Il y a dix ans, je renvoyais dos-à-dos Bush et Ben Laden

Je me souviens de ce 11 septembre 2001 comme si cela était hier. Je prenais mon travail à 16 h 30 au quotidien La Tribune, à côté de la place de la Bourse, à Paris. Je venais travailler à moto, et donc, le casque à la main, je me préparais à entrer dans l’immeuble. Je croisais alors un collègue de travail, dans un grand état d’excitation, qui me dit qu’ ILS avaient fait péter les immeubles de New York. Je savais qu’il n’aimait pas les arabes, étant fils de pied noir, et donc je le suspectais de dramatiser un fait divers banal.
Dès que je pénétrais dans la salle de rédaction, je compris que quelque chose de vraiment grave s’était passé. Plus personne n’était à son poste de travail, et tout le monde était agglutiné devant les téléviseurs, les visages défaits. Il y avait un silence de plomb. Deux populations, les ouvriers du Livre CGT et les journalistes, regardaient ensemble cet événement. Il est difficile de faire du manichéisme, mais les journalistes, dont beaucoup allaient régulièrement à New York, et y avaient des amis, semblaient beaucoup plus affectés que les ouvriers CGT, dont certains avaient le sourire aux lèvres. L’un d’entre eux, au bout d’un moment, ne put s’empêcher d’exprimer ce que beaucoup ressentait : “Bien fait pour la gueule des Ricains”.
Il y eut un silence poli des journalistes, bien que la majorité d’entre eux soit choqué par le propos. Les discussions se firent par petits groupes. Un journaliste ne cachait pas son admiration devant la détermination des combattants musulmans. “Ils vont gagner, ils sont plus déterminés que nous”. Ce qui me gênait est que cet homme, de culture gauchiste, ne semblait pas gêné par cette perspective. Chez les ouvriers, la haine du modèle américain l’emportait souvent sur l’horreur de l’attentat. Bush avait été élu président des États-Unis dans des circonstances contestées. Les manifestations anti-mondialisations, que les gauchistes appelèrent rapidement “alter-mondialistes” – pour montrer qu’ils n’étaient pas des nationalistes, mais internationalistes – étaient de plus en plus massives et violentes. La chute du Mur de Berlin paraissait assurer une victoire définitive au capitalisme, et le modèle américain paraissait devoir s’imposer de manière irrésistible partout dans le monde. José Bové passait pour un héros pour avoir démonté le McDo de Millau, deux ans plus tôt.
Personnellement, cet événement me laissait mitigé. D’un côté, les islamistes représentaient déjà, pour moi, le fascisme absolu. Les images des grandes messes de l’ayatollah Khomeiny, avec cette marée humaine décervelée qui n’avait que le mot “Allah” à la bouche représentait pour moi le sommet de l’obscurantisme et de la connerie humaine. Je n’avais pas oublié l’affaire du voile, en 1989, à Creil, ni la condamnation à mort de Salman Rushdie, pas davantage les attentats que la France avaient connus dans le métro parisien, Khaled Kelkal à Lyon, l’affaire du Boeing détourné où, je l’avoue, je m’étais réjoui que le GIGN ait allumé les terroristes du GIA algérien. Bref, pour moi, que ces fanatiques s’attaquent aux États-Unis était le signe qu’ils allaient passer la vitesse supérieure, dans leur guerre contre le monde occidental, pour nous imposer leur modèle moyenâgeux. Même si je n’étais pas encore capable, à l’époque, sans doute par crainte d’être taxé de raciste, d’exprimer les choses aussi brutalement, pour moi, de l’issue de cet affrontement dépendrait l’avenir de l’humanité. C’était clair dans ma tête, à défaut de l’être dans mon expression.
Mais en même temps, j’avais une grosse dent contre les États-Unis. D’abord, je ne pouvais pas aimer ce pays où le président jurait sur la Bible, et où les inégalités sociales étaient si élevées, et presque érigées en dogme. J’imaginais toute sorte de manipulation. Je n’excluais dont pas que des forces américaines aient pu participer à un attentat qui était une aubaine pour Bush. En effet, cela ressoudait le peuple américain autour de lui, et, pour le lobby militaro-industriel, c’était une aubaine économique. Les relations entre Ben Laden et la CIA, entre les familles Ben Laden et Bush, entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite me laissaient un malaise profond. Je n’avais pas oublié que ce pays avait été capable de tuer un président – Kennedy – de monter un coup d’ État au Chili, en 1973, et d’utiliser les Talibans contre les Russes, en Afghanistan. En toute logique, j’avais été scandalisé qu’on veuille imposer trois minutes de silence pour les victimes, comme si seuls les morts américains méritaient un hommage. De même, je ne m’étais pas identifié aux Américains, et avais jugé sévèrement l’édito de Colombani, dans “Le Monde”, intitulé “Nous sommes tous américains”. Américain, moi ? Jamais !
La suite ? Durant ces dix années, nous avons eu, en France et en Europe, une progression incroyable de l’offensive islamiste, favorisée par une immigration, essentiellement d’origine musulmane, qui a changé totalement la situation de nos pays. Aujourd’hui, il faut être aveugle ou sot pour ne pas se rendre compte que l’islam est parti à la conquête de la France, et de l’Europe. S’il n’y a eu que deux attentats spectaculaires, à Madrid, en 2004, et à Londres, en 2005, c’est tout simplement parce que les islamistes ont une autre stratégie : le temps, et la démographie. Comme le dit Erdogan, “grâce à votre démocratie, nous vous envahirons, grâce à notre démographie et nos principes coraniques, nous vous vaincrons”. Les dignitaires musulmans pensent donc que des attentats pourraient réveiller la conscience d’un peuple français et européen qu’ils pensent endormis, et qu’il est inutile d’en passer par là. Tareq Oubrou, le recteur UOIF préféré de Juppé, ne disait-il pas que “Rome pouvait être repris sans combat”. Ne pas comprendre que l’objectif des fondamentalistes musulmans ne peut qu’être une France musulmane, c’est aussi grave que ne pas comprendre que pour le capitalisme, c’est la règle du profit maximal.
Depuis à présent plus de huit ans, l’essentiel de mon engagement est contre l’islamisation de la France, même si, depuis la fondation de Riposte Laïque, c’est affirmé beaucoup plus clairement que quand je pensais encore nécessaire de ménager la bonne conscience de mes amis de gauche, notamment en séparant l’islam de l’islamisme.
J’ai appris, en huit ans, plein de choses que je ne connaissais pas sur l’islam. Bien qu’athée, je n’ai plus la même hargne contre la religion catholique, ce qui ne m’empêche pas de ne pas supporter les intégristes chrétiens, et tous ceux qui veulent que les lois religieuses se substituent aux lois de la République. La lutte pour une loi contre les signes religieux à l’école, en 2003, m’a ouvert les yeux sur ce qu’était devenu la gauche, et sur la duplicité de la majorité d’entre elle avec ce fascisme politico-religieux qu’est l’islam. Elle m’a également prouvé la dégénérescence des associations nationales laïques, bien plus à l’aise pour lutter contre une Église catholique dont la moyenne d’âge des prêtres est de 71 ans, que contre les fous d’Allah qui gagnent du terrain tous les jours.
Le 11 septembre 2001 a-t-il été déterminant dans mon engagement ? Très sincèrement, je ne le crois pas. Sans cet événement, nous aurions eu quand même le voile, le halal, le ramadan, les mosquées, la burqa et tous les autres symboles de conquête de la société française que les musulmans les plus déterminés nous imposent, avec le silence complice des musulmans dit modérés. Il me parait évident que cela m’aurait fait réagir. Mais nul ne peut nier que cet attentat a été un électrochoc, qui a rendu bien plus grotesque la prose de nos benêts compassionnels, sur la religion d’amour, de tolérance et de paix, seulement pervertie par quelques extrémistes qui ont mal lu le message du prophète !
Ces attentats m’ont aidé à clarifier des ambiguïtés qu’une culture de gauche dévoyée alimentait. Depuis cette date, j’ai compris que j’aimais vraiment mon pays, que j’étais très attaché à la séparation du religieux et du politique, à l’égalité entre les hommes et les femmes, et au droit à la libre critique de tous les dogmes, donc le droit au blasphème. Tout ce que l’islam ne peut pas accepter, et qu’il interdira, si, par malheur, il devenait majoritaire un jour en France.
J’ai également compris que la véritable menace fasciste ne venait plus du Front national, ou de nostalgiques de Franco, Mussolini, ou Hitler, tout aussi inquiétants soient-ils, ils n’étaient qu’une poignée, par ailleurs souvent fascinés eux-mêmes par l’islam. J’ai enfin admis que, quelles que soient mes réserves avec le modèle anglo-saxon, qu’il soit britannique ou américain, je me sentais plus proche de lui que des théocraties musulmanes.
Pour moi, les choses sont aujourd’hui très claires : plutôt la démocratie bourgeoise, même la plus imparfaite, que le fascisme islamique. La rupture est donc inévitable avec mes anciens amis, tant qu’ils se comporteront en alliés des fous d’Allah.
Pierre Cassen

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