Interview de Chantal Terrieux, présidente de l’UFAL du Finistère

Riposte Laïque : Le 16 janvier 1994, 300.000 Bretons menaient la manifestation laïque parisienne, pour protester contre les projets de financement des écoles privées du ministre de l’époque, François Bayrou. Treize ans plus tard, qu’en est-il aujourd’hui de la force des laïques en Bretagne, et quels sont les axes de bataille ?

Chantal Terrieux : J’avoue me demander s’il existe encore aujourd’hui une force laïque en Bretagne.

Les gens sont ici, comme ailleurs je pense, prêts à accepter certaines choses au nom de la tolérance. Les vrais défenseurs de la laïcité où pour le moins ceux qui ne veulent aucune concession et souhaitent l’application de la loi du 9 décembre 1905 sont considérés comme des “dinosaures” menant un combat d’un autre âge, des “laïcards” (insulte suprême!) incapables d’évoluer.

Au nom d’une pseudo tolérance nous devrions tout accepter, mais comme le disait Jean Rostand, et comme aime à le répéter notre camarade Pierre Le Gall, vice-président de l’UFAL du Finistère: “Avoir l’esprit ouvert n’est pas l’avoir béant à toutes les sottises”.

Aujourd’hui on se proclame laïque mais pas anticlérical (moi je me revendique anticléricale, mais pas antireligieuse car je laisse à chacun le libre choix d’avoir où pas une religion, mais je refuse qu’une religion quelconque me dicte ma façon de vivre et je refuse le droit à l’Etat ou à ses représentants de favoriser une religion quelle qu’elle soit)

Les forces laïques en Bretagne n’ont pas été assez soudées pour empêcher certaines dérives, il n’y a qu’à voir, par exemple la statue de Jean-Paul II érigée à Ploërmel !

C’est par choix politique que les grandes associations laïques font de la laïcité “ouverte” et quand les associations “laïcardes” veulent mener des combats communs elles refusent de peur de heurter les pouvoirs politiques et de perdre leurs subventions ou autres avantages.

Nous avons toujours vécu dans un Etat laïque et ne mesurons peut-être pas tous les enjeux. Il est difficile de faire le lien avec ce qui se passe dans des pays lointains.

Peut-être faudrait-il essayer de faire réfléchir les jeunes sur ce que serait notre pays sans la laïcité. Pour cela encore faudrait-il qu’on explique ce qu’est la laïcité réellement.

Riposte Laïque : En Bretagne, toutes les communes ne sont pas pourvues d’écoles publiques. D’autre part, les écoles publiques sont l’objet d’importantes pressions du catholicisme. Peux-tu nous préciser ces deux points ?

Chantal Terrieux : Il est vrai que la Bretagne a gardé longtemps une tradition catholique et il n’y a pas si longtemps encore (moins de 30 ans) on parlait de “l’école du diable” en évoquant l’école publique; notion qui est restée tenace dans l’esprit de beaucoup. Alors l’important était d’avoir une école catholique, et dans certaines communes rurales l’implantation de l’école publique et laïque a été source de conflits importants et au début des années 80 on voyait encore dans certains bourgs les tonnes à lisier et les fourches former des barrages pour empêcher l’accès à une école publique ouverte contre l’avis général. Combien de mairies recevant des nouveaux habitants leur mentaient sur les services (pas de transport scolaire, pas de cantine, pas de garderie,…), voire l’existence d’une école publique et soutenaient l’école “privée”. Il existe donc encore des communes sans école publique

Il a été ajouté dans les programmes scolaires un enseignement du fait religieux et ce dès l’école élémentaire. De plus, au programme de français des classes de 6ème a été ajouté un chapitre sur les “textes fondateurs”, dans lequel on fait étudier des textes de la bible aux enfants, ces textes sont évidemment très choisis, ce qui, dans le Finistère, nous a amené à concevoir une plaquette dans laquelle nous reprenons des textes de la bible également mais d’un tout autre choix! expliquant aux enseignants de français que si cet enseignement fait partie de leur programme ils doivent alors aussi montrer ces textes de l’ancien et du nouveau testament et que sans cela ils font de la catéchèse ce qui est totalement illégal

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On peut aussi noter l’existence dans les BCD des écoles publiques d’un rayon religion symbolisé sur la marguerite de classement par un enfant agenouillé semblant prier. Quand un DDEN ose demander comment il se fait que l’on trouve des ouvrages sur les religions on lui précise qu’il est important que les enfants aient connaissance de ces textes mais si l’on demande alors où sont les ouvrages parlant de l’athéisme ou de la laïcité alors là on a une singulière réponse: nos élèves sont bien trop jeunes pour comprendre ces notions!

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Bien sûr quand on s’offusque de ce genre de choses on fait preuve d’un sectarisme laïcard incroyable!!!

Riposte Laïque : Les écoles Diwan, où on ne doit parler que Breton, sont l’objet de subventions importantes de la part du conseil régional, et de certaines communes. Qu’en penses-tu ?

Chantal Terrieux : Pour moi les écoles Diwan sont des écoles privées et ne devraient donc bénéficier que de financements privés, d’autant qu’on y entretient un communautarisme élevé.

Il s’agit d’un enseignement par imprégnation on n’y parle donc que breton, certaines de ces écoles sont allées jusqu’à refuser que leurs élèves ne déjeunent dans la même cantine que les enfants de l’école publique voisine, rendez-vous compte: les enfants de l’école publique parlent français!!!

Tout le personnel doit être bretonnant, interdit de parler français dans les écoles bretonnes!

Comment oser alors réclamer les subventions d’une république dont on refuse d’utiliser la langue et que l’on ne reconnaît pas?

Toutes ces subventions attribuées à des écoles privées, confessionnelles ou régionales, diminuent d’autant les budgets des écoles publiques, laïques, seules écoles de la république.

Et puis honnêtement n’est-ce pas cela qui est d’un autre âge: faire parler une langue qui est très locale, qui peut s’apparenter à une langue morte en ce sens qu’elle est incapable d’évoluer avec la société il n’y a qu’à écouter parler breton pour s’en convaincre tout le vocabulaire “moderne” n’a aucun équivalent en breton.

D’autre part, comment pouvoir concevoir qu’il y a une volonté d’ouverture sur les autres avec l’apprentissage de cette langue quand on sait qu’elle permettait aux personnes la parlant de discuter sans être compris des autres, dans les commerces des zones rurales par exemple, mais aussi au sein même d’une famille quand les sujets abordés ne devaient pas être “entendus” des enfants!

Je ne peux, pour ceux qui s’intéresseraient aux écoles Diwan, que conseiller la lecture de l’excellent ouvrage de Françoise Morvan “Le monde comme si”, ils y auront tous les éclaircissements sur raisons fondamentales de la création de ces écoles et sur la personnalité de ceux qui les défendent!

Il est bon d’ajouter, pour ceux qui regretteraient le manque de culture régionale, si tant est que la culture régionale soit l’apprentissage d’une langue régionale, que l’éducation nationale a créé des classes bilingues dans les écoles publiques.

Je conclurai cet entretien en précisant qu’en dehors du problème spécifique des écoles Diwan, je pense que les autres réponses pourraient sans doute s’appliquer à l’ensemble du territoire et ne sont pas forcément une spécificité régionale.

Par contre il est vrai que lorsque l’on discute avec des personnes arrivant en Bretagne pour la première fois il y a une constante dans leur regard qui est de ne pas comprendre l’attitude qui peut exister de la part de la majorité vis-à-vis des laïques et plus précisément vis-à-vis des défenseurs de l’école publique face à l’école privée confessionnelle. Comment on peut démollir une association quelconque si l’un (ou plusieurs) de ses dirigeants ose mettre ses enfants à l’école publique (ou pire y travailler!). La pression qui est, encore de nos jours, faite auprès de certains, (commerçants, médecins,…) en leur signalant bien que s’ils s’avisent de mettre leurs enfants à l’école publique ils n’auront pas leur clientèle!

Ailleurs on aura peut-être du mal à trouver l’école privée confessionnelle, ici c’est l’école publique qui sera bien cachée; et même les associations de parents d’élèves de ces écoles n’osent plus se proclamer comme telles et quand elles organisent une animation elles préfèrent utiliser le nom de l’école sans préciser école publique (alors ne parlons pas d’école laïque)! Et combien d’amicales laïques ont perdu cet adjectif pour garder des adhérents? Merci quand même à celle de Concarneau de se rappeler pourquoi elle s’appelle ainsi et d’avoir créer une section travaillant sur le thème de la laïcité, justement pour que ses adhérents sachent ce qu’est une amicale laïque http://laicite-aujourdhui.fr/ , la militante laïque que je suis, arrière-petite-fille du premier président de la Fédération des Oeuvres Laïques du Finistère, ne peut qu’être en accord avec cette démarche.

Propos recueillis par Pierre Cassen