Marine Le Pen va-t-elle virer sa cuti sur l'islam ?

Le 23 juin sur A2, David Pujadas inaugurait son émission « Des paroles et des actes », émission politique d’un genre oublié depuis les grands moments de « A armes égales », « L’heure de vérité » et autres « Sept sur sept ». Pour donner de l’écho à ce lancement il avait invité Marine Le Pen. Bonne pioche : la présidente du Front National ne laisse personne indifférent et nul mieux qu’elle ne pouvait attirer les projecteurs sur ce nouveau rendez-vous cathodique.
Parmi ceux qui suivent avec intérêt sa trajectoire, certains ont vu là l’occasion de se rassurer. Car depuis quelque temps MLP déroute. Élue à la tête du FN contre Bruno Gollnisch qui incarnait une certaine continuité, elle s’est fixé pour but de « dédiaboliser » son parti, ce qui est plutôt une bonne idée. Exit les zozos au crâne rasé et blouson clouté, les petites phrases contestables et les ambiguïtés fâcheuses. L’heure est à la responsabilité et on ne s’en plaindra pas.
Mais jusqu’où doit aller le lissage de l’image ? Et quelles voies doit prendre la nécessaire respectabilité ? Après un début de présidence marqué notamment par ses déclarations percutantes sur les prières de rues musulmanes, on note un certain recentrage sur le discours économique : la « mondialisation » est évoquée de manière obsédante, ainsi que les questions d’ordre social, dans un registre proche du Georges Marchais des années 70. On comprend la volonté de se donner une crédibilité politique, en dépassant les seules questions de l’immigration et de l’islam, auprès de l’électorat populaire. Ce faisant cependant elle semble parfois laisser au second plan ce qu’on attend d’elle au premier chef : la défense de la France et de ses valeurs.
L’épisode le plus troublant de cette évolution a eu lieu lorsque le site Nations Presse. Infos a publié le 7 juin dernier un article où l’on apprenait qu’une musulmane voilée, qui admet faire ses prières et le ramadan, avait adhéré au FN, sans que cela semble poser le moindre problème.
Alors ce 23 juin, j’attendais avec intérêt la prestation télévisée de celle qui incarne encore pour beaucoup l’espoir du sursaut. Marine fut comme d’habitude offensive, dominant tous ses contradicteurs, mais je restai sur ma faim. Les trois premiers intervenants abordèrent successivement son parcours personnel, l’économie, l’écologie, et les occasions furent rares d’évoquer l’identité de la France. Quand il s’agit de l’islam, MLP passe bien vite. « On égorge les animaux sans les étourdir, dans d’atroces souffrances » : le mot halal n’est même pas prononcé, et pas davantage la religion de Mahomet. Le téléspectateur non averti ignore donc qu’il s’agit d’un rite musulman. Brigitte Bardot aurait dit la même chose.
Mais voilà pour finir les deux islamophiles de service, l’ineffable Laurent Joffrin et l’inoxydable Caroline Fourest qui attaque bille en tête. Elle a imprimé une page du site du FN qui s’inquièterait de ce que 20 % des effectifs de l’armée soient composés de musulmans, et demande perfidement l’avis de MLP. Enfin nous voici dans le vif du sujet. Hélas, le débat n’aura pas lieu car la présidente du FN le refuse. Elle esquive la question et contre-attaque en exhibant la biographie non autorisée que lui a consacré Fourest, pour la réfuter. Totalement hors sujet, mais rien n’y fait. L’insistance de ses contradicteurs, de Pujadas, sa propre insistance à parler du livre, se heurtent dans une énervante cacophonie, dont on émerge pour passer aux questions suivantes : la préférence nationale, l’immigration, l’économie encore, toujours dans la confusion. Fin de l’émission.
Pendant plus de deux heures elle n’aura pas dit un mot de l’islam, même quand on l’interroge sur le sujet. Certes le piège était patent. En exprimant des réserves vis-à-vis du recrutement de musulmans dans l’armée, elle eût frôlé le délit de provocation à la discrimination, pour le plus grand bonheur des MRAP et autres SOS machin. Mais la femme politique rouée qu’elle elle déjà, avocate de surcroît, pouvait éviter le traquenard, en répondant ce qui suit.
S’il n’est pas question de discriminer un candidat au recrutement militaire en raison de son origine musulmane, la pratique de l’islam à l’armée pose un problème évident. D’abord parce l’armée française est laïque : or la pratique de l’islam étant indissociable de la vie quotidienne du musulman où qu’il soit, il y a incompatibilité entre les deux. Ensuite parce que les principaux rites de l’islam sont eux-mêmes incompatibles avec les exigences de la vie et de l’entrainement militaires. Qu’on imagine un soldat en manœuvre en plein été, qui ne peut ni boire ni manger parce qu’il fait le ramadan. Et l’obligation de prier à heure fixe plusieurs fois par jour.
Il serait donc parfaitement justifié d’exiger du candidat musulman qu’il renonce à la pratique de son culte pendant la vie militaire, du moins dans ses aspects inconciliables avec la laïcité et les impératifs de l’outil militaire. Mais serait-ce encore de l’islam ?
Voilà ce qu’aurait pu dire MLP. Elle ne l’a pas fait, et ma vigilance à venir s’en trouve renforcée. D’autant plus qu’un précédent décevant existe de l’autre côté des Alpes, celui du MSI (Mouvement Social Italien). Ce parti créé en 1946 sur les décombres du Parti National Fasciste, interdit, a décidé en 1995 de se transformer en Alliance Nationale, parti de droite classique sous la houlette de Gian Franco Fini. Si le MSI ne peut être comparé à l’ancien FN (ce dernier n’a jamais revendiqué de filiation fasciste) l’Alliance Nationale ressemblait par plusieurs points à l’actuel FN : préférence nationale, hostilité à l’immigration… Après s’être allié à Berlusconi, il accéda au pouvoir, mais son évolution se poursuivit au point qu’aujourd’hui J.F. Fini, courtisé par le centre gauche, réclame un assouplissement des conditions d’accès à la nationalité italienne, une immigration selon lui nécessaire…
Marine Le Pen sera-t-elle la Fini française ? La déception qui en résulterait serait lourde de conséquences pour le pays.
Jean de la Valette

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