Dans l'affaire de Carcassonne, l'Eglise, encore une fois, n'a rien compris !

Le caillassage de l’église Saint-Jacques, à Carcassonne, qui s’est produit le 2 novembre 2010 pendant la messe des défunts, mérite qu’on s’y attarde, non seulement parce qu’il est le signe d’une violence qui ne masque plus son nom, mais encore parce qu’il a donné lieu à des jugements pour le moins étonnants.
En effet, cette violence ne masque plus son nom parce qu’elle attente, au nom d’un culte, à la liberté du culte garantie par la République.
Tel est, soit dit en passant, le piège dans lequel sont enfermés les chantres de la «diversité», car à vouloir cette dernière à leur façon, c’est-à-dire sous l’angle d’une tolérance sans limites, ils veulent aussi sa disparition, puisqu’ils tolèrent ceux qui n’en veulent point !
D’où leurs appréciations minimalistes, à commencer par la relativisation des faits : les auteurs de ce caillassage ne sont que des enfants qui, comme tous les enfants, n’ont cherché qu’à s’amuser. En outre, ils n’étaient que deux, et n’ont jeté que quelques pierres, qui, d’ailleurs, n’ont atteint personne, excepté une dame, et encore par hasard, puisque ces jeunes visaient uniquement la statue de la Vierge – et l’on sait le plaisir que l’on peut ressentir, à 13 ou 14 ans, devant une cible qui vole en éclats. On ne va donc pas déclencher une affaire d’Etat pour quelques pierres, sans quoi, outre l’impossible sanctuarisation de tout ce que la France compte de vitres, de vitrines, de vitraux et autres lampadaires, on croulerait sous les affaires d’Etat, et il n’y aurait plus de sens à parler d’affaire d’Etat !
A ces appréciations minimalistes se greffe l’inévitable prudence des hauts responsables : «Nous prenons cela au sérieux», a déclaré le procureur de la République de Carcassonne. «Il faut comprendre ce qui s’est passé… On peut estimer qu’il y a dégradation, bien sûr, mais aussi violence si les jets de pierres visaient directement les fidèles». Et le procureur de s’interroger sur la «qualification des faits», comme s’il l’ignorait, comme si la fusion «dégradation-violence» n’était pas ici une évidence, comme si le code pénal ne punissait pas d’emprisonnement «quiconque aura intentionnellement détruit, abattu, mutilé ou dégradé des monuments, statues, et autres objets destinés à l’utilité ou à la décoration publique» (article 257), comme si l’adverbe «directement» – sur lequel repose l’éventuelle inculpation de violence – n’était pas, dans la bouche même du procureur, une façon de sauver d’ores et déjà ces jeunes d’une sanction «discriminante» !
Mais le sommet de la lâcheté appartient à l’évêque de Carcassonne et Narbonne, pour qui les «déchaînements de haine anti-islamiste qui ont suivi les événements de Carcassonne sont beaucoup plus offensants pour le Christianisme et le Christ lui-même que la sottise de quelques enfants mal intentionnés».
Je ne rappellerai à ce monsieur ni les colères pleinement justifiées du Christ, ni la phrase on ne peut plus lucide de BURKE selon laquelle «tout ce qui est nécessaire pour que le mal triomphe est que les hommes bons ne fassent rien», ni même celle de Sartre pour qui «aimer les hommes », c’est «haïr fortement ce qui les opprime». Je l’invite simplement à méditer les conséquences d’un christianisme volontairement édulcoré, qui répond à l’obstacle par la fuite en avant. Car, sitôt lancée, cette fuite se retourne contre qui s’y abandonne, parce qu’elle est destruction de soi. Il est des tolérances qui signent l’échec de toutes les disciplines personnelles, comme si le respect inconditionnel de l’autre imposait magiquement la paix. Vous rêvez, monseigneur ! Devant l’obstacle, vous êtes confusément perdu, vous camouflez sous un simulacre de générosité votre impuissance à changer quoi que ce soit, et l’effroi de vous-même à vous-même vous fait tomber dans la contradiction, au point de faire de vous l’allié des islamistes – que vous combattez pourtant dans le secret de votre cœur. Ce n’est pas d’aujourd’hui que tel esclave finit par aimer son esclavage, et telle victime son bourreau. Mais ceux-là mêmes ne sauvent rien qui croient tout sauver en sauvant les apparences, car sauver les apparences atteste nécessairement d’un affaissement capital. Le problème est qu’en l’occurrence cet affaissement concerne les valeurs laïques et républicaines, non la prétendue «sottise de quelques enfants mal intentionnés».
Oui, monseigneur, ces enfants savaient ce qu’ils faisaient ! D’abord, ils n’ignoraient pas la protection juridique inhérente à leur âge. Ensuite, ils avaient conscience de la nature de l’édifice dans lequel ils pénétraient. Et surtout, ils connaissaient la symbolique de leur action, car enfin, ils ne caillassaient point, monseigneur : ils lapidaient !
Que la lapidation ait pu faire son entrée au pays de Voltaire, d’Olympe de Gouges, d’Hugo et de Simone de Beauvoir est gravissime : c’est même de l’ordre d’une affaire historique et nationale, et pour tout dire, d’une affaire d’Etat !
Maurice Vidal

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