Dans un numéro récent, Cyrano titrait son éditorial « Taguieff, Fdesouche, Riposte Laïque… Un mauvais vent souffle sur la liberté d’expression ». Que ce soit en réponse à des menaces, ou pour éviter ces dernières, ou enfin par conformisme boboïste, censures et autocensures commencent à sérieusement compromettre une liberté fondamentale de portée constitutionnelle. Des histoires diverses en la matière, parfois « petites histoires » ou de portée plus importante, sont de plus en plus fréquentes. Je crains avoir la mienne. Je la raconte ici en 7 temps.
1) En avril 2010 sort un brûlot élégamment intitulé « Nique la France » de Saïd Bouamama et du groupe rap « ZEP », aux éditions Darnat. L’ouvrage est disponible via Amazon.
2) Il est connu que ce même distributeur en ligne invite les lecteurs à faire part de leurs commentaires sur tout produit, notamment les livres. C’est ce que je fais le 13 mai, en proposant un commentaire sur le « Nique la France » en question. Le commentaire est publié sans problème. Mon texte est intitulé : « Attention ! Ces individus sont dangereux ! ». À la différence de la plupart des commentaires qui appellent à l’interdiction de l’ouvrage, s’indignent de son contenu et du rôle d’Amazon dans sa diffusion, il me semble plus pertinent de faire une critique du fond. En particulier, il me semble que l’indignation est tout à fait insuffisante en la matière, les auteurs revendiquant un « devoir d’insolence » (c’est le sous-titre de l’ouvrage). Il me semble plus efficace de mettre en évidence : 1. un texte communautariste aux relents racistes ; 2. totalitaire ; 3. belliciste. C’est ce que je m’emploie à montrer, sans insulte et en argumentant ; notamment en m’appuyant sur de nombreux passages du livre. Il est possible de retrouver le commentaire dans son intégralité sur le site de Riposte Laïque à qui je l’avais transmis après sa parution sur le site d’Amazon (n° 46 http://www.ripostelaique.com/Voila-ce-que-j-ai-ecrit-a-Amazon.html).
3) Apparemment le commentaire vie juste car très vite il apparaît en tête des évaluations de l’ouvrage en question. En effet, Amazon établit le décompte des avis positifs et négatifs sur les commentaires des lecteurs et en déduit un classement pour chaque livre. En l’occurrence, mon commentaire atteint fin octobre un total de plus de 300 avis positifs et une dizaine seulement d’appréciations négatives (une performance qui – en toute modestie – est plutôt rare sur le site d’Amazon…). Apparemment donc mon analyse du livre recueille une approbation quasi générale des visiteurs de la page concernée.
4) Et puis psschtt !, comme par enchantement, le commentaire a purement et simplement disparu le dernier week-end d’octobre. Sans explication de la part d’Amazon. À cette occasion, je me suis rendu compte combien il était difficile d’entrer en contact avec ce diffuseur. Pas de problème pour suivre un colis, quasiment en temps réel, mais pour correspondre avec un « modérateur » ou un « webmaster » c’est une autre affaire… En cherchant un peu, j’ai trouvé un espace de discussion sur le site où j’ai exposé le problème (en gros les points précédents indiqués ici). Plusieurs internautes m’ont gentiment répondu en tentant d’apporter des hypothèses sur ce qui s’était passé. Ainsi a-t-on évoqué la possibilité d’un « signalement » vis-à-vis duquel la personne chargée de ce commentaire avait fait preuve d’un petit « excès de zèle » ou de « précaution juridique »… Côté Amazon, en tout cas, toujours aucune réponse. Un internaute me suggère aussi de revoir mon commentaire, en gommant tout ce qui pourrait apparaître comme une attaque personnelle, par exemple, remplacer « Ces individus sont dangereux » par « De telles discours sont de nature à avoir des conséquences dangereuses ».
5) Je comprends le conseil, mais je trouve que ce serait là une forme de capitulation. Alors qu’un ouvrage injurie un pays entier et ne connaît aucune interdiction, il faudrait y répondre en des termes aseptisés, cela paraît à l’évidence injuste et absurde. Cependant, surtout par curiosité quant à la réaction d’Amazon, j’envoie quand même une version légèrement plus soft, sans cependant céder sur le fond. Par exemple, le titre « Attention, ces individus sont dangereux ! » devient plus simplement « Attention danger ! ». Plusieurs jours ont passé et cette nouvelle version, pas plus que la première, ne se retrouvent sur le site d’Amazon. Et toujours pas d’explication du diffuseur !
6) In fine, je ne sais à quels signalements, menaces et autres fatwas a pu être exposé Amazon ; toujours est-il que, pour sa part, c’est bel et bien une censure qu’elle a exercée, sans de surcroît chercher à en expliquer la raison d’être.
7) « Morale » de l’histoire – si l’on peut dire – : grâce à la liberté d’expression, il est facile de « niquer la France », de le dire, de le légitimer et d’y encourager ; il est bien plus difficile de dénoncer une telle rhétorique et de répondre à ses auteurs.
Emerek