De Mohamed Benlaia, martyre, à Allah, dieu.
Cher Allah
Cette lettre, peut être vas-Tu la trouver insolente, irrévérencieuse, voire déplacée, mais je me devais de la rédiger pour apaiser ma conscience. Et je Te remercie de la lire jusqu’à la fin avant de me juger définitivement.
Aussi longtemps que je m’en souvienne, Seigneur, Tu as été mon unique amour, Toi seul as su faire battre mon cœur à l’unisson de Ta gloire, et même la belle Faridah n’a jamais pu rivaliser avec Toi.
Tu le sais, je T’ai toujours vénéré, adoré, servi de toute mon âme, prêt à tous les sacrifices pour Te rendre hommage.
Et quand le Mollah Hamort m’a proposé la mission ultime, quand il a fixé les bâtons de dynamite autour de ma poitrine, quand il m’a dit de tuer les infidèles sur le marché de Penlaoui, je n’ai pas hésité une seconde. Je me suis fait péter la gueule et les couilles avec la certitude d’accomplir un geste magnifique.
Loué sois Tu, Ô Seigneur, d’avoir ainsi donné un sens à ma vie misérable en me la reprenant après seulement dix neuf années de services, dix neuf ans de galères et d’emmerdements.
Bien sûr, Toi qui lis à travers mon esprit comme dans un livre ouvert, Tu sais aussi que mon acte a été dicté par des considérations plus terre à terre.
Tu as bien deviné que ma motivation première fut la douleur atroce ressentie lorsque Faridah m’a fait cocu avec l’infâme Rachid, ce salopard qui l’a baisée dans ma propre cuisine pendant que je priais pour Toi à la mosquée.
Et Tu as vite compris que la proposition du Mollah Hamort, l’assurance que, si je mourais pour Ta Gloire infinie, Tu m’offrirais ces 72 vierges immaculées dont la beauté insolente allait reléguer cette salope de Faridah au rang de boudin troisième choix, alors oui, j’ai pris ma décision, je l’avoue humblement.
C’est vrai, je me suis fait exploser sur le marché de Penlaoui pour oublier cette terrible humiliation, certain que les magnifiques créatures qui m’attendaient dans Ton Paradis allaient enfin apaiser les tourments de mon âme blessée.
Mais tu m’as trompé, Seigneur, Tu t’es moqué de moi, Tu as profité de mon malheur pour organiser cette farce abominable.
Le Mollah Hamort était-il complice? Aujourd’hui je le crois, lorsque je revois le sourire sadique qui illuminait son visage alors qu’il attachait la dynamite contre mon nombril. J’entends encore sa voix sinistre me prodiguant les derniers conseils :
“72 vierges pour toi tout seul, mon salaud, tu vas te payer du mon temps…“
A cet instant je fus pris d’un doute affreux, il y avait du cynisme dans la remarque, et je demandais : “Tu es certain qu’elles sont bien toutes vierges? Et qu’il y en a 72?”
“72, oui, garanties pures vierges. Si je mens je vais en enfer!”
Et je l’ai cru…..
Au fond, le vieux pourri n’a pas menti. Elles étaient bien 72, leur virginité ne fait aucun doute.
Mais nulle part il n’était écrit que la plus jeune avait 94 ans.
Mohamed Benlaia, alias Jean Jarno
