Le 25 août 1944, la 2° DB du général Leclerc obtient la reddition de la garnison allemande composée de 20 000 hommes, à la suite d’une insurrection populaire lancée depuis 7 jours par les FFI de Paris.
Le même jour, dans la liesse populaire qu’on imagine et malgré la poursuite de combats sporadiques par certaines unités SS, Charles de Gaulle, à l’hôtel de ville, trouve les mots pour l’histoire.
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« Non ! Nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Il y a là des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies. Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. »
La ligne directrice du gaullisme est tracée dans ces quelques mots. Indépendance nationale et refus de la repentance. Indépendance nationale, même envers nos alliés en qui l’on doit tant. Mais de Gaulle sait trop bien que la reconnaissance de l’apport anglo-américain ne doit pas se faire aux dépens d’une minimisation de la grandeur de la France. Aussi saisit-il l’occasion de la libération de Paris par les FFL et les FFI pour mettre en avant la seule France, la France qui se bat. En quelques mots, le régime de Vichy est effacé. Car Vichy, par son refus de s’opposer aux Allemands puis par la collaboration, ne sera jamais la France.
Déjà la France doit être reconstruite. Avec toute l’énergie et un moral à toute épreuve que cela nécessitera. Ce n’est donc pas en pleurant sur toutes les erreurs commises par Vichy qu’on y parviendra. Ce n’est pas en laissant les Français se morfondre sur les erreurs passées ou sur leur passivité pendant l’occupation pour la très large majorité d’entre eux qu’on y parviendra.
Pas de repentance donc. Il faut aller de l’avant. En quelques mots, les Français retrouvent la fierté d’appartenir à une grande nation et un moral de vainqueur. Peu importe que ce soit à ce moment-là une illusion. L’essentiel est de créer une dynamique. La repentance-culpabilisation ne constitue qu’un frein inefficace à la reconstruction du pays.
Dans cette logique, à la suite de son discours, à Georges Bidault, successeur de Jean Moulin à la tête du Conseil national de la Résistance, qui le presse de proclamer la République, de Gaulle refuse : « La République n’a jamais cessé d’être ! Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. »
De Gaulle ne nie évidemment pas le rôle des Américains dans la libération. Il l’évoque évasivement quelques phrases plus loin (« avec le concours de nos chers et admirables alliés »). Mais il est inquiet de l’impérialisme des Américains, se caractérisant par l’instauration de l’AMGOT (« gouvernement militaire allié des territoires occupés ») en France.
De Gaulle s’opposera notamment à des billets de banque, appelés communément billet drapeau, mis en circulation en Normandie par l’armée américaine immédiatement après le débarquement, comme n’étant que de la fausse monnaie. L’insurrection de Paris, préparée par Kœnig, commandant en chef des FFI, est aussi un moyen de faire échouer l’installation de l’AMGOT.
Le message de de Gaulle s’adresse donc aussi bien aux Parisiens, au peuple de France, qu’aux Américains. Roosevelt finira par le comprendre et s’y soumettre puisqu’il renoncera définitivement à l’AMGOT en octobre 1944.
De Gaulle restera toujours fidèle à cette direction ; c’est au nom de l’indépendance nationale, qu’il exigera le départ des forces militaires américaines de France en 1966 ; simultanément la France se retire du commandement intégré de l’OTAN. De Gaulle fait alors remarquer que l’appartenance de notre pays à une organisation militaire dirigée par les Américains, risque de mêler un jour la France, contre son gré, à des conflits qui ne la concerneraient pas. Remarquable lucidité à l’aune des événements actuels. Lucidité non comprise par l’atlantiste non gaulliste Sarkozy qui ne trouve rien de mieux à faire que de réintégrer la France dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009.
C’est aussi au nom de l’indépendance nationale que de Gaulle refusera d’assister et de faire célébrer avec ampleur le 6 juin 1964, 20° anniversaire du débarquement. Devant l’insistance de son ministre Peyrefitte, le président avait grondé : « Le débarquement du 6 juin, ç’a été l’affaire des Anglo-Saxons, d’où la France a été exclue. Ils étaient bien décidés à s’installer en France comme en territoire ennemi ! […] Ils avaient préparé leur AMGOT qui devait gouverner souverainement la France à mesure de l’avance de leurs armées. […] Et vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n’est pas là ! Et puis, ça contribuerait à faire croire que, si nous avons été libérés, nous ne le devons qu’aux Américains. Ça reviendrait à tenir la Résistance pour nulle et non avenue. Notre défaitisme naturel n’a que trop tendance à adopter ces vues. Il ne faut pas y céder ! Les Français sont déjà trop portés à croire qu’ils peuvent dormir tranquille, qu’ils n’ont qu’à s’en remettre à d’autres du soin de défendre leur indépendance ! Il ne faut pas les encourager dans cette confiance naïve, qu’ils paient ensuite par des ruines et par des massacres ! Il faut les encourager à compter sur eux-mêmes ! Allons, allons, Peyrefitte ! Il faut avoir plus de mémoire que ça ! Il faut commémorer la France, et non les Anglo-Saxons ! Je n’ai aucune raison de célébrer ça avec éclat. Dites-le à vos journalistes. »
1984, 1994, 2004 et 2014 ont été l’occasion pour Mitterrand, Chirac et Hollande de fêter le jour J avec faste et de jouer les bons toutous des Américains. Les médias à leur suite nous rebattent les oreilles des exploits des GI, à tel point que certains jeunes élèves actuellement ne savent même pas que les Britanniques y ont participé. Avec le 6 juin 2014, on a atteint des records de flagornerie et de propagande hollywoodienne. A un tel point qu’on avait parfois l’impression que c’était Obama qui recevait tous les chefs d’Etat et de gouvernement, Hollande étant tellement effacé. Quelle régression !
Toujours fidèle à sa direction tracée par le discours de l’hôtel de ville, de Gaulle refusera toute idée de repentance. Il s’agira pour lui de donner la priorité à la réconciliation nationale. Mais après sa mort, une utilisation mortifère de la recherche historique va mettre abusivement l’accent sur le régime de Vichy et la collaboration, et ce sans nuance. A tel point que les gens qui se contentent de parcourir superficiellement l’histoire finissent par être convaincus que la très grande majorité des Français ont été des salauds durant l’occupation. Ce qui permettra à un BHL et à d’autres de répandre leur venin en qualifiant la France de rance, de moisie et autres joyeusetés. Avec efficacité, puisque ces accusations ressassées, les Français finissent par l’intégrer mentalement.
C’est le début d’une ère de culpabilisation des Français qui n’a pas cessé, même si elle fonctionne moins efficacement depuis une période récente. Cette culpabilisation mena ensuite à un devoir dit de repentance dont l’aboutissement est la peur actuelle de nombreux Français d’exprimer leurs désaccords dès qu’ils concernent des membres de minorités.
Toute la classe politique dirigeante finit par adhérer à cette logique de la repentance, en conjuguant lois mémorielles et demandes de pardon de la France. Chirac et Hollande en étant les meilleurs représentants. On voit où cela mène notre cher et vieux pays.
Aussi le discours gaullien du 25 août 1944 reste d’actualité. Tout redressement du pays doit s’accompagner des deux objectifs de de Gaulle : retour à l’indépendance nationale et refus de se complaire dans la repentance.
Jean Pavée