Les Egyptiennes invitées à ôter le voile qui les opprime !

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« Entre vous et moi, 1400 livres que j’ai lus, entre vous et moi 15 livres écrits après des nuits blanches… Des centaines d’heures de discussions avec les géants de la pensée tels que Lois Awadallah, Naguib Mahfouz, Mohammed Arkoun, pour n’en nommer que quelques-uns. Des centaines de conférences en français et en anglais dans divers pays du monde. J’ai travaillé pendant cinq ans à l’Unesco à Paris. Entre vous et moi, des années-lumière ». Voilà ce que répond l’écrivain Cherif Choubachy à ses obscurantistes détracteurs après son appel à manifester pour que les Egyptiennes se libèrent en abandonnant le voile qui les opprime.
La date n’est pas encore arrêtée mais ce sera début mai sur la place Tahrir, lieu tristement symbolique s’il en est puisque sur cette place nombre de femmes ont été agressées sexuellement et violées.
Il faut rappeler qu’en Egypte quatre femmes sur cinq sont voilées, soit plus de 80% des femmes, et qu’on y dénombrait en outre en 2007 l’excision de 96 % des femmes et des petites filles jugées impures sans cette mutilation arriérée. Ce qui revient à considérer qu’Allah serait susceptible de créer des êtres impurs. On appréciera la logique…
Ecrivain, ancien présentateur du journal télévisé égyptien en langue française puis fonctionnaire à l’Unesco à Paris où il a vécu durant vingt ans, Cherif Choubachy dénonce le foulard comme étant « le cheval de Troie de l’obscurantisme » machiste réduisant la femme à une vulgaire esclave sexuelle. « Le voile avait disparu pendant plus de cinquante ans en Égypte, pour ne réapparaître qu’au cours des années 70, après la défaite contre Israël en 1967 », explique-t-il. Il est aussi la conséquence du retour au pays des Egyptiens exilés dans les pays du Golfe wahhabites puisque c’est de cette région qu’ils ont ramené cette enrichissante pratique. Dans les années 90, certains bars et restaurants désireux de montrer leur hostilité à une pratique religieuse sexiste commenceront à interdire le hidjab.
Depuis le renversement en juillet 2013 du président Morsi issu des Frères Musulmans le port du voile est une façon de montrer sa loyauté aux islamistes, même si de plus en plus de femmes osent le retirer.
La première Egyptienne à avoir défrayé la chronique après s’être émancipée de ce voile de l’infamie est Hoda Charaoui, fille d’un député et d’une esclave, élevée dans un harem avec l’interdiction d’apprendre la grammaire puis mariée à treize ans à son cousin avant de devenir militante et fondatrice d’un journal défendant les droits des femmes, et qui en 1923 après un séjour à Rome a décidé qu’elle entendait désormais vivre libre. Elle avait alors lancé un appel aux femmes égyptiennes les enjoignant à faire de même. Lors de la création de la Ligue arabe, exclusivement masculine, en décembre 1944, elle déclarera : « La Ligue dont vous avez signé le pacte hier n’est qu’une moitié de Ligue, la Ligue de la moitié du peuple arabe ».
Quatre-vingt-dix ans plus tard, à Louksor, une enseignante en niqab coupera les cheveux de deux élèves de 6e parce qu’elles ne portaient pas leur foulard…
L’appel de l’écrivain a suscité des réponses à la hauteur de la légendaire religion de tolérance. Ainsi a t-il été traité de « suppôt du vice », car bien sûr la femme a la tête non couverte ne peut être qu’une porteuse de vice, une mécréante avec tout le côté péjoratif que ce terme revêt pour les musulmans. D’ailleurs le degré d’estime pour les non musulmans – et plus largement encore pour toutes les femmes non voilées – transparait tout entier dans cette sentence pleine de l’amour tolérant islamique appelant à « tomber la tête de Choubachy avant de le crucifier sur la place Tahrir comme les mécréants ». Les mécréants… c’est nous !
Ah quelle belle religion !
En 2007, paraissait en français son ouvrage titré Le Sabre et la Virgule qui a valu à son auteur les foudres de « déséquilibrés » du même acabit que ceux qui crient « Allah Ouakhbar ! » pour se donner du courage avant l’égorgement ou la tuerie collective. Il y engageait à la réformation d’une langue archaïque et schizophrène au grand dam des musulmans hurlant au sacrilège en la qualifiant de « langue sacrée », alors qu’elle existait bien avant l’islam. Expliquant que l’absence de maîtrise nécessaire à la lecture du coran participait à une appréhension du monde moderne avec un regard passéiste empêchant les musulmans de s’émanciper et de progresser dans un monde qui avance sans eux, il s’était heurté à une salve d’insultes telles qu’il avait dû démissionner de son emploi.
Concernant le voile, il prévenait : « (…) il faut que l’Occident, l’Europe, et particulièrement la France, comprennent que le monde arabe n’est plus un problème étranger. Il est devenu interne, de par l’immigration et les contacts essentiels entretenus par-delà la Méditerranée. Vous avez raison d’avoir peur de l’islamisme, de l’extrémisme, de la violence. Il faut les replacer dans leur contexte et trouver ensemble une solution pour casser ce cercle vicieux. Sans l’aide de la France et de l’Europe, il n’y aura pas de solution au problème de l’islamisme ».
D’autres intellectuels éclairés le suivent dans sa démarche, comme l’ancien ministre de la culture qui déplore que « jusqu’aux années 70, les intellectuels étaient à l’avant-garde de la société. Il n’y avait pas un seul hijab ou niqab à l’Université du Caire. La femme égyptienne était un modèle de progrès et d’universalisme », de même qu’une femme écrivain qui justifiait devant les caméras l’aberration de s’accrocher à ce bout de tissu, à cette matérialité : « Parce qu’il est immoral. Comme si en achetant un hijab à 50 livres, j’achète ma place au paradis. Je veux y accéder par mes actions et mon comportement et non par un bout de tissu sur ma tête ».
Un internaute s’indigne du recul culturel de l’Egypte depuis ces années-là : « Franchement qu’est ce qu’une marocaine, algérienne ou égyptienne a à faire avec un habit afghan ? elles auraient dû se voir durant l’époque de l’émancipation des femmes, au début des années 50, 60 et 70, c’est cette période là qui a donné des femmes chercheurs, enseignantes, médecins et avocats… », avant de s’interroger laconiquement… « et aujourd’hui ? ».

Les Egyptiennes des années 60. Ici à la cafeteria de l'université du Caire
Les Egyptiennes des années 60. Ici à la cafeteria de l’université du Caire

Le Caire en 1941
Le Caire en 1941

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A la plage dans les années 50

En 2006, une présentatrice de télévision s’était montrée tête nue, déclenchant l’ire des imams. « Pour beaucoup, retirer le voile est devenu une façon de dire non à un islam imposé d’en haut », expliquait une juriste en évoquant sa propre « déhijabisation ». Cette femme racontait l’an dernier que dans sa ville d’origine « c’est mal vu de jouer avec un garçon, même de lui adresser la parole dans la rue ». Le jour de ses 12 ans sa mère lui a tendu un foulard pour aller à l’école afin de se « protéger des regards masculins ». Les hommes musulmans sont donc clairement désignés comme des obsédés sexuels pathologiques au point de n’être pas capables de se réfréner et ce serait aux femmes et aux jeunes filles de prendre un traitement thérapeutique…
Cette juriste relatait la pression morale exercée par sa mère « si tu retires ton foulard, tu n’es pas une vraie musulmane ». La foi des musulmanes devrait donc se situer là, quelque part entre la trame et la chaîne du textile.
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Une autre confirmait cette superstition matérialiste bien ancrée dans les esprits manipulés par une société restée enchâssée dans le 7e siècle alors que le reste du monde est parvenu au 21e : « Je m’étais convaincue qu’il fallait être voilée pour être une vraie croyante, une bonne personne. Mais en fin de compte, le foulard n’a rien à voir avec la foi et la modestie prônée par la religion. En Egypte, j’ai rencontré des femmes voilées et hypocrites. J’ai également connu des non-voilées dont je me sentais beaucoup plus proche ».
Elle racontait avoir passé une partie de son enfance en Irlande où elle portait le voile par « défi » dans une école où les moeurs occidentales ne pouvaient accepter un tel déni ostentatoire de la féminité et une telle insulte aux codes culturels et civilisationnels du pays qui l’accueillait. C’est à son retour en Egypte que la jeune fille réalisa la supercherie dans laquelle elle s’est elle-même engouffrée et qu’elle décida d’ôter ce marqueur de honte, cet empêcheur d’émancipation. « A l’université, certaines camarades me disaient: c’est le début de la débauche. D’autres tentaient de me raisonner ».
Peu à peu, le voile perd du terrain puisque le ministre de la Santé égyptien l’a interdit à l’hôpital pour des questions d’hygiène et que le ministre de l’Enseignement supérieur a fait de même pour des raisons de sécurité, même si la justice persiste à donner raison aux plaignantes.
L’an dernier, le grand imam d’Al-Azhar lui-même a déclaré le port du hijab comme une « tradition contraire à l’esprit de l’islam », sauf que l’esprit infériorisant les femmes fait bel et bien partie du coran, et ça, ce n’est pas encore près de changer.
Caroline Alamachère

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