Au cours des deux premiers articles de cette série consacrée à la diversité culturelle (1, 2), j’ai développé une vision biologique, donc volontairement amorale, de l’hérédité culturelle. Par analogie avec le paradigme génétique, j’ai utilisé l’expression de « mèmes » proposée par le biologiste Richard Dawkins (3) pour désigner les éléments constitutifs du patrimoine culturel. Comme les gènes, les mèmes sont héritables (ils se propagent de génération en génération), quoique selon un processus différent (une contagion entre individus). Comme les gènes, ils sont soumis à la sélection naturelle (« lutte pour la vie ») et aux lois de l’évolution : Le nationalisme et l’impérialisme plus ou moins guerrier sont les manifestations naturelles de la lutte pour la vie entre les patrimoines culturels.
La loi naturelle : repousser les étrangers
Nous l’avons vu précédemment, la diversité culturelle est immense, au point qu’on peut se demander s’il existe une éthique commune à l’ensemble de l’humanité. Un principe moral commun existe, en effet, qui est de coopérer (jusqu’à un certain point) avec les membres de son groupe d’appartenance, mais de tenir à distance, voire de combattre si besoin, les étrangers. Pour cela, l’homme est sujet à une xénophobie naturelle, que l’on a pu aussi mettre en évidence dans certaines autres espèces animales, chez les insectes sociaux notamment. Il s’agit d’une phobie (répulsion instinctive) vis-à-vis de tout ce qui est étranger, à commencer par les individus issus d’autres populations. Bien qu’à ma connaissance on n’ait jamais trouvé de gène lié à ce comportement, je parierais volontiers que celui-ci a été favorisé par la sélection naturelle, pour la simple raison qu’il est doublement avantageux : d’une part il contribue à l’emprise territoriale du groupe, et d’autre part il évite l’introduction de gènes étrangers – et, dans les populations humaines, de mèmes étrangers – qui pourraient se révéler inadaptés.
À la différence de la xénophobie naturelle, le racisme est une démarche plus ou moins volontaire et intellectualisée, donc exclusivement humaine, encore que le racisme « ordinaire » que l’on rencontre chez beaucoup de gens ne soit qu’une simple radicalisation de la xénophobie. Même si, à l’instar de la xénophobie et pour des raisons analogues, le racisme a pu être favorisé par la sélection naturelle dès la préhistoire, il a été fortement développé à partir du XVIIe siècle par l’expansion de la colonisation et de l’esclavage : Seule une croyance dans une supériorité qui donnait un droit à disposer des peuples jugés inférieurs pouvait en effet justifier ces pratiques impérialistes en totale contradiction avec la morale chrétienne. Les mèmes racistes ont donc fortement contribué à l’épanouissement de notre belle civilisation occidentale… Accessoirement, le racisme s’est doté (faussement) d’une prétention scientifique à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, suite au développement des connaissances en biologie – connaissances qui étaient alors très sommaires et qui étaient (et sont toujours) mal comprises du grand public.
L’illusion raciste : une vision génétiquement erronée
Le racisme consiste à attribuer aux « races » humaines (donc à leur hérédité génétique) des vertus (pour la sienne) et des vices (pour les autres), en fonction d’une échelle de valeurs résultant de sa propre culture que l’on croit universelle – un double contresens, génétique et culturel. J’ai traité, dans le précédent article (4), du contresens culturel qui consiste, par ethnocentrisme, à croire que nos « valeurs », même si nous y tenons à juste titre (parce qu’elles sont inscrites dans nos mèmes), seraient par essence supérieures à celles des peuples étrangers. Voyons maintenant le contresens génétique dont le racisme est porteur.
Une première remarque est que le terme de « race », qui désignait autrefois n’importe quel groupe infraspécifique, animal ou humain, présentant des caractères physiques communs, n’est plus guère utilisé par les généticiens d’aujourd’hui que pour qualifier les populations d’animaux domestiques dotées d’un livre généalogique. En toute rigueur, il ne convient donc pas aux populations naturelles en général et humaines en particulier.
Mais le plus important, au delà de cette question de terminologie, est que la référence à l’hérédité génétique est, sur le fond, fort peu pertinente. Nous savons en effet (op. cit., cf. note 2) qu’il y a bien une diversité génétique entre populations humaines, mais que la diversité intra populations est du même ordre sinon plus grande. Qui plus est, le concept de race (au sens commun) ne recouvre que des caractères physiques évidents à nos yeux (couleur de peau, forme du visage, etc.), mais qui sont peu fiables, parce qu’ils ont été très plastiques sous l’effet de la sélection naturelle lors des migrations passées. Ils sont donc biologiquement secondaires par rapport à d’autres caractères relevant de l’immunologie et de la physiologie (lesquels n’apparaissent pas dans l’aspect extérieur). Or la prise en compte de l’ensemble des critères disponibles, dans les recherches en génétique des populations humaines, conduit à des découpages de l’humanité à la fois très variables selon les critères privilégiés, et ne correspondant que très partiellement aux races traditionnellement définies. Donc, en se focalisant sur des descripteurs génétiques incertains alors qu’il a le plus souvent des motivations culturelles, le raciste se trompe d’objectif : Le racisme est avant tout une ânerie, non pas parce qu’il est xénophobe mais parce qu’il cherche à le justifier par des raisons génétiques qui n’existent pas.
À l’origine de cette illusion raciste se trouve la méconnaissance de l’hérédité culturelle – ce qui entraîne la croyance que les gènes sont à l’origine des mœurs caractérisant les différentes cultures. Or nous avons vu (op. cit., cf. note 2) que les énormes écarts linguistiques et éthiques entre les peuples rendent difficiles les échanges humains en général et sexuels en particulier – c’est dire que si ces peuples étaient appréciés selon les critères de la classification zoologique, ils auraient, faute de flux génétique suffisant entre eux, le statut de véritables sous-espèces. Les ethnies se créent donc par le développement de différences culturelles (5) accentuées par les migrations, et les différences génétiques entre ces ethnies résultent, par la suite, d’adaptations et de dérives génétiques mineures dans les populations ainsi séparées. L’illusion raciste consiste à prendre ces différences génétiques pour des causes alors qu’elles ne sont, au mieux (quand elles existent), que des conséquences.
L’analyse rationnelle des cultures et la xénophobie intelligente
En revanche, nous pouvons, objectivement, porter un jugement comparatif sur les caractères des différentes cultures humaines, et particulièrement des cultures immigrantes, et sur leur compatibilité avec notre propre culture. Dire alors, éventuellement, qu’il existe des incompatibilités nécessitant des précautions particulières à l’égard de l’immigration concernée – dire, par exemple, que l’Islam est une théocratie totalitaire qui n’est pas compatible avec une république démocratique et laïque – ne relève ni de la xénophobie naturelle (parce qu’il s’agit d’un jugement rationnel), ni du racisme (parce qu’il ne s’agit nullement de race). C’est ce que j’appelle une « xénophobie intelligente », par analogie avec le protectionnisme économique intelligent prôné par le Front National : Cette xénophobie intelligente, en effet, n’est autre que le protectionnisme intelligent de notre patrimoine culturel.
Or il est capital de remarquer ceci : La comparaison que nous avons faite précédemment (op. cit., cf. note 2) entre hérédité génétique et hérédité culturelle montre que, alors que le racisme est un rejet d’individus à cause de leur appartenance à un groupe génétique particulier, la xénophobie intelligente ne saurait viser, par principe, qu’une culture collective (l’Islam par exemple) et non l’individu (le musulman) qui en est issu. Celui-ci, dont les mèmes sont modifiables, ne présente en effet, a priori, aucun danger pour son pays d’accueil – sa communauté si, parce que c’est en son sein que se transmet l’hérédité culturelle inassimilable. Si certains individus deviennent des terroristes, ce n’est pas par génération mémique spontanée mais par endoctrinement sectaire – c’est cela qu’il faut combattre, et c’est (ou cela devrait être…) un des objectifs de l’enseignement dans un pays civilisé.
Par suite, associer la critique rationnelle de l’Islam (dite « islamophobie ») au racisme et à l’incitation à la haine visant des personnes est au mieux une ânerie, au pire une malhonnêteté intellectuelle d’autant plus répugnante qu’elle est proférée par des gens intelligents.
Jean-Marie Blanc
- « De la diversité culturelle (1) : Les gènes ne sont pas les seuls à être héritables, la culture l’est aussi », paru dans Riposte Laïque n° 395, février 2015 : http://ripostelaique.com/de-la-diversite-culturelle-1-les-genes-ne-sont-pas-les-seuls-a-etre-heritables-la-culture-lest-aussi/
- « De la diversité culturelle (2) : Du fait de son hérédité culturelle, l’homme est moins libre qu’il n’y paraît », paru dans Riposte Laïque n° 396, février 2015 : http://ripostelaique.com/de-la-diversite-culturelle-2-du-fait-de-son-heredite-culturelle-lhomme-est-moins-libre-quil-ny-paraît.html
- Richard Dawkins : « Le gène égoïste », traduit de l’anglais (« The selfish gene », 1976), Editions Odile Jacob, 1996 – Cf. chapitre XI « Les ‘mèmes’, nouveaux réplicateurs ».
- « De la diversité culturelle (4) : Nos ‘valeurs’ n’ont de valeur que pour nous », paru dans Riposte Laïque n° 398, mars 2015 : http://ripostelaique.com/de-la-diversite-culturelle-4-nos-valeurs-nont-de-valeur-que-pour-nous.html
- Ce qu’exprime, soit dit en passant, le mythe biblique de la tour de Babel (Genèse 11 : 1-9).