La liberté religieuse est assurée dans nos sociétés démocratiques, mais, dans ce domaine comme en d’autres, la liberté des uns s’arrête (ou devrait s’arrêter) là où commence celle des autres. La liberté religieuse doit aussi s’insérer dans un ensemble de droits et libertés fondamentaux qui ne sont pas toujours faciles à concilier les uns avec les autres, et qui par là même, comme le soulignent tous les juristes, se limitent mutuellement. C’est donc de façon complètement abusive que la pratique juridique de ces dernières années tend à faire, de la liberté religieuse (surtout en ce qui concerne celle des religions les plus totalitaires) une sorte d’absolu devant lequel tout doit céder, y compris la liberté religieuse des autres (en particulier le droit de ne pas croire) et aussi l’égalité homme/femme et y compris le droit à la vie et à l’intégrité physique des individus. Accepter une telle pré-éminence, c’est oublier le droit : loin de placer la liberté religieuse au dessus de tout, les textes fondamentaux l’encadrent sévèrement. C’est aussi oublier l’histoire de l’humanité : la religion et la morale sont deux disciplines distinctes qui ne convergent que très difficilement. A la base, la religion est la recherche de l’augmentation de puissance par recherche du pouvoir surnaturel ou d’une protection divine contre les autres, ce qui n’est pas moral du tout. Une certaine convergence entre religion et morale se produit au cours de l’histoire des idées, principalement sous l’influence de la philosophie grecque, mais cette convergence n’est pas absolue.
LA LIBERTE RELIGIEUSE NE PREVAUT PAS SUR LES AUTRES DROITS FONDAMENTAUX
Les textes qui régissent les droits fondamentaux ne placent pas la liberté religieuse au dessus des autres, bien au contraire. En France, la loi de 1905 commence ainsi :
” Article 1er : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.”
La liberté religieuse passe donc après l’ordre public. Et pas seulement parce nous serions, par spécificité française, de méchants laïcards extrémistes. La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), en son article 9, prévoit une limite comparable. On peut y lire :
« Article 9 : 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Il résulte de ces textes que la liberté religieuse peut légalement être limitée au profit des autres droits et libertés. Elle doit être combinée avec eux et, en cas de conflit entre plusieurs droits fondamentaux, elle cède le pas. Il serait donc, en droit, parfaitement possible d’interdire les voiles islamiques (tous, en tous temps et en tous lieux) sur le motif que l’égalité homme/femme prévaut. C’est de façon parfaitement arbitraire qu’une propagande nous répête en boucle que le Parlement français ne pourrait pas voter une telle interdiction parce qu’elle se heurterait à des textes internationaux protégeant les droits et libertés fondamentales.
De même, on ne voit pas ce qui empêcherait d’exiger des différentes religions qu’elles cessent de recruter uniquement des hommes comme prêtres, rabbins et imams. L’interdiction de discrimer à l’emploi sur une base sexiste s’applique aux employeurs religieux comme aux autres.
Il faut en finir avec cette habitude de toujours adapter le droit quand le justiciable est religieux.
Cette habitude vient du fait qu’on a tendance à présumer que les religieux sont gens de bonne volonté. Malgré les bûchers de sorcellerie, malgré la mise en esclavage de la femme, malgré les lapidations, malgré les appels au meurtre des différents textes “sacrés”, les religions, quoi qu’elles fassent, semblent avoir un droit intrinsèque à ce que le public les situe du côté du bien ; on peut admettre que leur morale soit un peu vieux jeu, mais ce reproche est à la marge. Or, la religion ne se confond pas avec la morale ni avec le Bien. Toute l’Histoire nous dit le contraire.
LA RELIGION N’EST PAS LA MORALE
Dans un récent article paru dans Riposte Laïque, Sylvie Montout écrivait :
“Où s’arrêtera-t-on, à la fin, dans cette révérence envers n’importe quelle horreur, du moment qu’elle est religieuse ? En cas de renaissance des religions aztèque ou inca (tout est possible après tout), faudra-t-il accepter les sacrifices humains ?”.
Elle pose là, par l’exemple, un problème fondamental, à savoir que la religion n’est pas forcément morale et ne veut pas forcément le bien de tous. Des exemples de sacrifices humains ont été signalés il y a seulement quelques mois en Afrique et en Inde. Dans ce dernier pays, le dernier exemple connu de “sati” (sacrifice funéraire de la veuve) remonte à 1987 seulement. C’est loin ? Non. C’est à quelques heures d’avion.
En réalité, sous couvert d’une tolérance qui profite prioritairement aux plus intolérants, nos sociétés s’abstiennent de combattre vraiment des pratiques tout aussi meurtières que les sacrifices humains. Les frères Tariq et Hani Ramadan, dont le premier demande un simple moratoire sur la lapidation cependant que le second la trouve dissuasive, sont admis en France, publient, courent les plateaux de télévision et ne font l’objet d’aucune mise à l’écart. Le Sheikh Al Bouti, qui développe toute une théorie du jihad et prend bien soin de préciser que ce n’est pas une guerre défensive mais offensive, fréquente nos politiques avec qui il pose une première pierre de mosquée. Ce sont leurs adversaires qui doivent tourner dix fois leur plume dans l’encrier pour ne pas risquer de procès.
Il y a aussi des façons plus sournoises de tuer : quand le christianisme interdit la contraception à la femme, la transformant en esclave reproductive, il ne lui prépare pas une longue vie pleine de santé.
Un tel goût du sang n’a rien d’accidentel ni de marginal. La religion, à l’origine, est recherche de la puissance par association avec un dieu.
Dans la cité antique, y compris gréco-romaine, le culte religieux civique a pour but d’obtenir la faveur des dieux pour la cité. C’est l’équivalent de ce qu’est la magie pour l’individu, et ce n’est pas plus moral. On n’ obtient cette faveur ni par un comportement compassionnel ni par des effusions mystiques, mais en montrant aux dieux son respect par la solennité des céréromies. Le judaïsme antique donne aussi l’exemple d’un tel culte civique : un peuple passe contrat avec un dieu, il échange obéissance contre protection.
On sait que le Moyen-Orient antique connaissait le sacrifice des premiers-nés à divers dieux que, pour l’occasion, on appelait Moloch, c’est à dire : roi. Il ne s’agit pas là d’un nom propre mais d’un titre donné au dieu à l’occasion d’un tel sacrifice. Le Dieu de la Bible a été destinataire de tels sacrifices au moins jusqu’à l’époque du prophète Jérémie, puisque celui-ci tonne contre (Jérémie, VII, 30 à 32). Dans cette même Bible, reprise sur ce point par le Coran, le sacrifice d’Abraham est présenté de façon ambigüe : certes, Dieu refuse finalement qu’Abraham sacrifie son premier-né, mais il y était prêt et il est loué pour cela. Nous avons donc au moins un faisceau d’indices pointant vers le fait que le dieu des religions abrahamiques a, dans son arbre généalogique, quelques divinités dévoreuses d’enfants, au sens propre. Nous ne nions pas le fait qu’elles ont évolué positivement depuis cette époque, mais cette évolution est inégale, et le cadavre de Moloch bouge encore parfois.
LA MORALE ET LA RELIGION, CONVERGENCES PARTIELLES
L’histoire des religions nous montrent que celles-ci ne convergent avec la morale que tardivement, incomplètement, de façon laborieuse et ambigüe. Des convergences positives entre morale et religion peuvent certes se produire ; il en va ainsi dès l’antiquité égyptienne, comme le montrent les “confessions négatives” de certains Livres de Morts. On peut également citer les Dix commandements de la Bible.
Mais que vaut le “Tu ne tueras pas” du Décalogue, quand les appels au meurtre (de la femme adultère, du peuple cananéen dont la terre est convoitée, d’autres encore) s’étalent à longueur de page ?
Par la pratique religieuse, une collectivité recherche la même chose que convoite l’individu par la pratique magique : un surcroit de pouvoir ou de richesse, la victoire sur ses ennemis. L’un et l’autre sont prêts à donner les contreparties au dieu en échange des biens convoités. En général, il s’agit de marques d’allégeance. Tel est encore le cas dans l’islam, où la prière consiste surtout à répêter à Dieu qu’il est le plus grand et qu’on lui obéira.
Heureusement, les religions antiques n’avaient pas le monopole de la morale, ni même des relations avec les dieux, puisque la philosophie grecque comportait un volet métaphysique. La philosophie couvrait alors un champ plus large qu’aujourd’hui. Elle ne se bornait pas à susciter réflexions et échanges d’idées, mais elle recherchait une connaissance aussi vaste que possible, y compris dans le monde invisible, et s’attachait à transformer l’individu positivement par la maîtrise des passions. La philosophie grecque a contribué largement à la formation du christianisme, qui doit beaucoup au néo-platonisme, ainsi qu’à Aristote. Elle a aussi beaucoup contribué à la formation du bouddhisme, qui eut de grandes heures de gloire dans des royaumes régis par des généraux d’Alexandre et leurs descendants. D’une façon générale, les religions les plus capables d’évolution positive de mon point de vue, c’est à dire le christianisme et le bouddhisme, sont celles qui ont, dans leur code génétique, un important héritage de philosophie grecque.
Ces religions réalisent une certaine convergence avec la morale, puisque c’est par l’amour et la compassion pour le prochain que le croyant espère améliorer son sort post mortem. Cette convergence n’est toutefois pas une règle absolue pour toutes les religions, ni en tous temps ni en tous lieux ; elle n’est en aucun cas un constituant de base de la pensée religieuse.
Cette convergence reste toujours ambigüe. Déjà, dans le cas d’un culte civique (et toutes les religions le sont un peu, dans des proportions plus ou moins grandes), la collectivité recherche la protection contre ses ennemis et la victoire à la guerre, ce qui ne promet guère la non-violence.
Une autre source d’ambiguïté est la façon dont les religions savent faire cause commune contre l’adversaire laïque. A cet égard, il est symptomatique que les autorités chrétiennes, objet de toutes sortes de violences dans des pays musulmans, ainsi que de harcèlements caractérisés en France même (caillassages, …) , nient tant que c’est possible le rôle de l’islam dans ces persécutions, et réservent leurs reproches aux laïques, pourtant “coupables” tout au plus de critiques intellectuelles, voire, dans le pire des cas, de manifestations de mauvais goût (“kiss in” d’homoxesuels).
Et surtout, il y a toute la “morale” sexuelle qui vise à conforter l’ordre social, donc le pouvoir masculin. Parmi les Dix Commandements, Yahveh oublie de dicter le “Tu ne violeras pas”. D’une façon générale, nos religions abrahamiques d’amour, de tolérance et de paix sont très compatibles avec un niveau élevé de maltraitance des femmes, dont l’éventail s’étend d’une mise en esclavage reproductif (interdiction de la contraception) pour les “moins graves” jusqu’à la lapidation de femmes “adultères” (entendez par là : de femmes ayant eu des relations hors mariage, y compris par viol).
La tolérance abusive dont bénéficie l’islam est symptomatique du fait que cette religion ne fait que pousser à l’extrème des tendances barbares que les autres religions refoulent. Pour appeler cela de la morale, il faut avoir une conception un peu singulière du bien et du mal.
Catherine Ségurane