Religion, idéologie et totalitarisme

Selon Karl Marx, « la religion est l’opium du peuple ». Marx considérait la religion comme une superstructure idéologique imposée par la classe dirigeante pour contribuer à l’asservissement du peuple.

Ce point de vue semble bien démodé, voire oublié, de nos jours. La religion est désormais considérée par les élites, de gauche aussi bien que de droite, comme totalement séparée du phénomène politique. Il est toujours possible de critiquer des opinions politiques. Mais la critique du phénomène religieux est très mal vue aujourd’hui, pour ne pas dire illégale.

Cette volonté de protéger la religion de toutes critiques est une grave erreur, qui met en danger la survie de notre civilisation. Car la religion est bien une idéologie, au sens traditionnel du terme : un ensemble d’idées imaginées, de croyances et de convictions. Le fascisme et le communisme sont des idéologies. Le catholicisme et l’islam sont des idéologies.

Par nature, toute idéologie est liberticide quand elle est poussée à son extrême. Car les idéologies peuvent être utilisées par les démagogues qui s’en emparent pour imposer leurs vues à la société. Le terrain est propice. Tant de gens se posent des questions et recherchent des réponses faciles à leurs problèmes qu’ils acceptent avec crédulité les solutions toutes faites que leur proposent divers idéologues. Des centaines de millions de Chinois ont cessé de se poser des questions au siècle dernier parce que le « petit livre rouge du président Mao »  leur apportait toutes les réponses. Depuis des siècles, des milliards de chrétiens et de musulmans trouvent toutes leurs réponses dans la Bible et le Coran. Les croyants n’ont qu’à suivre les préceptes de leur livre saint et tout sera pour le mieux. Les personnes qui choisissent le communisme ou la religion pour guider leur vie doivent abandonner toute originalité. L’islam utilise un terme très révélateur à cet égard – taqlid, qui signifie ‘imitation’ en arabe.

Les intellectuels de la Renaissance et les philosophes du 18e siècle sont parvenus au péril de leur vie à faire sauter les verrous de l’endoctrinement religieux du Moyen Âge. Ils ont affirmé le droit de l’individu d’élaborer ses propres idées. Copernic et Galilée ont restauré la pensée scientifique contre la volonté de l’Église médiévale. Voltaire a défendu la liberté de penser. Les peintres modernes, de Monet à Picasso, ont su imposer l’originalité de la création artistique, remplaçant le conformisme des artistes médiévaux et byzantins par de nouvelles façons de voir le monde.

On nous dit maintenant, comme au Moyen Âge, que la religion est au-dessus de toute critique, qu’il s’agisse des religions traditionnelles de l’Europe ou des religions importées. Héritiers de leurs prédécesseurs qui se sont rangés aux côtés du fascisme et du communisme, les intellectuels d’aujourd’hui s’érigent en défenseurs des idéologies religieuses. Alors que leur vocation devrait être de défendre la liberté individuelle et le sens critique, ils semblent accepter sans la moindre hésitation le nouveau totalitarisme qui menace aujourd’hui les pays européens après avoir pris le contrôle de tant d’autres pays. Une fois de plus, les intellectuels et maîtres à penser trahissent l’Europe et jouent le rôle de cinquième colonne au service de l’asservissement et de l’abrutissement du totalitarisme.

Périclès et les philosophes de la Grèce antique avaient bien compris la nature et le danger du conformisme caractérisant leurs voisins orientaux. Nous sommes confrontés au même péril, habillé cette fois du manteau de la religion..

Ce n’est pas que la religion soit automatiquement mauvaise. Il existe dans toute idéologie, religieuse ou non, une dialectique qui exprime ses propres contradictions et qui peut permettre un raisonnement critique. Chaque religion a un côté spirituel et un côté rituel. Plus l’aspect rituel est développé, plus l’idéologie religieuse est asservissante. L’islam a développé le merveilleux concept d’ijtihad, qui permet à chaque musulman de réfléchir et de tirer ses propres conclusions au lieu de se baser sur le concept susmentionné d’imitation servile et de conformisme – taqlid. Malheureusement, c’est ce dernier concept qui prime dans l’islam d’aujourd’hui.

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. L’Europe des lumières ne survivra que si elle défend le droit de ses peuples de s’opposer à toutes les idéologies totalitaires qui sortent périodiquement des bas-fonds de notre inconscient collectif pour imposer des solutions artificielles qui étouffent l’esprit critique, la réflexion scientifique et la créativité artistique. « Je pense, donc je suis », écrivait Descartes. « J’imite, donc je suis », répondent les adeptes des idéologies totalitaires. Toute religion est une idéologie. Il ne doit pas y avoir de sujet tabou, au-dessus de toute critique. L’Europe restera laïque, ou elle sera asservie.

François Tocqueville

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