Un « torche-cul » le drapeau tricolore ?

Nous portons à la connaissance de nos lecteurs cette magnifique réponse qu’avait faite Léon Landini, un des fondateurs du comité Valmy, à Christian Eyschen, l’ineffable secrétaire de la Libre Pensée, qui avait qualifié le drapeau tricolore de “torche-cul”. Un texte inoubliable, que nous recommandons à tous nos lecteurs.
Depuis la parution sur le mensuel « LA RAISON » N° 537, d’un article déjà fort ancien signé par Jean Zay et intitulé « Le drapeau », un débat parait s’être institué entre nos camarades et diverses autres personnes. Ne pouvant rester silencieux sur un problème et sur certaines affirmations qui me paraissent offensantes, je ne peux m’empêcher de donner mon sentiment sur ce sujet.
Je voudrais surtout intervenir sur la réponse de Christian Eyschen, (rédacteur en chef de la revue La Raison) à Annie Lacroix-Riz lorsqu’il écrit : « chacun est libre d’aimer ou pas le drapeau tricolore et la Marseillaise. En ce domaine comme dans d’autres, la Libre Pensée pratique le respect de la liberté de conscience…. Je partage tout à fait ce point de vue … « le patriotisme est le dernier refuge de la canaille » … et je ne me lève jamais quand passe la Marseillaise ».

Permets-moi cher Christian de te faire remarquer que traiter de « torche-cul » un drapeau, qui pour moi (et sans doute pour beaucoup d’autres) représente quelque chose d’important, ce n’est pas : « pratiquer le respect de la liberté de conscience », comme tu l’affirmes. Je suis convaincu, que si quelqu’un t’avais demandé de faire paraître un article sur ta revue dans lequel on traite le drapeau rouge et l’Internationale (que tu défends avec acharnement) de torche-cul, tu aurais très vraisemblablement refusé en disant et avec juste raison, que l’utilisation d’un pareil langage offenserait de nombreux adhérents de la Libre Pensée. Si comme tu le dis, je suis libre d’aimer la Marseillaise et le drapeau tricolore, il n’y a aucune raison que je permette à quelqu’un d’offenser ces symboles sans réagir fermement.
Venons-en maintenant au fond du problème. Il convient de mettre en évidence que la Marseillaise n’est pas uniquement un hymne français, mais un chant révolutionnaire de la première heure, qui a été repris et adopté par nombre de révolutionnaires de tous les continents. En voici quelques exemples :
– Le drapeau tricolore et la Marseillaise étaient l’emblème et le chant des sans culottes, qui à Valmy vainquirent la coalition royale accouru pour écraser la République française. Arboraient-ils un « torche-cul » ?
– Vers 1900, ceux qui en Russie chantaient la Marseillaise en public étaient arrêtés et déportés par la police du tsar.
– Après la révolution d’octobre en 1917, les bolchevicks l’adoptèrent pour hymne, avant de reprendre un autre chant révolutionnaire : L’Internationale.
– En 1931, à l’avènement de la Seconde République espagnole, les espagnols accueillirent le nouveau régime en chantant la Marseillaise, dans une version espagnole ou catalane.
– En 1940, dans la France occupée c’est au chant de la Marseillaise que les 27 fusillés de Châteaubriant furent emmenés au poteau d’exécution.
– C’est à Auschwitz, que 300 françaises pénétrèrent dans ce camp de la mort en chantant la Marseillaise, défit antinazi incomparable, ce qui redonna du cœur au ventre à l’ensemble des déportés.
– Combien de résistants, militants communistes furent fusillés poings levés, en chantant la Marseillaise et en criant vive le Parti communiste. Un grand nombre d’entre eux auraient considéré comme un honneur d’être ensevelis dans un drapeau tricolore.
– Il me semble utile de rappeler, (ce que beaucoup ignorent) que L’Internationale a été écrite par Eugène Pottier pendant la révolte de la commune de 1871 sur l’air de la Marseillaise et, qu’aujourd’hui encore on peut très bien mettre les paroles de L’Internationale sur la Marseillaise et vice et versa.
Lorsque en 1922, mon père a du s’enfuir de son pays poursuivit à coups de fusil par les Chemises noires de Mussolini, il dut à ce moment là choisir un pays pour pouvoir s’y réfugier « provisoirement » pensait-il. Il était convaincu que les italiens ne pourraient pas supporter très longtemps les fascistes et le fascisme. Son choix fut vite fait et c’est la France qu’il a choisi ! Oui ! C’est la France de la Révolution, la France de la Commune, la France des droits de l’homme ! La France, le seul pays au monde dont les bâtiments publics portent sur leurs frontons, ces trois mots LIBERTE – EGALITE – FRATERNITE et dont l’hymne national dit : « Liberté, Liberté chérie combats avec tes défenseurs et contre nous de la tyrannie » des mots qui ne manque pas d’actualité au moment où Sarkosy strangule les libertés et la laïcité. Ce n’est pas par hasard que mes camarades FTP-MOI baptisèrent leurs bataillons Carmagnole et Liberté, que Charles Tillon définit de la façon suivante : « Carmagnole-Liberté, un des plus beaux fleurons, si ce n’est le plus beau fleuron de la résistance armée française ». Le drapeau tricolore, malgré des souillures subies du fait des guerres impérialistes et du soutien apporté à l’union sacrée par la SFIO à la guerre de 1914, restait pour mon père le drapeau de la révolution, des sans culottes et de la Commune, où rappelons-le, le drapeau rouge était cravaté de tricolore.
Certes, le drapeau tricolore fut aussi : celui de Thiers écrasant les Communards, celui derrière lequel les troupes françaises massacraient les peuples coloniaux, celui utilisé par Pétain pour collaborer avec les nazis.
Je sais aussi que ce drapeau a été souvent utilisé afin de tromper le peuple et que la « Marseillaise » est systématiquement entonnée dans le même but par le fascisant Le Pen. Crois-tu vraiment que pour ces raisons le drapeau tricolore et la Marseillaise méritent autant de mépris ?
Si demain une de tes filles était violée, la jetterais-tu aux orties ou l’aimerais-tu davantage ? Et bien, en vouant le drapeau tricolore et la Marseillaise aux gémonies tu agis (pardonnes-moi cette comparaison brutale, mais le mot « torche-cul » pour désigner le drapeau qui flottait sur nos maquis n’est pas moins violent » comme ce père qui chasserait sa fille parce qu’elle a été violée.
Par ailleurs, ce serait une erreur de croire que l’on ne puisse pas traiter avec la même véhémence et autant de mépris le drapeau rouge et L’Internationale, c’est-à-dire de la même façon que l’article de Jean Zay (publié par La Raison) le fait à l’encontre du drapeau tricolore et de la Marseillaise.
Je te rappelle qu’à l’origine le drapeau rouge était celui que les Gardes du Roi, commandé par La Fayette, arboraient en arrivant Place de Grève face aux manifestants ouvriers, ce drapeau rouge était celui de la loi martiale, il signifiait que les Gardes allaient tirer sans sommations sur les « grévistes ». Cela n’a pas empêché que par la suite, le drapeau rouge soit devenu le drapeau de la classe ouvrière qui l’a si justement arraché à ses ennemis pour signifier le combat de classe.
Même si aujourd’hui l’armée russe de Poutine brandit le drapeau rouge « purgé des outils » pour massacrer le peuple tchétchène, sois certain que c’est toujours avec fierté que je le porte à bout de bras, en compagnie du drapeau tricolore.
En ce qui concerne L’Internationale, n’est-ce pas également ce chant que les sociaux démocrates (ceux qui ont toujours trahis les intérêts des travailleurs) chantent à leur congrès en arborant le drapeau bleu de l’Europe cléricale et en « ringardisant » la nation républicaine. Tu vois que lorsqu’il s’agit de salir les plus belles choses, on peut toujours trouver des arguments.
Chez les « Francs-Tireurs et Partisans de la Main-d’œuvre Immigrée » (les FTP-MOI auxquels j’ai eu l’honneur d’appartenir), nous n’étions ni chauvins, ni « patriotards » nous qui avions subi le racisme dans notre jeunesse, en associant Internationale et Marseillaise, drapeaux rouges et tricolores, nous faisions prévaloir l’Internationalisme prolétarien, uni au patriotisme républicain, sur le national-racisme Pétainiste et sur la « Grande Europe » de Hitler. Pourtant nous aimions notre pays, mais notre pays était toujours celui dans lequel nous nous battions pour défendre la justice et la liberté.
Pour conclure, je dirai que le mépris outrageant manifesté envers le drapeau tricolore ne peut que servir ceux qui souhaitent le faire disparaitre pour le remplacer par le drapeau bleu étoilé de l’Europe capitaliste, anti-laïque et supranationale.
Léon LANDINI
Ancien FTP-MOI – Grand Mutilé de Guerre.
Publié le 18 avril par le Comité Valmy
www.comite-valmy.org

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