Filtrer le moustique et laisser passer le chameau (proverbe arabe)

En 2007 la Ministre de l’intérieur et des cultes Michèle Alliot-Marie avait  déclaré dans la presse qu’il fallait « toiletter » la loi du 9 décembre 1905 sur les cultes. Depuis plus rien jusqu’à ce que le Président de la République à la télévision, puis devant les députés UMP tienne ces jours-ci des propos nets et fermes à l’égard du comportement des musulmans, et la pratique de l’Islam sur le territoire.  Le lendemain les médias nous ont appris que le Président ne voulait pas d’un Islam « en » France mais d’un Islam « de » France, qu’il attendait des mesures concrètes, et préparait un grand débat sur la laïcité et la place des religions, prévu pour le mois d’avril. Constatant après Angéla Merkel et David Cameron que le multiculturalisme avait vécu (Multikulti) il a eu des phrases apparemment définitives « Je ne veux pas de minarets » « pas d’appels à la prière dans l’espace public » « pas de prières dans la rue ». Laïques réveillez vous le toilettage de la loi commence ! L’Islam serait dans le collimateur,  autorisons-nous à penser autrement.

Le Président vient de l’annoncer quatre ans après sa Ministre. Il n’a pas dit le mot mais c’est du toilettage dont il a parlé, et le vin sera amer, si nous n’y prenons pas garde. Le danger vient plus vite quand on le méprise, ou qu’on le néglige. Il ne faut pas modifier la loi de 1905 sur les cultes. Soyons décidés à la défendre bec et ongles, et pensons plutôt que la presse filtrera des moustiques pour laisser passer le chameau (proverbe arabe). De petites défaites en petites défaites, jusque là tolérées, la défaite sera énorme, et le chameau dur à avaler.

Ce débat abordera une série de questions : le nombre des lieux de culte, la  formation des Imams, le contenu des prêches, la langue dans laquelle ils seront tenus, et le financement du culte (musulman)… Il faut, selon le Président, aboutir à un corpus idéologique sur la place des religions en France en 2011. Tout est dit. Mais qu’a t’il voulu dire ? Toute la question est là. Quand un Jésuite descend de chaire on ne sait pas trop ce qu’il a voulu dire. Si on écornait cette grande loi de liberté publique, on ouvrirait portes et fenêtres à des guerres de religion, et on compromettrait une paix sociale chèrement acquise par nos ancêtres. La loi est de l’ordre du juridique, la laïcité est de l’ordre (entre autres) de la philosophie. La laïcité a inspiré la loi, et celle-ci a institué un Etat laïque. La loi suffit pour sauver la « laïcité à la française ». Point barre !

Où cela va-t-il mener si on y touche ? Au moment de l’installation du Conseil Français du Culte Musulman en 2003 sous prétexte d’avoir un interlocuteur identifié, l’Etat se mêlait de ce qui ne le regardait pas, et il avait déjà contourné la loi de 1905. En effet la création du CFCM, association loi 1901, n’était pas l’affaire de l’Etat. L’Etat n’était pas resté neutre devant  les représentants du culte musulman. Depuis cette date la situation a évolué tout est prêt pour un débat, y compris le but poursuivi qui est connu. Car ce ne sera pas le grand débat national, comme les Français aiment, ce sera un rattrapage intense de l’Islam. On s’en doutait depuis qu’un rapport (celui de la commission Machelon) a été rendu public en juin 2006. Mais on a ignoré le danger. En 2005 une lettre de mission du Président au Professeur Machelon précisait qu’« il (le Président) était convaincu, en raison des échanges qu’il avait eus avec les représentants des grandes religions, de la nécessité d’apporter un certain nombre d’amendements au corpus des textes (loi de 1905, dispositions du code général, des collectivités territoriales, du code de l’urbanisme, du code général des impôts…) régissant l’exercice des cultes et leurs relations avec les pouvoirs publics ». Tout était dit, et le toilettage écrit, mais surtout la dérive de la laïcité, porte ouverte à d’autres dérives. Pourquoi une dérive ? Les mots ont un sens. Une commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec l’Etat, œuvre dans un domaine différent de celui de la loi de 1905. Il y a donc bel et bien, une dérive de l’idéal de laïcité, et attaque de la loi. Nul doute qu’on reparlera des propositions de la commission Machelon dans les mois qui viennent.

La notion de laïcité « ouverte » est apparue, il y a quelques années, confortée par des décisions du Conseil d’Etat (affaire des foulards, affaire du Shabbat) et du Conseil constitutionnel, Le Conseil d’Etat considérait que la laïcité aujourd’hui était plutôt du domaine « des relations entre états et religions » que de la stricte application de la loi, et qu’elle était du domaine de la liberté d’expression individuelle. Mais cette liberté d’expression ne doit pas empêcher celle des autres, c’est notre « bien commun » républicain que l’Etat est la pour garantir, et empêcher les troubles. Il ne peut le faire qu’en se référant à la loi qui, définit notre « laïcité à la française ». Or cette laïcité dite « ouverte » marginalise la neutralité de l’Etat, fondement de la loi, et opère un glissement vers une autre conception. Mais comme elle est conforme à l’idée de laïcité dans les autres états d’Europe, cette dérive conviendrait parfaitement à l’Union européenne, ou le mot « laïcité à la française » n’est pas compris. Qui ne perçoit pas la perversité de ce glissement de conception de la laïcité ne saura pas ce qui va nous arriver. Puis la notion de « laïcité positive » (coup de piston ?) chère à Nicolas Sarkozy, fit son apparition. Si on associe la laïcité ouverte à la laïcité positive, on devine facilement les intentions de la Commission d’un rattrapage intense de l’islam. Ce n’est pas une surprise, puisqu’écrit en toutes lettres dans le texte du rapport. Il est hautement probable que ce débat puisera dans les propositions dans ce texte, et que l’Etat orfèvre en la matière saura filtrer les moustiques pour laisser passer le chameau

Il est intéressant de savoir ce que proposent les travaux de la Commission. L’introduction du rapport précise qu’à l’heure actuelle, la non-reconnaissance cristallise l’attachement des Français au principe selon lequel la République n’accorde de prééminence à aucun culte. L’Etat est neutre en matière confessionnelle. Il n’ignore pas pour autant le fait religieux. S’il ne reconnaît pas les religions il les connaît toutes. La diversification du paysage religieux français pose en termes renouvelés la question de l’égalité du traitement entre les cultes, le rattrapage de la religion musulmane, et des évangélistes. Il est permis de penser que, vu leur poids électoral, si on associe les évangélistes au texte, c’est pour amuser la galerie. Leur nombre est petit et les troubles à l’ordre public qu’ils provoquent inexistants. Si on les identifiait comme étant des sectes ils seraient tout bonnement interdits, Le rapport Machelon est présenté en cinq chapitres.( – lieux de culte – support institutionnel de l’exercice du culte – protection sociale des ministres du culte –législation funéraire – régimes particuliers à certains territoires). Les propositions s’articulent autour de quelques principes:

  • Renforcer les possibilités d’intervention des collectivités territoriales qui souhaitent développer, en toute transparence, une politique de proximité s’appuyant notamment sur l’intégration sociale et religieuse, dans le respect du principe de leur libre administration.  
  • Assouplir, sans pour autant le banaliser, le statut de l’association cultuelle prévu par le titre IV de la loi de 1905 afin, d’une part, de faciliter l’exercice du culte pour ceux qui y ont déjà recours et, d’autre part, d’inciter à l’utiliser ceux qui y sont encore réticents. L’objectif n’est pas de

Remettre en cause le libéralisme du régime juridique qui prévaut aujourd’hui, mais d’opérer un encadrement progressif, par le droit, de mouvements que leur manière d’exercer publiquement le culte place parfois aux frontières de la légalité *

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* (les musulmans comme les catholiques autrefois refusent d’être classés dans des associations cultuelles, transparentes mais  plus difficiles à gérer).

  • Accroître la transparence et la sécurité juridique en refusant de se satisfaire des montages à la légalité douteuse qui caractérisent trop souvent les projets de construction d’édifices du culte.
  • Réaffirmer les principes républicains qui impliquent le respect des croyances de chacun. Dans le cas contraire, le risque serait grand de voir des valeurs faisant aujourd’hui l’objet d’un large consensus perdre progressivement de leur force et de leur rayonnement, faute d’une adaptation des règles qui les soutiennent.

Certains points sont choquants, par rapport à la loi. L’aide directe au culte, la reconnaissance d’utilité publique à une association cultuelle (ce qui permet des subventions) et  une rémunération des ministres du culte contraires à l’article 2  de la loi de 1905. Cette « reconnaissance » serait ouverte à toute association à objet religieux, y compris les associations cultuelles de la loi de 1905. La Reconnaissance de statut et un financement en Alsace-Moselle, où déjà le régime est concordataire, et on fait pour l’Imam comme pour le curé, le pasteur ou le rabbin. Ce n’est pas tout.

Il faut lire les 80 pages du rapport, pour comprendre qu’on crée un fossé entre la loi de 1905 et la laïcité. On laisse entendre que la loi parait dépassée,  la laïcité de nos jours aurait un sens différent. Les arguments de la commission, vont tous dans la même idée d’un rattrapage intense de l’islam. Quelle dérive se  dégage de ces propositions ! Mais que va-t-on mettre en place ? Laisser le régime concordataire en Alsace Moselle pour payer les imams, au lieu d’unifier la loi sur tout le territoire ? Étendre le régime concordataire partout ? Homogénéiser les statuts des ministres du culte, et les payer tous ?  Payer les mosquées, leurs réparations, et les Imams par des aides directes ? Adopter d’autres propositions d’associations favorables à une société multiculturelle ? Pour le moment on ne sait pas.

Ce qu’il faut rappeler au pouvoir, c’est un sondage IFOP-La Croix de 2006 qui indiquait que 68% des Français étaient attachés à conserver la loi de 1905 en l’état. Il est probable qu’il y en a davantage aujourd’hui. Il est bon aussi de rappeler parce que nul ne sait ce qui ressortira du débat, qu’il faut se tenir prêt à se battre, veiller à ne pas baisser la garde, afin qu’on ne modifie pas la loi de 1905. Nous voila revenu au toilettage annoncé par Michèle Alliot-Marie. La presse s’emparera des moustiques en les grossissant, pour que nul n’y voie clair, et pendant qu’on s’étripera sur des broutilles, on laissera passer en douceur le chameau. Par exemple au nom même de la laïcité, d’un devoir d’égalité, qui serait nécessaire entre les religions, on pourrait concocter le diable sait quelle malice aux frais des contribuables.

Mais « Qui sème la burqa, récolte saint-Eloi ». Si demain tu donnes à l’un, il faudra aussi donner à l’autre, et nous serons confrontés à toutes les religions, qu’il faudra satisfaire un jour au nom de l’Egalité. Et pendant qu’on les satisfera, les mosquées réclameront encore un peu plus, au nom de la politique du toujours plus, et du rattrapage intense, cité par le rapport, jusqu’à ce que la coupe déborde, que la conscience du peuple se réveille et qu’il clame son hostilité dans les  urnes, ou ailleurs. Est-ce cela qu’on veut ? Mieux vaut prévenir que guérir. A moins que notre Président n’ait l’ambition d’un cesaro-papisme inavoué, mais c’est un autre problème pour lequel il faudrait que l’on questionne le Chanoine de Latran. Peut-être dans une autre émission des « paroles da Français » ? Qui joue trop avec le feu finit par se brûler.

Jack Petroussenko

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