Plutôt morte que hallalisée

moutonegorgeMon rituel annuel est de faire un check up complet, gastro-cardio et tout le tralala. Dans cet esprit, ce matin, je vais pour faire le dernier check up cardiologique à Georges Pompidou.
Je me trouve dans l’antichambre de la mort, où se trouvent plus de cent personnes de tous les âges, qui viennent se faire examiner, soit par prévention, comme moi, soit par nécessité et pour certains, ce sera le dernier moment avant les planches.
Une infirmière noire, dynamique, m’appelle, prend en charge ma tension, 13 (après pédalage du 18ème au 15ème, autant dire, après effort physique), pour ensuite me placer des diodes sur le torse, les bras et le bas des jambes. En quelques minutes, mon électrocardiogramme était plié. Une opération effectuée à la chaîne ce matin. J’ai l’impression d’être un bétail qui se fait marquer, pour ensuite passer devant le vétérinaire qui fera son diagnostic.
L’attente est longue avant que le vétérinaire me prenne en charge pour commenter l’électrocardiogramme. Pourtant, plusieurs professeurs sont à l’oeuvre, c’est dire le nombre de gens qui ont des problèmes à leur petit coeur, souvent sans coeur …
Heureusement que j’avais anticipé et pris de la lecture: Musique secrète, de Richard Millet. Je commence l’ouvrage qui m’enchante, qui est tout, sauf ennuyeux. Il y décrit comment la musique lui est tombée dessus, comme une opération du Saint Esprit. Un ouvrage sur la musique, rendu comestible par la musicalité de la langue, mélangé à ce qu’il est, lui. Un genre d’autobiographie musicale. Je vais au milieu de l’ouvrage et trouve, à ma grande surprise, un chapitre sur le rock. A deux reprises j’éclate de rire, tant les propos sont féroces. Rire vite étouffé, constatant, en levant les yeux, les têtes agacées tournées vers moi. Je les dérangeais dans leurs occupations ludiques sur smartphones ou tablettes. Tous ces gens contaminés par les écrans ! J’étais la seule qui tenait un livre à la main. D’autres lisent des journaux de la Propaganda Staffel. En me levant, marre d’être assise, je déambule entre les patients et regarde ce qu’ils font sur leurs écrans plats. Rien. Ils jouent.
Le vétérinaire me reçoit enfin pour me dire que je suis en parfaite santé et que, si je voulais vivre jusqu’à 85 ans ou plus, il me fallait juste arrêter de fumer. Je lui rétorque que je n’ai aucune envie de vivre jusque là. L’expression de surprise sur le visage du savant, qui me demande pourquoi, puisque je suis en pleine forme. Je lui réponds que je n’ai pas envie de me faire hallaliser. Son regard s’assombrit, il me tend la main pour me congédier sèchement.
Sylvia Bourdon

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