Françoise Laborde et Denise Bombardier ordonnent aux femmes : Ne vous taisez plus !

 C’est un très court ouvrage ( 77 pages)  que viennent d’écrire deux femmes journalistes. L’une Françoise Laborde est bien connue des Français, l’autre écrivain et polémiste québécoise l’est moins. Si aujourd’hui, il est à la mode d’utiliser l’injonction dans les titres d’ouvrages publiés, ce livre ne pouvait pas ne pas avoir ce titre là ! En effet les femmes ne doivent plus se taire, et cet ouvrage leur est dédié mais les hommes  sont cordialement invités à le lire aussi, ça ne pourra pas faire de mal, car il faut lutter contre ce fléau ensemble ! 
C’est à la suite de l’affaire DSK,  qu’elles nomment  dans l’ouvrage « le fameux 14 mai 2011 », et des commentaires qu’elles ont entendus ensuite émanant des hommes, mais aussi des femmes, qu’il leur a semblé, à toutes les deux, nécessaire de produire ce livre à deux. L’une a une vision française et l’autre, Québécoise,  amène un éclairage  comparatif dans la manière dont les relations hommes /femmes se différencient entre la France et son pays le Canada et plus largement les sociétés anglo-saxonnes. 
La brièveté de l’ouvrage les a obligées à condenser leur analyse mais ne les a pas empêchées d’user d’un peu d’humour. Ces « grandes gueules »,  c’est ainsi qu’elles se revendiquent, se demandent : «  Où sont passées nos grandes voix humanistes et féministes ? ». Elles mettent en évidence le comportement, pour le moins surprenant,” des personnalités de gauche… ténors de l’égalité entre les peuples… donneurs de leçons à la planète entière.. venus utiliser toutes les tribunes… pour à la fois s’indigner du traitement de leur ami par la justice américaine et banaliser les faits qui lui étaient reprochés”. Elles ont constaté que, au-delà de BHL parlant  de : « Cet homme (DSK), dont on a jeté aux chiens la vie et l’honneur » et des politiques : « Notre ami » ne saurait se comporter ainsi, c’est un séducteur, non un violeur !»,   la majorité des hommes, journalistes et politiques en première ligne, n’ont pas faibli dans les propos sexistes lors de cette affaire. 
Les hommes du Québec seraient-ils plus vertueux que les Français ? Non bien sûr mais : «  la société québécoise ne manifeste aucune complaisance à leur endroit ; si bien que ces hommes (prédateurs) savent ce qui leur en coûte d’agresser une femme» et ça change beaucoup de choses. 
Pourquoi cette complaisance envers les hommes qui abusent des femmes jusqu’à l’acte de viol ? Est-ce une spécialité française d’appeler  « séduction » ce qui n’en est pas ? D’où cela vient-il ? De notre passé monarchique ? Elles tentent de répondre à cela. Et aujourd’hui, pourquoi en est-on là ? Le point de vue de ces femmes est que les Français  se comportent en impérialistes du sexe en France …comme si la France était la référence ultime en matière de mœurs et d’érotisme » et font que : « la France est en retard sur la question du droit des femmes ». 
Les séducteurs trouvent plus facile de critiquer l’Amérique plutôt que de  remettre en question leur comportement oubliant : « que ce sont les progressistes luttant contre les discriminations qui ont imposé depuis 1964 les lois sur le harcèlement sexuel dans le Civil Rights act, et non des religieux rétrogrades et puritains revendiquant un ordre moral ». Ces femmes rappellent que  les agressions sexuelles ont lieu dans tous les milieux y compris chez les gays, et bien souvent sur le lieu de travail… Elles dénoncent, ces femmes cultivées, raffinées, que la société présente bizarrement, souvent comme exemplaires qui restent avec des maris pour le moins indélicats,  couvrant ainsi des comportements condamnables. Comme un clin d’œil triste elles ont glissé dans le livre  le texte d’Edith Piaf :

I ‘m’fout des coups,

I’m’prend mes sous,

je suis à bout

mais malgré tout

Que voulez-vous 

qui peut donner le droit aux publicitaires de partir dans le registre : « Babette, je la lie, je la fouette et parfois elle passe à la casserole ». 
Il semble que notre héritage de la « galanterie française » associé à la tradition archaïque du « droit de cuissage » n’ait  pas  mené les femmes françaises bien loin puisque la France, d’après le forum économique de Davos 2010 n’est située qu’au 127 éme rang sur 134 pays en matière d’égalité salariale entre les hommes et les femmes derrière le Kenya et le Kazakhstan.  Dans leur domaine elles précisent qu’il  n’y a que 17% de femmes dans les médias, avec un temps de parole sur les radios de 7% contre 93%. 
Terminant sur l’acte ultime du viol, les deux journalistes invitent à une mobilisation générale : « seule une mobilisation des femmes et des hommes-faut-il le rappeler- permettra de créer le climat sans lequel cet affranchissement collectif ne peut exister. Le silence est l’allié maudit de toutes les formes d’exploitation sexuelle. Ne vous taisez-plus ! »
Bien qu’elles rappellent qu’en France on compte environ 75.000 viols par an, soit un chaque deux heures, on aurait aimé une analyse un peu plus fouillée sur le rôle de la justice française dans ces affaires d’agressions sexuelles, par rapport à l’accueil des victimes et à la prise en compte de leurs plaintes. 
D’autres points sont abordés dans cet ouvrage mais retenons surtout l’ ordre sur lequel les deux femmes terminent : “Ne vous taisez plus!” Seront-elles lues, entendues, obéies ? Il faut le souhaiter ! C’est un bon  ouvrage pas cher (6€90), vite lu, à mettre entre toutes les mains y compris, et surtout, celles de nos jeunes adolescent ( e )s si l’on veut que notre société évolue. 
Chantal Crabère 
* Ne vous taisez-plus de Denise Bombardier et Françoise Laborde chez Fayard

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