Résistant en 1940, j’ai l’impression de revivre une autre occupation

Ceux qui ont vécu, comme moi, la sombre période de l’Occupation allemande lors de la Seconde guerre mondiale, de 1940 à 1944, ont la sinistre impression de revivre un mauvais rêve.

Toutes proportions gardées – et, comme on dit, mutatis mutandis – la situation actuelle est comparable par bien des traits à celle d’autrefois.

Nous sommes occupés. Bien sûr, pas militairement, mais “mentalement“. Nos corps ne sont pas les sujets d’une invasion armée, mais nos esprits sont imprégnés par un conditionnement étranger. L’hégémonie anglo-saxonne domine la politique, l’économie et la culture, en imposant  son atlantisme et sa stratégie néocolonialiste, son libre-échangisme néolibéral, sa conception mercantile d’une société formatée par la “pensée unique“. La mainmise n’est évidemment pas nazie, mais, dans un autre genre, elle est aussi totalitaire que la précédente.

Comme jadis, nous avons des “collabos“ qui se plient aux exigences de l’alliance occidentale et propagent l’idéologie capitaliste de Washington, comme les politiciens et journalistes de l’époque relayaient l’information tendancieuse de Berlin.

Les occupants d’hier avaient crée le STO (Service du travail obligatoire) qui obligeait les recrues à se mettre au service des usines du Reich. Ceux d’aujourd’hui ont créé l’OTAN qui impose à nos troupes de participer aux guerres de l’empire américain.

Jadis la doxa officielle était axée sur l’Europe, et l’unification pacifique de ses peuples ; elle l’est encore aujourd’hui. Et qui trouve-t-on, une fois de plus, à la tête de cette Europe, aussi artificielle que l’ancienne ? L’Allemagne. Certes pas la même, mais toujours aussi forte et présente.

Des mesures de rigueur détériorent nos conditions de vie. Autrefois, elles étaient les restrictions du temps de guerre, aujourd’hui elles sont l’austérité du temps de crise. On ne rationne pas la nourriture, mais nos aliments sont dénaturés par mille procédés profitables aux transnationales de l’alimentation. La circulation n’est pas limitée, mais le prix des carburants ne cesse d’augmenter. Le gaz et l’électricité ne subissent pas des coupures, mais ils coûtent de plus en plus cher. L’accès à l’existence normale n’est pas bloquée comme  elle l’était dans la pénurie du conflit armé, mais on nous serre la ceinture dans la disette de l’effondrement financier.

Sous Pétain, la démocratie n’existait pas ; le parlement était supprimé, on ne votait pas. Sous Sarkozy, elle est bafouée ; quand on vote, comme au référendum sur la constitution européenne, le résultat est annulé. Les guerres sont déclarées et menées de façon arbitraire. Dans les scrutins, les bulletins blancs ne sont pas comptabilisés. L’exigence des 500 signatures nominalement précisées et le coût des campagnes électorales limitent aux classes fortunées les candidats éligibles. La moyenne d’âge de l’Assemblée et du Sénat est de 60 ans, et la composition des deux chambres est totalement dépourvue de toute représentation populaire.     

Officiellement, personne n’est raciste. Le racisme est même hors la loi. Mais de même que jadis il était obligatoire d’être raciste, aujourd’hui il est obligatoire de ne pas l’être. Et ne retrouve-t-on pas, dans les sanctions légales de ces obligations, une répression en miroir qui repose sur les mêmes distinctions ? Les lois Gayssot et “mémorielles“ en général sont le pendant exact, à l’opposé, des lois antisémites d’antan : moins horribles dans leur application, mais aussi faussement fondées, injustement coercitives et dangereusement liberticides. Et que dire de la politique d’immigration et des mesures d’expulsion des Roms ou des étrangers, dont le caractère discriminatoire rappelle de tristes souvenirs de rafles et de déportations ? Certaines catégories de la population sont de nouveau poursuivies pour leur appartenance ou leur opinion.

Comme la démocratie, la laïcité est ébréchée. Le régime nazi n’était pas particulièrement religieux et affichait même une sorte de paganisme mythologique. Mais il éliminait les oppositions et maintenait l’ordre en favorisant un contrôle confessionnel de l’État. Le catholicisme – culte officiel de Vichy encouragé par Berlin, et source intarissable de racisme antisémite – a par exemple inspiré l’épouvantable régime d’Ante Pavelic en Croatie et un grand nombre des pires bourreaux des camps de concentration à travers l’Europe. Ce déni de laïcité continue de nos jours sous la forme d’entorses répétées à la séparation de l’Église et de l’État, et de capitulations incessantes devant le prosélytisme musulman.

Pour faire avaler toutes ces remontées fascisantes, il faut bien sûr interdire ce qui leur est contraire. Revoilà une vieille connaissance : Anastasie. La censure n’est pas aujourd’hui la version dure d’une dictature, elle est la version molle d’une fausse démocratie. A coups de tabous frileusement respectés, de connivences et de pressions ; grâce à l’étouffement de la vérité par la communication officielle et des critiques dangereuses par le silence. Les grands médias sont dirigés par les fidèles de Sarkozy, les insolences sont réprimées par des procès en diffamation, les satires sont assimilées à des offenses à la religion ou à la bienséance. Le seul débouché permettant une expression à grande échelle, l’internet, est dans la ligne de mire de contraintes préparées. Les oppositions percutantes n’ont pas accès aux moyens de se faire largement connaître.

Enfin, tout comme sous l’Occupation allemande, la France est privée de sa souveraineté. La bureaucratie de Bruxelles et la solidarité occidentale l’ont décapitée de son indépendance, et l’ont réduite au rôle d’un satellite à l’image de l’État vichyste d’autrefois. Son armée est devenue une milice de pétroliers, une composante des expéditions coloniales de Washington ; sa politique étrangère est inexistante ; son image mondiale de Lumières, de modernité et de progrès n‘est plus qu’une brumeuse nostalgie qui n’inspire plus personne.

Conditionnement de l’opinion, services obligatoires, décisions imposées, propagande européenne, domination allemande, restrictions pesant sur le peuple, suppression de la démocratie, racisme déguisé, laïcité écornée, censure sournoise, espionnage des opposants, perte de prestige et abandon de souveraineté : comme le notait Marx, l’histoire se répète sous la forme d’une caricature. Tout y est. Nous revivons 40-45 dans la léthargie de la ouate au lieu de la souffrance dans un enfer.

Quelle est la conclusion qui s’impose ? Elle est limpide. La Résistance avait réagi à l’ancienne Occupation, c’est la Résistance qu’il faut retrouver pour réagir à la nouvelle. Elle avait rassemblé des Français de toutes provenances et de toutes opinions dans une bataille commune. A sa tête, le Conseil national de la résistance (CNR) avait défini cinq objectifs de rétablissement de la démocratie : indépendance nationale, justice économique et sociale, pluralisme, laïcité et liberté d’expression. Aujourd’hui, la situation est différente et il faut y adapter les actions à accomplir. Mais l’essence des problèmes reste la même. Et surtout l’esprit d’hier demeure la force à faire renaître. Nous avons des objectifs similaires à atteindre, des adversaires comparables à vaincre. Nous nous sommes battus jadis pour la libération d’un joug insupportable, la réforme de la société et la restauration de notre stature. Nous devons encore le faire aujourd’hui. De la même façon, ensemble, sans distinction. Le combat est à mener contre des dérives et des dangers analogues. Il doit s’incarner dans la nouvelle Résistance d’un peuple qui reconquiert avec courage, en rejetant la nouvelle Occupation, sa dignité, ses valeurs et sa place respectée dans le monde. Ce sera le renouveau d’une nation faisant revivre – sans le caricaturer cette fois – un des moments les plus glorieux de son Histoire.

Louis DALMAS

Directeur de B. I.  22 janvier 2012.    

        

 

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