« Française de souche, convertie à l'islam »

A propos des récentes affaires de burkas et de « burkinis » en France, j’ai lu ou entendu à foison sur les médias bien-pensants (Paris-Match, Monde, Figaro, TF1, Libération, AFP, etc.) l’expression : « une Française de souche, convertie à l’islam ». Cela traduit une curieuse banalisation de l’opposition entre « de souche » et « islam » !

« Français de souche » et « souchiens »

Après vérification par des moteurs de recherche d’actualités sur internet, j’ai constaté que l’expression « Français de souche » ou « Française de souche » ne se retrouvait surtout, jusqu’à récemment, que sur des sites classés à l’extrême droite, par exemple : Nation-Presse (qui relaie surtout l’information du F.N.), Novopress (« organe de presse » des Identitaires) et évidemment le bien nommé fdesouche.com. A l’autre bout de l’échiquier politique, on la retrouve chez les islamogauchistes qui ont même inventé le terme de « souchien ». Certes les mots « Français de souche » échappaient parfois à un intervenant d’un débat télévisé, mais c’était aussitôt pour y mettre des guillemets accompagnés d’excuses de ne pas trouver de meilleure expression.
Spontanément, le mot « souche » évoque la botanique, et est synonyme d’une racine d’un arbre dont on aurait coupé le tronc. Un « Français de souche » serait donc un Français ayant pris souche sur le sol français, un bénéficiaire du « droit du sol » en quelque sorte. Or évidemment, c’est tout à fait autre chose que l’on désigne ainsi. En effet, le mot « souche » est également utilisé en zoologie et, par extension, en généalogie. La « souche », ce sont les parents, les grands-parents et autres ancêtres, qui, comme on le disait jadis, ont « fait souche ». Dans cette acception, le mot « souche » a même un sens juridique en matière de succession. Il s’agit donc bien plutôt d’un « droit du sang » que d’un « droit du sol » !

Même si j’ai pu utiliser moi-même l’expression « Français de souche » avec moult guillemets et faute de mieux, elle me gêne tout de même un peu. Car elle est imprécise : au bout que combien de génération devient-on « de souche française » ? Faut-il que les deux parents soient français ? Ou trois grands-parents sur quatre ? Etc. Et si les porteuses de burkas ou de « burkinis » dont il est question étaient françaises d’origine italienne ou polonaise, on les aurait sans doute également désignées comme « Française de souche », ce qui ne serait pas le cas si leurs parents étaient algériens ou sénégalais… « de souche ».
D’ailleurs, la même presse, quand elle parle de jeunes Français issus de l’immigration, précise parfois « d’origine marocaine » ou « d’origine malienne » et non « Marocain de souche » ou « Malien de souche ». Il paraîtrait tout aussi incongru de parler, à propos de ces converties à l’islam et à ses vêtements intégraux, de « Française d’origine française ».

« Francitude » et islam

Et pourquoi préciser, pour ces porteuses de burkas et de « burkinis », qu’elle sont « Françaises de souche » ? L’expression « converties à l’islam » se suffit à elle-même, puisqu’elle veut dire qu’elles n’étaient pas musulmanes (ou « d’origine musulmane » ou « musulmanes de souche »…) mais qu’elles se sont converties à la religion islamique. On ne dit pas non plus « catholique de souche, convertie à l’islam » ou « athée de souche, convertie à l’islam ».
L’expression « Française de souche, convertie à l’islam » semble donc dire que les « Français de souche » sont a priori non musulmans. Et donc, un musulman reste généralement assimilé à une personne « de souche non-française ». Il y a une sorte d’opposition entre la « francitude » et l’appartenance à l’islam, donc entre deux notions de natures différentes : une nationalité et une religion. Certes, cela correspond à une réalité statistique : la quasi-totalité des « Français de souche » sont non-musulmans, tandis que les musulmans de France sont tous issus de l’immigration (à part de rares convertis). Mais tout de même, tout cela fait l’impasse sur le fait qu’une personne d’origine musulmane puisse se dire clairement non-musulman, et cela sous-entend que les « convertis » seraient apostats de leur identité française.
On retrouvait d’ailleurs cette opposition entre deux concepts de natures différentes dans l’Algérie coloniale. Parmi ses habitants, les uns étaient appelés « d’origine européenne » (les pieds-noirs, même s’ils étaient là depuis quatre générations), et les autres les « musulmans ». On opposait là encore une origine géographique ou généalogique et une religion ! Pour les premiers, on ne disait pas « d’origine française » puisque parmi les « Européens » on comptait les Italiens, les Maltais, les Espagnols, etc., et on ne disait pas non plus « catholiques » puisqu’il y avait des « Européens de souche » athées (et généralement radicaux-socialistes). Quant aux Juifs d’Algérie, ils ont été « francisés » (même s’ils étaient là depuis des siècles) par le décret Crémieux et à leur demande pour échapper à la dhimmitude héritée de la période ottomane.
Et pour les « musulmans » de l’Algérie coloniale, donc dont la « souche » était antérieure à la colonisation française, personne ne les appelaient « Algériens de souche » ou « d’origine algérienne ». C’eût d’ailleurs été un non-sens, puisque le terme même « Algérie » pour désigner ce vaste territoire a été créé… en 1839 par le colonisateur par extension du nom de la ville d’Alger. (Contrairement à la Tunisie ou au Maroc qui étaient des nations d’avant la colonisation, et même pendant puisque c’était des protectorats.)
En résumé, que ce soit dans l’Algérie coloniale ou dans la France actuelle, les musulmans (ou supposés tels) sont désignés par leur religion ou l’origine d’eux-mêmes ou de leurs parents (Algérie, Tunisie, Maroc, etc.), alors que les non-musulmans ne sont pas désignés en tant que tels ou alors, de plus en plus, comme des « de souche » française ou européenne. C’est la négation même des « racines musulmanes de l’Europe » chères à Jacques Chirac. Nos compatriotes de confession musulmane ne sont pas vraiment considérés comme des compatriotes comme les autres, comme si l’islam était toujours étranger à la France, alors qu’on lui prête 5 millions de « fidèles » (même si nombre de « musulmans de souche » se fichent de l’islam comme de l’Alcoran).
Roger Heurtebise

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