La semaine dernière, je vous avais expliqué comment le site oumma.com trompait ses lecteurs sur un sondage à propos des musulmans de France (1). Et cette semaine, c’est la presse canadienne qui nous fait une désinformation flagrante.
En effet, à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie du 17 mai, la Fondation Emergence a commandé un sondage à l’institut Léger Marketing sur la perception de l’homosexualité dans les « communautés ethnoculturelles québécoises » (sic !)
Ce qui est déjà surprenant, c’est qu’on désigne par ce vocable de « communautés ethnoculturelles québécoises » les primo immigrants ou leurs enfants. Comme si les « Québécois de souche » n’étaient pas une « communauté » possédant une « culture ».
Et quasiment toute la presse canadienne, en notant toutefois davantage de réticences envers les homosexuels chez les immigrants que chez les « de souche », se félicite que les enfants d’immigrés acceptent mieux l’homosexualité que leurs parents :
– Canoë info : « seulement 50% des immigrants de première génération croient que l’homosexualité est normale contre 71% pour ceux de la deuxième génération » (2)
– Cyberpresse : « Le président de la fondation Émergence, Laurent McCutcheon, considère la diminution du clivage entre les générations d’immigrants comme «rassurante» » (3)
– CNW : « Les enfants issus des communautés ethnoculturelles affichent une perception beaucoup plus positive de l’homosexualité que leurs parents »
– Etc.
Une belle unanimité dans la louange de l’intégration à la québécoise, mais qu’en est-il réellement ? Hélas, les chiffres détaillés de l’étude complète (5) montre une réalité moins idyllique.
Les définitions des « générations » d’immigrants sont conformes à ce que l’on pouvait penser :
– Immigrants de 1ère génération : personnes nées à l’extérieur du Canada et y ayant immigré.
– Immigrants de 2ème génération : personnes nées au Canada dont au moins un des parents est né à l’extérieur du Canada.
Par contre, l’échantillon montre une nette corrélation entre « génération » et origine géographique, puisque 56% des « seconde génération » proviennent d’Europe de l’Ouest et 12% des Etats-Unis, tandis que les origines africaines, asiatiques et moyen-orientales sont plus présentes dans la première génération que dans la seconde. Par exemple, les Africains (y compris les Maghrébins) représentent 19% de l’échantillon de première génération tandis qu’ils ne sont que 4% de la seconde. Et ces chiffres sont respectivement de 13% et 5% pour les Asiatiques, et 8% et 1% pour les moyen-orientaux.
Pendaison d’homosexuels en Iran
En conséquence, la différence de perception entre première et seconde génération peuvent être dues bien davantage à l’origine géographique qu’à l’intégration des enfants d’immigrés ! Et le sondage ne corrige pas ce biais, tout en le reconnaissant toutefois : il voit comme un « facteur » des « écarts » le fait que « les immigrants de 2ème génération sont majoritairement originaires de l’Europe de l’Ouest et des États-Unis, tandis que les immigrants de 1ère génération sont majoritairement originaires de l’Afrique, de l’Asie, des Antilles et des Caraïbes. »
Le document ne donne pas le tableau complet de chaque réponse ventilée par origine, mais il donne au moins les catégories arrivant en tête dans chaque opinion. Et là, la confirmation de notre hypothèse précédente est flagrante :
– 21% des immigrants pensent que l’homosexualité est une maladie ou une déviation, ils sont 52% chez les Africains. 69% pensent que c’est une orientation sexuelle comme une autre, ils sont 80% chez ceux qui viennent d’Europe de l’Ouest.
– 38% pensent que l’homosexualité est anormale, 59% chez les Africains. 57% pensent qu’elle est normale, 70% chez les Sud-Américains et 66% chez les Européens de l’Ouest.
– 64% n’auraient pas de honte à dire à leur famille que leur enfant est homosexuel, 82% chez les Européens de l’Ouest. « Ce serait un déshonneur » ou « cela ne peut pas arriver dans ma famille » pour 18% des sondés, et 41% des Africains.
– 53% des immigrants approuvent le mariage homosexuel, ils sont 75% chez les Européens de l’Ouest. 40% veulent l’abolir, et 73% chez ceux qui viennent d’Afrique.
– « Au Québec, il est interdit de faire de la discrimination en raison de l’orientation homosexuelle ». On trouve tout de même 15% de gens qui ne sont pas d’accord avec cette interdiction. Et… 26% chez les Africains et… 28% chez les Asiatiques !
En conclusion, contrairement à ce que vous font croire les journaux, le clivage quant à la tolérance à l’homosexualité n’est pas dû à un facteur de première et seconde génération des « communautés ethnoculturelles québécoises », mais à la différence de culture (et sans doute de religion) entre ceux qui viennent d’Afrique ou du Maghreb et ceux qui viennent d’Europe ou des Etats-Unis. Cachez-moi cette statistique ethnique (ou « ethnoculturelle » ?) que je ne saurais voir !
Djamila GERARD
(1) La-loyaute-des-Francais-musulmans.html
(2) quebeccanada/archives/2009/05/20090515-120506.html
(3) quebec-canada/politique-quebecoise/200905/15/01-856944-homophobie-chez-les-immigrants-quebec-investira-150-000-.php
(4) artdevivre/ellelui/article1/2009/05/15/9472516-ca.html
(5) utilisateur/documents/homophobie/medias2009/sondage_2009.pdf