Qui est vraiment Tubiana ?

Dans cet article de Libération, qui date de 2005, on voit tout de suite les grandes lignes du personnage Tubiana. Un passé trotskiste, une naissance en Algérie, qu’il rejette (Alger la blanche), une identité juive assumée, qu’il met au service de l’offensive du voile et de l’islam, une appartenance maçonnique…
Il est naturellement de toutes les batailles de la gauche bobo : mariage gay, défense des clandestins, dépénalisation des drogues, et peines de substitution à la prison.
Et il gagne 10.000 euros par mois, ce qui lui permet, en bon bobo, de tenir des discours, et d’avoir les moyens de vivre dans des endroits où il n’a pas à en assumer les conséquences…
Chose amusante, il est de toutes les batailles politiques perdues :
– Il vote Jospin au premier tour, en 2002 !
– Il combat la loi sur le voile en 2003 !
– Il vote oui au TCE en 2005 !
– Il combat la loi sur la burqa, en 2009 !
Enfin, sous sa présidence, les effectifs de la LDH ont fondu comme neige au soleil !
Donc, ce n’est pas un mauvais adversaire pour RL…
Jeanne Bourdillon

Michel Tubiana, 52 ans, avocat, président de la LDH

Article de la rubrique droits de l’Homme > la LDH
Date de publication : mercredi 27 avril 2005
Il refuse la paranoïa ambiante sur le racisme et l’antisémitisme. Un maçon de tolérance.
Par Luc LE VAILLANT [Libé, mercredi 27 avril 2005]
Michel Tubiana en 7 dates
– 24 novembre 1952 – naissance à Alger.
– 1962 – sa famille quitte l’Algérie et s’installe à Paris.
– 1967 – lycéen, il milite à la JCR.
– 1972 – membre du Grand Orient, loge Salvador-Allende.
– 1974 – devient avocat.
– 12 juin 2000 – succède à Henri Leclerc à la présidence de la LDH.
– Juin 2005 – fin de mandat.
Cela tient du sismographe et de la boussole. Prendre la mesure du choc des plaques tectoniques qui fendillent les certitudes les mieux ancrées et, malgré tout, tenir le cap. Fort de l’histoire de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et usant de son identité comme d’un boomerang, Michel Tubiana, président en exercice, ne vacille en rien au coeur d’une tempête très française qui n’est pas loin de scinder en deux camps rivaux un mouvement antiraciste qui fit longtemps l’honneur de ce pays. Il y aurait d’un côté la LDH et le Mrap, dénoncés comme très banlieue et assez angéliques, et il y aurait de l’autre la Licra, finalement rejointe par SOS Racisme, suspects d’en pincer pour la sanction, de surprotéger les filles des cités en stigmatisant leurs frères, et de faire de l’antisémitisme le crime des crimes, cent coudées devant tous les autres.
Il est vrai que la situation est délétère et que la panique gagne. Et personne pour calmer le jeu. Dieudonné joue les incendiaires, Cukierman (président du Crif) n’est pas en reste, et Finkielkraut, Taguieff et Kouchner, qu’on espérait moins inflammables, en rajoutent avec leur pétition contre le racisme antiblanc.
Tubiana affronte la pénible réalité sans angoisse exagérée. Vraiment pas son genre d’aller pleurnicher dans le giron des regrets, d’aller se cacher au creux du corsage du « c’était mieux avant ». Ce rapatrié, qui n’avoue aucune nostalgie d’Alger la Blanche, a des allures de grand bestiau que personne ne mènera par les naseaux, des tangages de plantigrade voûté et pataud au coup de patte griffu. On pensait aller à la rencontre d’un précieux civilisé et accommodant comme le sont parfois les militants de haute extraction, et voilà un ruffian barbu qui emboucanne l’atmosphère de ses cigarettes expectorées, un gourmand qui frise le quintal et qui n’écoute pas ses médecins qui voudraient qu’il modère ses bombances, ses outrances, ses violences. Jean-Jacques de Felice, avocat et mentor : « Il a un tempérament de lutteur, vif et pratique. » [1] Un observateur : « Il est très rentre-dedans, mais il manque parfois de finesse. » Tubiana, ancien membre du service d’ordre des Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), aime toujours la castagne, et qu’importe si aujourd’hui les mots ont remplacé les poings. Son premier fait d’armes ? Un bourre-pif à un lycéen qui l’avait traité de « sale Juif ». A mettre en regard d’une des seules taloches paternelles, quand il traita un de ses camarades d’école de « raton ».
Car Tubiana est né et a grandi à Alger. La famille descendrait d’un rabbin de Livourne ayant traversé la Méditerranée au XVIe siècle. Le conditionnel est de circonstance car Tubiana se revendique « peu fasciné par les origines » et n’a jamais entrepris l’ascension de son arbre généalogique. Le père est juge auprès du tribunal de commerce. La mère élève ses trois fils. Chez les Tubiana, on est des Juifs laïques et de gauche. Armand, le père, est secrétaire de la section locale de la ligue. Il est aussi franc-maçon. Aujourd’hui, son petit dernier préside la LDH, appartient au Grand Orient, loge Salvador-Allende, travaille comme avocat quand son père était conseiller juridique. Mais Tubiana s’emploie à miner le mimétisme, en faisant état, comme ça, juste en passant, de conflits sévères avec son géniteur qui disparut alors qu’il n’était qu’adolescent et avant que le temps n’émousse l’agressivité des affrontements.
Tubiana a la judéité négligente mais pas négligée. Il dit : « Je ne fais pas Kippour, je ne mange pas casher, je ne crois pas. Mais, malgré tout, je suis juif. Comme dirait Sartre, c’est le regard de l’autre qui me détermine. » Dans l’assignation à résidence originelle qui gangrène même les mouvements antiracistes, Tubiana se sert de son patronyme, à la façon d’un judoka. Il sait bien qu’être juif lui autorise une radicalité sans fioritures quand la LDH, née pour défendre le capitaine Dreyfus, dédouane les filles voilées, plaide pour la coexistence Israël-Palestine, ou relativise la diabolisation de Tariq Ramadan. Il dit : « Ma judéité m’a protégé. Personne n’a osé me traiter d’antisémite. La haine de soi, ça va comme ça. » Et d’ajouter : « Mouloud, lui, s’est fait taper dessus. Il en a pris beaucoup plus parce qu’il est arabe. » Mouloud, c’est Mouloud Aounit, le secrétaire général du Mrap, compagnon de combat de Tubiana, et absurdement suspect de faire la politique de sa communauté, dans une société où l’universalisme est en charpie.
Tubiana est de cette génération qui a flirté avec l’extrême gauche. Il en a gardé la tchatche cinglante et le pragmatisme sans états d’âme. Aujourd’hui, il se situe « à la gauche du PS et à la droite des alters ». Sa fonction lui interdit d’être plus précis. Mais on s’est laissé dire qu’il s’apprête à choisir le oui au référendum ou qu’il a voté Jospin dès le premier tour en 2002. Ce qui ne l’empêche pas de harponner la course à l’échalote sécuritaire du dernier gouvernement de gauche. Et de dresser un hit-parade des ministres de l’Intérieur qu’il eut à côtoyer et qui pourrait se décliner ainsi : Joxe-Deferre-Debré-Quilès-Sarkozy-Pasqua. Avec bonnet d’âne à Daniel Vaillant. Qui poussa Jospin à snober les 100 ans de la LDH, querelle des sans-papiers oblige. Côté sociétal, Tubiana et la LDH seraient plutôt libertaires : mariage gay, adoption facilitée, dépénalisation des drogues, peines de substitution à la prison, etc.
Ce bénévole cornaque 15 permanents et anime 300 sections de par la France. Avec jubilation, il grille ses soirées et ses dimanches pour la LDH. Ses honoraires d’avocat tournent autour de 10 000 euros mensuels. Il a pu défendre Klaus Croissant, l’avocat de la bande à Baader, ou intervenir au procès Papon, mais ses ressources lui viennent surtout du droit des affaires. Et, si ses prises de position lui ont valu quelques défections de clients, il serait bien en peine de se plaindre de son sort. Débarqué un peu par hasard en Calédonie, défendre Tjibaou et les siens, Tubiana tombe amoureux de l’île et y rencontre la mère de ses enfants, une Caldoche pro-Kanaks. Aujourd’hui, les enfants sont adolescents et les parents, séparés, restent en bonne intelligence.
En juin, Tubiana va passer la main. Il pourra écouter Eminem avec son fils. Lire Kundera et Philip Roth « plutôt que Christine Angot ». Retourner au théâtre voir si l’on peut faire mieux que le Diable et le bon Dieu, la pièce de Sartre, son émotion fondatrice. Mais pourra-t-il vraiment décrocher de cette actualité tragique, bulletin de mauvaise santé d’une société, qui épuise et inquiète ses médecins les plus déterminés ?
Luc Le Vaillant
Notes
[1] Qu’est-ce que la Ligue des droits de l’homme ? , éd. l’Archipel.
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article611

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