Suisse : Le Temps méprise les « sans-dents » qui votent mal

uli-windisch

Je l’ai dit et écrit plusieurs fois et il faudra encore le rappeler souvent.
A côté de la campagne générale et massive en cette année d’élections fédérales des milieux politico-médiatiques contre l’UDC,
il y a un même type de campagne en cours contre la démocratie directe.
Tout en venant nous dire que la démocratie directe suisse est formidable, tout de suite après ce préambule, de plus en plus nombreux sont ceux qui tentent de nous faire croire qu’il y a maintenant « abus » de cette démocratie directe, tant admirée et souhaitée dans tant d’autres pays.
Les attaques viennent ici aussi d’horizons très divers, chacun se cherchant un angle spécifique et si possible complémentaire. Une fois c’est pour nous dire que le développement d’initiatives devient une simple technique de marketing, une façon de se profiler politiquement, une autre, qu’il y a beaucoup trop d’initiatives, sur tout et n’importe quoi, une autre encore, qu’il faudrait que les initiatives tiennent compte de leur « euro-compatibilité », du droit international, une autre encore, et sans doute la plus insistante, qu’il faudrait être plus exigeant sur les critères d’acceptabilité ou les possibilités d’annuler certaines initiatives.
Je veux être clair : je suis un défenseur inconditionnel de l’initiative populaire et suis opposé à toute tentative de rendre plus difficile sa mise en pratique.
Oui, il y a plus d’initiatives depuis un certain temps mais les problèmes deviennent eux aussi beaucoup plus importants et souvent plus conflictuels, voire polémiques. C’est le propre de sociétés en changement profond.  C’est là un facteur déterminant et non un prétendu populisme qui empêcherait notre démocratie de bien fonctionner.
En revanche, parmi les critiques de l’augmentation importante des initiatives (pour moi un signe de vivacité et d’engagement de plus en plus large des citoyens, également à la suite des nouvelles possibilités de participation qu’offre le Net),
le journaliste du Temps, D.S. Miéville (Le temps 19 mars 2015 : « Contre l’abus du droit d’initiative, un seul remède : la fessée »), innove en se moquant et en tentant de dénigrer les citoyens ordinaires qui donnent de leur temps pour inviter d’autres citoyens à signer de telles initiatives, et cela en s’investissant eux-mêmes dans la rue, sur les marchés, etc., bref en exerçant leur citoyenneté (dont on parle tant) de manière active et personnelle, en donnant concrètement de leur temps plutôt que de faire depuis leur fauteuil dans le « y a qu’à »…
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Il y a ceux qui chantent le peuple tout en y voyant un frein ou un gêneur à leurs projets car on ne peut tout de même pas renier ce que tout le monde désire le plus ardemment.
Le journaliste ci-dessus franchit un pas de plus en criant ouvertement son mépris pour les couches populaires.
Comme chez les socialistes français, au plus haut niveau, on se moque de nos  « sans-dents » à nous.
Vous n’y croyez pas ? En effet on a de la peine à l’imaginer .On croit rêver, Eh bien non ! La preuve au moyen de quelques citations de la diatribe du journaliste contre nos « sans-dents :
« Militants rassis à poil gris défenseurs de tous les opprimés, chantres rustiques et trapus d’un retour à la Suisse des années cinquante vivant dans la douceur de son quant-à-soi, bonnes âmes ayant découvert une bonne cause donnant un sens à leur existence, fraîches jouvencelles pleines de bonne volonté mais ayant un peu de peine à maîtriser leur sujet, ils réapparaissent en nombre sur les marchés en même temps que les premières asperges et les premières morilles.
S’ils attendent le chaland, ils n’ont pas d’autre ambition que d’obtenir de sa part un très bref instant d’attention. Le temps de provoquer une émotion, de réveiller un sentiment de compassion, plus souvent de peur, d’indignation ou de nostalgie, de chatouiller une insatisfaction, d’allumer un éclair d’intérêt. L’opération n’a le plus souvent rien de l’échange dialectique. Un mot, une phrase ou un argument réduit à l’énoncé le plus simple, comprenant préférablement les termes contre, halte, non, plus rarement pour, doit suffire à déclencher, dans un réflexe de spontanéité citoyenne, la délivrance d’un paraphe sur une liste de signatures. Cela fait, chacun s’en va satisfait de son côté, le chasseur vers sa prochaine proie, le gibier consentant vers le stand des salades ou vers l’apéro.
Par un curieux paradoxe, plus le système de démocratie directe profite des progrès de l’informatique et du développement des réseaux sociaux, plus il paraît régresser, à travers la véritable boulimie d’initiatives que l’on observe, vers une économie de cueillette, de signatures en l’occurrence….
… Il y a de tout dans le grand bazar de la démocratie directe. L’offre des grands partis dont les initiatives, dévoyées en instruments de marketing électoral, n’ont plus rien à voir avec l’esprit originel de l’outil institutionnel…  ceux qui ne lancent une initiative que pour rappeler leur existence ou leur capacité de nuisance.
Vient enfin la brocante où chacun peut trouver son bonheur. L’enseignement de la musique ou du tricot, la signalisation sur les sentiers pédestres, la progression du loup ou la prolifération du cormoran, tout est susceptible de faire l’objet d’une initiative fédérale. L’une des dernières à être arrivée sur le marché ne demande-t-elle pas une intervention de la Confédération pour sauvegarder les vaches avec des cornes… Quant aux propositions imaginatives et novatrices, elles tombent dans le vide. Le groupe Foraus, par exemple, a proposé que le texte d’une initiative soit assorti de ses éventuelles conséquences sur les engagements internationaux de la Suisse ».
Le voilà l’argument qui entérinerait la souveraineté populaire : une initiative suisse devrait d’abord se préoccuper de sa compatibilité avec le niveau international.
En lançant une initiative, certains voudraient simplement rappeler… « leur capacité de nuisance ».
Il va de soi que si une initiative ne va pas dans le sens voulu par ceux qui ont honte de la Suisse populaire, ce ne peut être que nuisance.
Ceux qui se battent vraiment ne pensent qu’à « faire triompher une cause ou une obsession… »
Mieux. L’auteur de cette opération de commando contre la démocratie directe de conclure :
« Le temps est donc peut-être venu d’espérer que le système s’étouffe de lui-même, sous le poids de ses propres excès ».
Souhaiter la fin de la démocratie directe, bref le démantèlement de l’un des piliers  fondateurs du système politique suisse. Au moins il a le mérite de dire ouvertement ce que d’autres pensent sans oser le dire. Mais cela montre aussi quelque chose d’assez incroyable : il va falloir se battre et dépenser beaucoup d’énergie uniquement pour pouvoir continuer à pratiquer la démocratie directe.
Tenez vous bien, ce n’est pas fini : «Si l’usage de la fessée est interdit aux citoyens, c’est une prérogative que nul ne conteste encore aux peuples ».
Donc à vos fouets chers ennemis de la démocratie directe ! Mais on peut se demander qui va fouetter qui ? Imaginons un autre épilogue : les fesseurs fessés !
Une seule réponse à ces volontés d’enlever la démocratie directe aux « sans-dents » : initier et développer autant d’initiatives que nécessaires pour obliger les autorités à prendre au sérieux les problèmes et préoccupations réelles, concrètes et parfois vitales, de ceux qui ne peuvent se contenter de vivre confortablement et hors sol et qui n’ont que mépris pour ceux qui bouillonnent de rage et qui pourraient finir par faire appel à des registres d’interventions politiques supplémentaires.
On n’a pas fini d’entendre parler, de voir signer et agir les « sans dents».
Uli Windisch
 

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