Le haut conseil de l’intégration, créé en 1990 afin de permettre aux gouvernements de disposer de réflexions et de propositions élaborées avec sérénité et indépendance, avait choisi, dès le départ, de : « concevoir l’intégration non comme une sorte de voie moyenne entre l’assimilation et l’insertion, mais comme un processus spécifique. Pour ce processus, il s’agit de susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété, de cette complexité.
Sans nier les différences, en sachant les prendre en compte sans les exalter, c’est sur les ressemblances et les convergences qu’une politique d’intégration met l’accent afin, dans l’égalité des droits et des obligations, de rendre solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles de notre société et de donner à chacun, quelle que soit son origine, la possibilité de vivre dans cette société dont il a accepté les règles et dont il devient un élément constituant ».
Alors, nous pouvons dire que l’intégration est un projet, mais aussi un processus de constitution, sans cesse renouvelé, d’un groupe humain. Tous les membres du groupe sont concernés par ce projet, sachant que les nouveaux arrivants le sont de façon particulière, du simple fait qu’ils ne font pas encore partie du groupe.
L’intégration est aussi un ensemble de politiques, au sens de règles de conduite particulières et d’un ensemble de pratiques, qui a pour objet de créer de façon continue les meilleures conditions de réalisation de ce projet et de poursuite de ce processus.
Mais, qu’entendons nous exactement par « intégration » ? Cela demande un minimum de définition, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’une notion qui est souvent rapprochée de deux autres, à savoir : « l’assimilation » et « l’insertion ». Autant nous allons constater qu’intégration et insertion sont proche, autant le rapprochement avec l’assimilation semble plus hasardeux.
Selon le petit Larousse illustré, « intégrer » est issu du latin « integrare » voulant dire recréer. Il s’agit de faire entrer dans un ensemble, dans un groupe plus vaste. Concernant le terme d’intégration, notons deux acceptions particulières : en astronomie, c’est l’opération qui consiste à assembler les différentes parties d’un système et à assurer leur compatibilité ainsi que le bon fonctionnement du système complet. D’autre part, en physiologie, c’est la coordination des activités de plusieurs organes, en vue d’un fonctionnement harmonieux, réalisée par divers centres nerveux.
Concernant « insérer », l’origine est, là aussi, latine. « Inserere » renvoyant à introduire, faire entrer, placer une chose parmi d’autres, intercaler, intégrer. Le verbe « s’insérer » voulant dire : trouver sa place, se placer, se situer, s’introduire, s’intégrer. Dans la suite logique, « insertion » est l’action d’insérer, d’intégrer. En histoire naturelle, cela correspond à l’attache d’une partie sur une autre.
Nous voyons bien la proximité des deux notions dans l’origine, dans la définition, mais aussi dans le dictionnaire puisque seulement deux pages les séparent, du fait de la similitude du préfixe « in », indiquant ici le mélange.
Selon le Littré, « assimiler » fait référence à convertir en semblable. En physiologie, il s’agit de convertir en sa propre substance. Le terme « assimilation » est défini comme l’action de présenter comme semblable. Notons deux acceptions significatives : toujours en physiologie, il s’agit de l’action commune à tous les êtres organisés et par laquelle un corps vivant rend semblable à soi et assimile les matières alimentaires. En grammaire, c’est une règle par laquelle une consonne transforme la consonne qui la précède en une autre consonne du même degré qu’elle.
Terminons ce tour des définitions par celle de Norbert SILLAMY, dans son dictionnaire usuel de psychologie : « assimilation : du latin assimilatio, de assimilare, rendre semblable, de similis, pareil. C’est l’action de rendre ou de devenir semblable … Sur la plan psychosocial, on parle d’assimilation pour désigner l’intégration de personnes … dans un nouveau milieu. Généralement, les valeurs du groupe de référence prennent une grande importance pour ceux qui s’efforcent de s’y adapter. Mais, leur attachement au passé, leurs difficultés à renoncer à leurs propres valeurs et à leurs coutumes créent en eux une tension pouvant se traduire par des troubles du comportement ou des affections psychosomatiques. »
Quand nous disions que le rapprochement entre les termes d’intégration et d’assimilation étaient hasardeux, ce n’est pas si sur pour certains. En tout état de cause, nous voyons bien que Norbert SILLAMY en fait des synonymes, dans sa proposition de définition psychosociale.
C’est la raison pour laquelle, même si ce détour par différents dictionnaires peut sembler fastidieux, il n’en est pas moins nécessaire. En effet, il apparaît que la notion d’intégration ne soit pas si facilement définissable que cela.
Si l’intégration est un projet, alors elle en appelle au choix, au positionnement. Osons même dire au positionnement éthique. Un des seuls points d’accord entre toutes les définitions concernant l’assimilation est le fait de rendre semblable. Pour une assimilation réussie, il faut que l’autre renonce à lui-même, à l’intégralité de ses valeurs, de sa culture et de son histoire. Il s’agit bien de « transformer en sa propre substance ». En quelque sorte, il faut être semblable à celui par qui on est assimilé, il ne faut plus être soi-même. C’est comme une digestion, c’est la mort de l’altérité. Pourtant, même après une digestion et une assimilation réussie, il y a toujours un reste inassimilable et nous savons tous ce que devient ce reste, il devient déjection que l’on rejette sous peine de tomber malade. Continuons la métaphore, du point de vue de la société, cela voudrait dire : « soit assimilé, dilue tout ton être dans le corps social et tout ce qui, en toi, n’est pas assimilable sera rejeté. Si c’est tout ton être qui n’est pas assimilable et digérable alors tu seras implacablement éliminé sinon, par ta faute, c’est toute la société qui sera malade ».
Intégrer et insérer ne supposent pas l’idée de « rendre semblable », il est bien question de l’assemblage de différentes parties d’un système. Ici, il s’agit bien de prendre en compte les éléments variés et différents en acceptant les spécificités et les différences, sans les exalter, dans une égalité des droits et des obligations. Il semble que ce positionnement fasse plus référence à une stratégie de type « gagnant – gagnant » dans laquelle il y a acceptation de règles communes devant être respectées par tout le monde, tout en tenant compte de l’altérité.
Alors, il y a bien un choix à effectuer entre au moins deux dimensions : une intégration de type assimilation, ou une intégration de type insertion. Répétons qu’il s’agit là d’un choix éthique, renvoyant à des valeurs et entraînant des façons de faire et d’être particulières.
En tout état de cause, les premiers contacts du nouvel arrivant dans un groupe sont, pour lui, toujours marquants. Les sentiments, les attitudes qu’il percevra au travers de ce premier contact seront déterminants dans la perception qu’il aura du groupe qui accueille et dans les relations futures qui vont s’établir. La première approche est très importante pour l’organisation ultérieure des réactions affectives du groupe. Les réactions de début sont déterminées par les conditions d’arrivée du nouveau.
Alors, nous pouvons dire que l’intégration implique une politique (prise au sens large des attitudes et des comportements) d’accueil, ainsi que le respect des cultures d’apport et des caractères identitaires des personnes, pour autant qu’ils ne mettent pas en péril les fondements du groupe qui accueille.
Accueillir, c’est la manière de recevoir quelqu’un, de se comporter avec lui quand il arrive. L’hôte accueille ses hôtes, ses invités, les entoure, se préoccupe de leurs besoins, de leur bien être. Accueillir est un acte relationnel, c’est une rencontre. C’est être disponible, tisser des liens de confiance, respecter. Encore faut-il, pour être respecté, être respectable.
Rendre possible l’émergence d’un sentiment de confiance est essentiel. Un tel sentiment n’est pas acquis d’emblée, ni de façon définitive. Il nécessite des qualités humaines qu’il convient d’adapter, d’ajuster à chaque type de rencontre.
Bien qu’il soit difficile d’établir une liste d’étapes successives permettant de tisser des liens de confiance, nous pouvons identifier que la première de celle-ci consiste principalement à agir pour diminuer le sentiment d’inquiétude que peut ressentir tout nouvel arrivant. Ce qui génère le sentiment d’être considéré comme une personne, c’est tout d’abord un accueil chaleureux. Il s’agit aussi, pour ce premier contact, de déceler les attentes de la personne accueillie. Alors, c’est quand les liens de confiance se tissent, quand la rencontre est réussie que l’on peut aborder une deuxième étape consistant à faire un bout de chemin avec la personne accueillie. Il est donc bien question d’accompagner le nouvel arrivant dans un cheminement, de l’éclairer dans ses hésitations, jusqu’à l’atteinte d’une autonomie suffisante.
Bien accueillir est une disposition d’esprit, une ouverture aux autres, c’est le respect de la personne humaine.
L’arrivée et l’accueil d’un « nouveau » n’est pas chose simple. En effet, cela pose le problème de la confrontation de logiques et d’habitudes différentes. L’intégration d’un « nouveau » peut remettre en cause un certain équilibre du groupe qui accueille. Cette intégration est un changement important qui va heurter la culture existante du groupe, mais aussi heurter, en retour, le nouvel arrivant. Une approche systémique dirait que tout nouvel arrivant consiste une « perturbation » pour le groupe qui accueille (sachant qu’il est aussi « perturbant » pour quelqu’un d’arriver dans un nouveau groupe qu’il ne connaît pas ou peu), perturbation étant à disjoindre de tout jugement de valeur et encore bien moins moral. Ici, une perturbation n’est, à priori, ni négative, ni positive, elle vient modifier un équilibre antérieur. Dans cette notion d’accueil, ce sont les relations, transitives, tissées entre l’accueilli et les accueillants qui vont déterminer si cette « perturbation » est positive ou négative.
Ici, la notion de « passage » apparaît, passage d’un état à un autre. Pour que ce passage se passe au mieux et ne s’effectue pas « sur le tas » et de manière empirique, il est possible de mettre en place des stratégies, des processus pratiques. Ces processus peuvent être compris comme des rites d’intégration, de passage. Ils sont des marqueurs de temporalité, ils indiquent un avant et un après, ils scandent donc le temps. Les rites profanes du quotidien sont structurants, ils aident à canaliser les pulsions, à s’intégrer, ils sont conteneurs d’anxiété, conjurateurs de sentiment d’insécurité. Ils facilitent les passages, aident à opérer les séparations, à rassembler. Claude RIVIERE, dans son livre « les rites profanes », en parle comme étant un ensemble de conduites individuelles ou collectives relativement codifiées.
Ils ont un support corporel et verbal, ils ont un caractère plus ou moins répétitif à forte charge symbolique pour leurs acteurs et ils sont fondés sur une adhésion mentale, une reconnaissance du groupe, et sur des valeurs. En tout état de cause, ils supposent une altérité avec laquelle a lieu un échange de messages.
Le rite est utile dans l’apprentissage de l’ordre, c’est-à-dire des codes, interdits (à entendre aussi dans son acception lacanienne d’inter – dit, ce qui est dit entre, la loi qui est dite entre deux parties, l’accès au symbolique), habitudes nécessaires à une vie commune. Dans ce cadre là, les rites sont importants car ils aident à opérer des transitions, ils aident à progresser et à grandir.
C’est Antoine de Saint EXUPERY qui fait dire au renard, s’adressant au petit prince, « mais si tu viens n’importe quand, je ne saurais jamais à quelle heure m’habiller le cœur … il faut des rites ». Faisant suite, quand le petit prince demanda au renard « qu’est-ce que c’est qu’un rite ? », ce dernier lui répondit « c’est aussi quelque chose de trop oublié, c’est ce qui fait qu’un jour est différent des autres jours ».
Maintenant, revenons au nécessaire positionnement éthique. Effectivement, quelles sont les valeurs que nous souhaitons transmettre ? Intégration/assimilation, intégration/insertion ou encore penser que ce ne sont pas des dimensions qui méritent que l’on s’y arrête ? La définition de ces valeurs va permettre de clarifier les représentations et les attitudes que nous souhaitons faire émerger.
Dans le même ordre d’idées, mener une réflexion sur la valeur humaine semble indispensable. Affirmons ici ce qui est loin d’être une évidence, à savoir que chaque être humain est unique et exceptionnel. Faisons référence à Albert JACQUARD en soutenant que le fait de porter une attention particulière et humaniste à l’autre, c’est déjà prendre soin de lui. Nier cette dimension merveilleuse en chaque être, ce serait déjà une façon de ne pas lui reconnaître le statut d’Humain en tant qu’être unique et exceptionnel. Mais, la découverte de cette merveille de l’autre n’est pas simple, elle nécessite de s’impliquer dans une relation réellement respectueuse de cet autre, plus particulièrement avec le nouvel arrivant qu’un groupe accueille. Ce que nous voulions dire en faisant référence à ce qu’avait écrit le haut conseil à l’intégration, prenant en compte des « éléments variés et différents », « acceptant la subsistance de spécificités » et « tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété ». Il s’agit bien d’accepter d’aller à la rencontre de l’autre.
Assimiler, c’est vouloir réduire l’autre au même, c’est une violence essentielle qui méconnaît l’expérience fondamentale de l’altérité, d’autrui. Assimiler est une démarche totalitaire qui est une perversion de la conscience, croyant qu’elle n’a jamais rien à apprendre de l’extérieur. Mais, en fait, n’est-ce pas là une peur de l’autre et un désir d’éviter la blessure d’une extériorité qui serait perçue comme une menace, parce qu’elle met le sujet en question. Alors, dans ce cas là, assimiler correspond à un égocentrisme totalitaire, où le moi engloutit tout et où le singulier n’est plus respecté, ni dans son altérité, ni dans son originalité irréductible. Ainsi, se révèlent les causes de l’abandon de l’espace intersubjectif, de la relation à l’autre et, donc, de l’éthique.
Le point de départ de la relation éthique, comme l’enseigne Emmanuel LEVINAS, c’est le face à face, c’est la rencontre du je avec autrui. Cette rencontre d’autrui avec je confère à ce dernier une responsabilité ne renvoyant pas à un pour soi, mais impliquant nécessairement et immédiatement un pour autrui. Alors, si tant est que nous voulions nous préoccuper de la rencontre avec le nouvel arrivant, de son accueil et de son intégration, poser la question du choix entre intégration/assimilation ou intégration/insertion, c’est déjà y répondre, de manière éthique et responsable. C’est ce fil conducteur que se doit de prendre en compte toute politique d’intégration.
Mais, revenons à certains termes énoncés par le haut conseil à l’intégration : « il s’agit de susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents », « sans nier les différences, en sachant les prendre en compte sans les exalter » , « égalité des droits et des obligations » et « donner à chacun, quelle que soit son origine la possibilité de vivre dans cette société dont il a accepté les règles et dont il devient un élément constituant ». Ce qui est dit ici, c’est que l’accueil, l’intégration et l’insertion ne sont pas à sens unique.
Effectivement, se préoccuper de cela n’incombe pas uniquement à celui qui accueille, mais celui qui est accueilli a une part active dans la réussite de ce processus. En clair, l’accueil du groupe pourra être de la meilleure qualité possible, si celui qui est accueilli n’accepte pas les règles de la société qui accueille, l’intégration n’aura que peu de chances de réussir. C’est un peu comme dans le concept de négociation. Car pour négocier, il faut être au moins deux et il faut que les deux soient au moins d’accord, en préalable, sur l’idée même de négocier, sino cela ne marche pas. Il s’agit donc bien d’un processus à deux où il doit exister une sorte de contractualisation : nous t’accueillons dans ma société nationale en respectant tes différences, sans les exalter, mais tu dois participer activement à cette intégration, tu as des droits et des obligations et tu dois respecter les règles communes qui fondent cette société nationale. A chacun de faire un pas vers l’autre.
Michel SERRES nous enseigne qu’il est aberrant de réduire la notion d’identité à la notion d’appartenance à tel ou tel groupe social, socioprofessionnel ou autres. L’identité n’est ni univoque, ni figée, elle est plurielle et en constante évolution. Sachons la faire vivre en évitant les replis identitaires, le communautarisme qui ne peuvent que nous appauvrir.
Notons, ici, que cette notion d’identité recouvre deux acceptions qui pourraient être perçues comme contradictoires. Une première acception renvoie au même, à ce qui est identique, nous retrouvons cela, par exemple, dans le début de la déclaration universelle des droits de l’Homme : « tous les Hommes naissent libres et égaux en droit ». La seconde acception renvoie aux différences qui font que chaque être humain est unique en tant qu’une identité est propre à chaque individu et qu’elle lui est strictement personnelle. Nous n’avons toutes et tous qu’une seule carte d’identité chacun et il serait inconcevable d’imaginer une carte d’identité de groupe, qui serait la même pour tous les membres de ce même groupe. Donc, nous avons bien, ensemble, les notions d’identité/égalité et d’identité/unicité. Notions qui ne sont pas antinomiques puisqu’elles sont républicaines, en tant que la République s’intéresse à l’intérêt général tout en intégrant la notion d’individualité. Il s’agit donc bien d’allers retours permanents entre le groupe et l’individu, entre le collectif et le personnel, entre le public et le privé.
Alors, nous devons effectuer un choix éthique entre deux postures diamétralement opposées. La première, antirépublicaine, qui est l’intégration/assimilation et la seconde qui est l’intégration/insertion, respectant l’individu et le groupe. Terminons en citant le Marquis de SADE dans « la philosophie du boudoir » : « français, encore un effort si vous voulez être républicain ».
Hervé BOYER