L'amour vache: « Les Profs » et « Bienvenue à Profland »

Pas facile, pour des non-profs, de se rendre compte des difficultés et du vécu réel du « plus beau métier du monde. » Pas facile non plus pour les profs de se mettre dans la peau des adultes extérieurs à l’Education Nationale qui s’y retrouvent confrontés.
A la croisée des chemins, voici deux séries humoristiques qui font oeuvre pédagogique, mettant souvent le doigt là où ça fait mal, sans pour autant se montrer méchantes ou méprisantes. Sous la boutade subsiste l’estime des différents partenaires et le goût (ou la reconnaissance) du métier.
« Les Profs, » bande dessinée d’Erroc et Pica (11 volumes, éditions Bamboo) est une vision de l’extérieur. Les auteurs n’ont aucun lien avec l’Education Nationale, si ce n’est de l’avoir observée avec attention. En décortiquant la vie d’un lycée, depuis l’administration (le proviseur coincé entre son équipe pédagogique et un ministère dont il attend avec dévouement la providentielle prochaine réforme) jusqu’aux élèves (le cancre dont on ne compte plus les redoublements et qui a cessé depuis longtemps de s’en faire), en passant bien entendue par les profs (le prof d’histoire sympa, le prof de philo surprenant, le prof de chimie inquiétant, la prof de lettres sexy, la prof d’anglais peau de vache…) c’est tout le système qui est passé en revue.
L’ensemble est très bien croqué. Il s’agit bien sûr de types marqués, mais ni caricaturés ni stéréotypés à outrance, à quelques exceptions près – le collègue tire-au-flanc est de ce point de vue le moins intéressant, même si chacun, y compris en salle des profs, admettra connaître quelqu’un qui lui ressemble. On ne sait comment les auteurs se sont informés – un dessin les montre croquant leurs modèles lors de réunions parents-professeurs – mais ils l’ont fait consciencieusement et avec précision. Ils connaissent le jargon des IUFMs comme s’ils y étaient passés. S’ils poussent parfois jusqu’à l’absurde (le prof qui fait son cours en rap pour capter l’attention de ses élèves), il faut bien reconnaître que le mammouth, volontairement ou non, est souvent un univers bien kafkaïen…
La série accomplit le tour de force de susciter l’adhésion aussi bien des enseignants que celle des « usagers, » (élèves et parents) tout en demeurant essentiellement la vision de ces derniers – un certain nombre de représentations exagérées (très rarement erronées) révèlent la difficulté de communication entre les deux partis.
A l’inverse, « Bienvenue à Profland » est une vision de l’intérieur. Marie et Soph’, deux enseignantes blogueuses (Soph’ collabore également à Rue 89 comme illustratrice), nous présentent une série de petits livres thématiques (édition Magnard) dont les titres sont révélateurs: « Parlez-vous Mammouth ? », « Survivre en salle des profs, » « Ils sont plus nuls que l’an dernier, » « SOS, les parents débarquent! », « La cage aux fauves. »
Le trait est cette fois plus acerbe, plus adulte, plus sarcastique, et aussi souvent plus amer. Les portraits sont sans concession, même si l’EN (tous personnels inclus) en prend autant pour son grade que les élèves et leurs parents. Les profs s’y retrouveront tout à fait, mais je ne doute pas qu’une partie des « extérieurs » sera surprise, voire choquée par ce qu’elle y découvrira, et par les images et réflexions proposées.
Les auteurs (auteuses ?) ne prennent guère de gants. Elles transmettent le ressenti des profs sous la forme que ceux-ci utilisent souvent entre-eux pour laisser s’échapper la vapeur, sans grand souci du politiquement correct, et pratiquement sans recul. Le témoignage en est peut-être d’autant plus intéressant: le discours n’est pas celui d’un pédagogue sur un plateau de télé, mais celui du prof terminant sa semaine en fin de trimestre.
La confrontation des deux séries est intéressante, et fort utile pour se former une idée plus juste des positions des uns et des autres. Bien que les problèmes évoqués soient réels, ce ne sont pas des analyses théoriques du (dys)fonctionnement de l’Education Nationale. On n’y trouvera pas de programme ou de proposition de réforme-miracle. On ne peut pas même parler d’objectivité, surtout dans le cas de la série « Profland, » mais sans doute est-il plus que temps de prêter l’oreille à ces ressentis subjectifs. A elles deux, ces séries feront peut-être plus (auprès des âmes de bonne volonté) pour la compréhension réciproque des différents acteurs que bien des rapports, enquêtes ou tables rondes. Du moins, souhaitons-le…
Alain Bonet
Enseignant
Liens:
Les profs: http://www.bamboo.fr/catalogue/les-profs-tome-11-humour-job-187.html
Soph’: http://lestoujoursouvrables.over-blog.com/

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