J’ai fait ma CIP (crise d’identité professionnelle) qui dans certains cas
peut conduire à la TS (tentative de suicide) il y a neuf ans dans un
collège devenu assez “sensible” à deux pas de chez moi (quelle erreur
d’habiter si près ! Je vous épargne les détails, les plaintes
déposées…). J’ai finalement trouvé il y a quelques années une
solution qui actuellement me convient passablement : un “bon” lycée
général de centre-ville… à trente kilomètres de chez moi, dans
lequel la plupart des élèves sont, comme presque partout aujourd’hui
dans ce type d’établissements, de très agréables clampins.
Depuis ce temps, j’ai vu la naissance du site Note2be, heureusement
condamné, après un procès, à disparaître sous son ancienne forme,
mais tout à fait dans l’air du temps. Nous vivons actuellement, je
pense, la mise en place d’un régime bonapartiste mâtiné de pétainisme,
où la délation, le cynisme et le mépris de l’autre se développent et
sont encouragés pour calmer les frustrations de certains… Quel
véritable recul, nécessaire et indispensable, peuvent avoir des
collégiens – et même des lycéens – pour juger avec finesse de la valeur
d’un enseignant, de la validité de ses démarches, de la pertinence de ses
méthodes ? (sauf cas très particuliers d’inaptitude manifeste à
l’enseignement). Quant aux parents, que savent-ils, à distance, de la
réalité de la classe ? Ce que leurs enfants leur disent… et leur
cachent…
Nous avons pris connaissance, plus récemment encore, de l’appel
d’offres publié par Xavier Darcos avec le Ministère de l’Enseignement
Supérieur et de la Recherche de Valérie Pécresse, d’une valeur totale
de 220 000 euros, dont l’objectif est l’identification des sources
d’information et des lieux de débats, sur Internet, qui peuvent
constituer un “risque opinion”. Attention, jeunes collègues, attention à
l’avancement de votre carrière si vous vous exprimez sur des blogs ou
des forums de discussion !
Le régime actuel crée une situation de précarité – économique,
affective, idéologique – pour mieux passer en force. C’est en quoi il
est, sans aucun doute, fascisant. La mode Vichy revient… Faut-il pour
autant se tenir à carreaux ? Ah non ! Résistons… et votons ! Mais
existe-t-il encore, en face, une grande puissance d’opposition ?…
Pour conclure sur une note moins pessimiste, voici une citation trouvée
sur la page du portail du site « résistance pédagogique » ( http:
//resistancepedagogique.blog4ever.com/blog/index-252147.html )
“Si la machine gouvernementale veut faire de nous l’instrument de
l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la
loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine. Il
faut que je veille, en tout cas, à ne pas me prêter au mal que je
condamne.”
signé Henri David Thoreau , pour P.C.
Réponse de Christine Tasin
Chère lectrice,
Votre lettre est, hélas, un témoignage de plus de ce qu’est devenue l’école et de ce qu’est devenu le métier d’enseignant. Merci à vous.
Je ne partage pas, néanmoins, toute votre analyse. D’abord je mettrai un bémol sur l’enseignement de la grammaire : les nouveaux programmes de l’école primaire et du collège semblent aller dans le bon sens en lui redonnant en partie la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre. Mais ensuite, et surtout, je ne suis pas d’accord pour dire comme vous que “Nous vivons actuellement, je pense, la mise en place d’un régime bonapartiste mâtiné de pétainisme, où la délation, le cynisme et le mépris de l’autre se développent et
sont encouragés pour calmer les frustrations de certains”. J’ai déjà écrit, dans Riposte Laïque n° 40 ce que je pensais de telles assertions. Plus qu’un régime politique, il s’agit, à mon sens, d’une crise de société liée au libéralisme effréné et à la remise en cause des Etats-nations. Quand l’individualisme est la valeur principale, quand le consumérisme est le moteur d’une grande partie de la société, quand chacun, et surtout les politiques, sortent leur revolver à chaque fois qu’ils entendent le mot “culture”, quand les pédagogues et les sociologues bannissent le mot “effort”, quand l’Etat ce n’est plus “nous” mais l’autre, à tour de rôle l’ennemi contre lequel on porte plainte ou la mère vouée à donner sans compter et sans rien en échange, quand chacun est voué à subir, dans sa vie quotidienne, les conséquences des décisions prises à Bruxelles ou à Washington par des gens qu’il n’a pas élus et qu’il n’a pas mandatés à cet effet, alors, alors oui, se met en place une course en avant dans le “profiter” ou, mieux” le jouir, ici et maintenant ” de l’individu, eût-il dix ans, qui juge sa vie, sa petite personne et le moment présent plus importants que tout et que tous.
Enfin, la républicaine que je suis s’élève en force contre votre citation finale, tirée d’un site qui encourage les enseignants à ne pas appliquer les programmes et les textes officiels. Si le devoir de désobéissance peut se concevoir dans un régime pétainiste, avec des directives contraires à l’éthique et même à la morale comme l’arrestation d’enfants juifs, ce n’est absolument pas notre cas : il faut cesser de mélanger les choses ! Nous devons, d’abord, comme citoyens, appliquer et respecter la loi (si elle ne nous convient pas, votons pour que d’autres la changent) et, comme fonctionnaires, nous devons appliquer les textes.
On ne peut pas demander aux adolescents de respecter le règlement de leur établissement et accepter que les enseignants ne fassent pas ce pour quoi ils sont payés !
Cordialement
Christine Tasin

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