Agression d'un jeune juif : rejeter les violences communautaires, c'est rendre la rue à la laïcité

« L’inquiétante agression » titrait ce lundi matin le journal « metro » pour qualifier le passage à tabac d’un jeune de 17 ans, de confession juive, grièvement blessé, semble-t-il, en raison de son appartenance religieuse. Le jeune homme portait une kippa au moment des faits. Il s’agit d’une agression d’une rare violence, celui-ci ayant été frappé à coups de barre de fer, il est à l’hôpital dans le coma avec des côtes cassées mais surtout des fractures du crane. Il semble que ces faits graves s’inscrivent dans un cadre d’affrontements entre bandes de jeunes d’origine juive et nord-africaine, voire africaine.
La population du quartier du 19e arrondissement de Paris où s’est produit l’événement est sous le choc, y compris l’opinion publique qui voit chaque jour monter des tensions entre communautés. Le chapeau de l’article du journal précisait : « Unanimement condamnée, cette agression ravive la crainte des tensions communautaires au sein de la société française ». Certains pour relativiser parlent de franges limitées de la population qui sous forme de bandes rivales se réclamant d’une appartenance communautaire se livrent à des affrontements qui recouvrent une question de contrôle de territoire. Cette agression doit être condamnée sans concession, elle doit aussi nous aider à éclairer les dangers qu’elle révèle.

Les frustrations sociales, argument systématique de la justification des violences sur une base ethnico-religieuse

Selon Dominique Sopo, Président de SOS racisme (Metro du 23.06.08) « Cette tentative de meurtre répond à une logique inquiétante de frustration, de préjugés et de haine de l’autre qui se développe depuis plusieurs années (…) On parle de logique ethnique – rajoute-il- mais ces zones correspondent d’abord à des quartiers de relégation sociale ».
Il y a dans les propos de Dominique Sopo une tendance à vouloir toujours tout expliquer par la discrimination sociale, sans oser aller au bout de cette explication qui n’est pas sans contradictions. Un homme de couleur dans le JT du 20h de France 2 du 22.06.08 n’hésitait pas lui à le faire : « Il y a certaines communautés qui sont privilégiées par rapport à d’autres (…) Nous on est étranger, on a le droit de rien dire (seulement) oui, oui… Il y a des choses qui pourraient être un peu plus égales ».
Des propos qui, à mots couverts, justifient que des frustrations puissent se traduirent par des violences gratuites sur le premier juif venu, opposant finalement en creux juifs riches et immigrés pauvres… Une vieille rengaine qui resurgie au premier prétexte venu. On a de quoi s’inquiéter de telles idées, y compris des propos d’un Président de SOS racisme qui ne sont pas sans alimenter des préjugés qui peuvent générer les pires dérives communautaires, au nom de ségrégations sociales dont aucun juif n’est responsable. Sans oublier au passage la façon dont le conflit israélo-palestinien peut ici se rejouer en distribuant les rôles dans ce prêt à porter du communautarisme ici totalement banalisé. Mais il y a comme un vide dans les commentaires des journalistes, des politiques, des associations qui restent désespérément muets sur un sujet essentiel, à savoir, la réalité du pourquoi d’une telle situation, passé le constat des difficultés et du sempiternel argument des inégalités sociales qui ne peut justifier à lui seul tant de haine, de violence inouïe et d’extrême bêtise au nom de la différence de l’autre.

On n’a cessé d’encourager un recadrage politique de notre société par les religions

Ce qui est en cause en réalité ici, c’est la justification de l’affirmation publique de son culte dans la rue, dans l’espace public, mettant au devant et avant tout sa religion, dans un contexte où certains discours tendent à vouloir remplacer la laïcité par un œcuménisme ouvert à toutes les religions, comme réponse soi-disant pacifique aux relations entre les hommes. Contrairement à cette promesse des religions, les historiens ont toujours constaté amèrement le fait que, dès qu’une société favorise les expressions communautaires, une fois passées les grandes déclarations d’intentions, les affrontements ne sont pas loin, voire la guerre, comme le Liban en ce moment même nous le montre malheureusement trop bien.
La réponse consistant à ce qu’une prière soit organisée sur les lieux du drame « pour espérer le rétablissement de Rudi » comme le rapporte encore le quotidien « metro », en dehors du caractère irrationnel d’une telle manifestation sur quoi on n’insistera pas, porte encore dans l’espace public l’expression religieuse comme relais à un problème qui devrait être traité sur le mode de l’intérêt général, sous les formes d’un rassemblement prônant non l’affichage de sa différence mais l’égalité de tous, interdisant par delà les origines diverses, ce genre d’exaction inique.
Le problème que personne n’évoque, c’est la valorisation de la logique identitaire de façon continue depuis une vingtaine d’années, de la gauche à la droite via les gauchistes, donnant aux cultures une valeur de dignité souvent opposée à une République qui aurait failli dans a mission d’intégration.
En vérité, un argument servant surtout à une nouvelle prise de pouvoir du religieux sur le politique. Sarkozy n’est dans ce domaine, on le sait, pas en reste, voyant dans la religion la cause essentielle de la vie et le salut des banlieues. Il a initié la commission Machelon visant à remettre en cause la loi de séparation des Eglises et de l’Etat dans le sens de permettre un financement public des lieux de culte avec la bénédiction du PS. Le Traité Constitutionnel européen puis le Traité de Lisbonne ont joué dans le même sens, donnant aux religions un rôle d’interlocuteurs privilégiés à consulter dans le cadre des grandes orientations de la politique européenne, avec reconnaissance de la liberté d’exprimer en public et en privé sa religion. La marotte de Jack Lang et de Régis Debray, le fameux enseignement du fait religieux à l’école, a vu assigné à cette dernière le rôle de support à une intégration par la religion des populations qui ne veulent pas se reconnaître dans la République et ses principes, au lieu de les affirmer comme la valeur au-dessus des autres.
Voilà quelques éléments du contexte qui nous amène à cette situation de conflit entre communautés et à ce que des jeunes, ne se voient plus qu’à travers des identifications communautaires qui sont suicidaires pour notre société.

L’espace public ne saurait être un lieu de démonstration permanente des différences

« Il faut rester prudent. Les choses ne sont pas univoques » nous dit encore Dominique Sopo, « Le métissage en France, par exemple, est plus accepté qu’il y a vingt ans » On s’interroge de savoir de quoi il nous parle ? Car si les couples mixtes existent en France et ce depuis bien plus longtemps, c’est justement dans ces milieux communautaires dont il ne parle pas où s’affirme une recrudescence d’intolérance parce qu’ils se renferment sur eux-mêmes. Des milieux pour lesquels, à moins d’une conversion en règle, il est impossible de s’unir à celle ou celui qui a été choisi en dehors de la communauté de référence, quand encore il est possible de choisir en dehors d’elle, voire de choisir tout court pour celles et ceux qui en font partie.
Décidément, l’analyse de M. Sopo a bien un TGV de retard, pace qu’il refuse de se poser les bonnes questions, celles qui amènent à la remise en cause de la revendication à la visibilité des minorités pour au contraire, défendre une égalité qui garantit les individus contre la logique communautaire qui les prend en otage et divise notre société, le peuple. On voit de quelle façon ce cas illustre comment, au lieu de voir dans l’affirmation des communautés un ciment nouveau de la cohésion sociale, avec un droit à la différence justifiant la différence des droits ainsi qu’une mise en concurrence communautaire, il ne devrait être question que de faire respecter les droits inaliénables de l’individu comme ne pouvant être cédés à aucun corps intermédiaire, du citoyen au sommet de l’Etat.
La loi de mars 2004 d’interdiction des signes religieux à l’école l’a démontré, pour retrouver la liberté d’apprendre à minima à l’école publique, il a fallu casser la logique communautaire qui était en train de s’y installer. Un problème posé au niveau de l’université qui comme lieu de transmission du savoir ne devrait subir aucune pression communautaire à travers la présence de signes religieux ostentatoires comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. A l’image des sentiments qui ont inspiré cette violence tournée contre ce jeune d’origine juive, imaginons ce qui pourrait se passer à présent dans les collèges si on avait laissé libre cours à cette logique des identités, au nom d’on ne sait quelle liberté communautaire.
L’espace public ne saurait être, à terme, un espace de démonstration de l’identité, de la religion ou de la culture particulière. La conception que nous avons de la liberté, c’est d’être un bien dont nous avons tous entre nos mains, ensemble, la fragilité et l’immense valeur, à l’adresse de l’avenir commun. La laïcité a été une forme de prise de conscience de la supériorité de l’égalité sur les différences et du danger qu’elles puissent représenter pour la vie en société, pour faire société, car aucune n’est viable à n’être qu’une addition de différences.

L’espace public, propriété commune des citoyens de la cité

Il y a, au-delà la logique communautaire en elle-même, un rôle politique qu’on entend lui faire exercer, celui de recadrage d’une société en crise de valeurs dont la politique est tuée par un déni de démocratie qui s’appelle « bipolarisation de la vie politique », entre une droite libérale et une gauche qui ne l’est pas moins, ainsi qu’une Europe qui y est liée et nie les peuples qui lorsqu’ils la refusent sont méprisés et leurs votes bafoués. Le libéralisme a besoin du communautarisme pour durer, parce qu’il est un instrument de division du peuple, de vulnérabilisation de ses acquis, parce qu’il jette la confusion sur l’intérêt commun des hommes contre le système injuste qui les touche tous ensemble.
Le combat contre ce système, c’est cela la vraie cause des hommes, quelles que soient leurs origines, leurs couleurs ou leurs religions. C’est là où se situe le combat moderne, la lutte pour le progrès, et non dans une explication toujours ancrée dans un victimage qui justifie des revendications communautaires et au final, une société divisée, invivable, haineuse, rejetant la démocratie, remettant la tradition en lieu et place des libertés de l’individu, des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Nombre des grands acquis sur lesquels vivent les citoyens de notre pays sont le fait, depuis plus de deux siècles, du recul du pouvoir religieux vis-à-vis des Droits de l’Homme, de la démocratie, de la liberté de penser, de la laïcité et de la place croissante du politique. C’est ce que l’on veut nous faire oublier.
La laïcité est seule à pouvoir donner son unité à notre société, la rendre moralement cohésive, lui procurer un beau projet, celui du bien commun de l’égalité porté au-dessus des différences, celles-ci pouvant ainsi vivre en bonne intelligence, aucune n’étant alors tenter de vouloir s’imposer contre les autres. De ce point de vue, le voile islamique ou la kippa, voire la grande croix qui sont des signes caractérisant chacun d’abord par sa religion dans la rue, comme une façon de mettre entre soi et l’autre ce qui nous différencie avant ce qui nous rassemble, devraient être laissés en retrait de celle-ci. Par-delà les opinions, c’est tout le sens de l’ouverture courageuse de ce débat qu’a initié l’affaire Truchelut du Gîte des Vosges.
Le port d’une kippa ne devrait jamais provoquer la moindre agression, certes, mais que chacun en vienne à vivre sa religion ou son appartenance identitaire dans son for intérieur, de façon privée, respectant autrui par cette réserve, et nous verrons s’aplanir les différends. Et ce, d’autant, en donnant à l’espace public non une valeur de neutralité, mais d’affirmation d’un espace faisant propriété commune des citoyens de la cité, résonnant de l’intérêt général qui n’a pas de communauté autre que la nation, c’est-à-dire, la souveraineté du peuple où tous ont leur place. Ceci ne retirerait rien pour autant du droit de croire et de la liberté de l’exercice du culte.

La laïcité : égalité et volonté commune comme première liberté

C’est un tout autre projet qu’il faudrait pour l’école, que celui de l’enseignement de la religion de l’autre comme moyen de se respecter, qui ne fait en réalité que cliver en encourageant chacun dans sa tradition, tout en rendant moralement suspicieux le droit de ne pas croire, pourtant si essentiel. Car ce n’est pas par le religieux que les individus peuvent se comprendre pour vivre ensemble mais par une éducation fondée sur la reconnaissance de l’autre quelle que soit sa différence, comme citoyen, comme part de la volonté commune éclairée par le savoir positif et le libre-arbitre, l’autonomie de la pensée, de l’école à la cité, avec pour liberté, croyant ou non, ce signe distinctif sur soi, de ne pas en avoir.
Guylain Chevrier
Historien

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