Le catéchisme de Tahar Ben Jelloun (1re partie)

Parmi les livres rangés dans le rayon islam de la médiathèque que je fréquente, se trouve «L’islam expliqué aux enfants» de Tahar Ben Jelloun (1). Comme pour tout ouvrage s’adressant à des enfants, il est de taille modeste, contenant 84 pages. J’ai lu ce livre afin de découvrir la façon dont un musulman rend compte de sa religion à des enfants. La narration s’effectue sous la forme d’un dialogue qu’il tient avec des enfants, « tous les enfants quels que soient leur pays, […] leur religion » (p 14).
Tahar Ben Jelloun (TBJ) est un écrivain franco-marocain de langue française, auteur de près d’une quarantaine d’ouvrages, dont le prix Goncourt 1987 pour « La nuit sacrée » ; il a achevé sa formation universitaire en France, obtenant un doctorat de psychiatrie sociale en 1975. Il vit actuellement en France, et est membre de l’académie Goncourt depuis 1988.

L’ ESSENTIALISME

Dès la présentation de son ouvrage, en verso de couverture, TBJ conforte l’opinion de nombreux contempteurs de l’islam, qui estiment que cette religion, à moins d’une révision expurgée du coran, a peu de chances de connaître une évolution libérale. Ces dénigreurs de l’islam, dont je fais partie, sont alors souvent accusés d’avoir une représentation essentialiste de l’islam. Or ils ne font que constater cet état d’esprit essentialiste propre aux adhérents au coran. Cet essentialisme est aussi manifesté par TBJ qui « raconte ici l’islam à [ses] enfants, nés musulmans. » (verso de couverture & p 7) (2). D’entrée, apparaît ainsi justifié un conditionnement à opérer, déniant ainsi aux enfants leur libre arbitre, leur capacité à adopter de leur plein gré ou non les postulats de l’islam. Se rend-il compte qu’en leur collant l’étiquette de musulman, il influe sur l’évolution future de leurs pensées.

L’ ISLAM DIFFERENT DE L’ ISLAMISME

Dans les premières pages, TBJ vise à disculper l’islam de tous les actes violents et terroristes commis ces dernières années, en reprenant à son compte la vulgate médiatique qui consiste à différencier islam et islamisme, puisque les terroristes, « ces méchants dont tu parles, ne sont pas de vrais musulmans, qu’il y a des méchants partout » (p 8) ; il n’hésite pas à recourir ensuite à des arguments erronés : les terroristes ne sont pas musulmans puisqu’Allah « interdit de tuer les autres » (p 8). TBJ souffrirait-il d’amnésie, oubliant les si nombreux versets, appels d’Allah à tuer ? En tout cas, nombreux sont les imams à ne pas faire ces oublis, car selon TBJ, ces islamistes ont appris à l’école coranique, « qu’Allah leur demandait de tuer tous les ennemis de l’islam, et qu’ensuite Allah les récompenserait en les installant au paradis ». TBJ renchérit alors dans l’amnésie : c’est faux, « on le leur a fait croire » (p 9 & 10). Pourtant, rappelons que c’est écrit plus d’une fois dans le coran, et que si ces criminels agissent, c’est parce qu’ils y ont puisé dans le coran, motif à agir ainsi, et s’« ils sont en guerre contre ceux qui ne pensent pas comme eux » (p 10), c’est parce que la parole coranique proclame le djihad contre ceux qui ne pensent pas comme Allah, à moins qu’ils ne se soumettent au statut de dhimmi. Notons à sa décharge qu’il assimile ces terroristes à des fous.
Donc TBJ nous a présenté ces partisans du terrorisme comme n’étant pas de vrais musulmans ; il est alors contradictoire qu’en page 28, il précise que respecter les 5 piliers de l’islam (profession de foi, 5 prières quotidiennes, aumône, jeûne du ramadan, pèlerinage à La Mecque), « cela fait de toi un ou une musulmane » ; les islamistes qui, bien sûr, respectent ces 5 piliers sembleraient donc être de vrais musulmans. Plus loin, en page 74, il nous présente le fondateur de la secte des hachachins, aux XI° et XII° siècles, AS-Sabbah, comme un « musulman strict, dur et autoritaire ». Pourtant « on a comparé ceux qui commettent aujourd’hui des attentats suicides aux disciples [de As-Sabbah] ». Il nous le présente comme un musulman strict, « mais, encore une fois, cela ne vient pas de l’islam ». Ma parole, à entendre TBJ, ces musulmans stricts ne comprennent vraiment rien au coran !

DE LA TOLERANCE EN ISLAM

Comme pour tout catéchisme idéologique ou religieux, TBJ nous évoque ce qu’il estime être les qualités de l’islam ; et comme il sait que son ouvrage, sorti en France, s’adresse pour une large part à un public de non-musulmans, il insiste abondamment (proportionnellement au nombre de pages restreintes du livre) sur la tolérance soi-disant permise par l’islam. On a droit bien sûr à l’inévitable verset 256 de la sourate 2 « Nulle contrainte en religion ». Elle s’exprime tout d’abord, sortie de la bouche du père de TBJ, qui le convoque avec son frère (à quel âge ?) pour leur dire solennellement qu’étant nés dans l’islam, ils doivent obéissance à leurs parents et à Dieu, mais qu’en islam, il n’y a pas de contrainte (p 12) (3). TBJ n’y relève aucune contradiction ; ils sont dans la contrainte d’obéir à Dieu, mais il n’y a pas de contrainte !?? On est tout attendri à la lecture de cette page, nous représentant ce bon père bienveillant, qui les laisse réfléchir, le principal étant de rester honnête, mais qui ne peut s’empêcher de commencer son laïus par un « mes fils, vous êtes nés dans l’islam, vous devez obéissance à vos parents et à Dieu. » et de le finir par un « À vous d’être des fils dignes ». Il n’a pas dit des hommes dignes, mais des fils dignes, c’est-à-dire des hommes obéissant à leur père –islam oblige-, mais sur quoi : sur sa vision de la vie, et donc la religion ? Ou sur le laïus qu’il a tenu ? Cela manque de précision. On sent quand même une nette pression affective sous le vernis de libre arbitre.
Outre le « nulle contrainte en religion », pour insister sur la tolérance mahométane, TBJ fait appel au renfort de deux autres sourates, où il est dit « à vous votre religion, à moi la mienne » (s 109, v 6) et « ce n’est pas toi qui guideras qui tu veux ; c’est Dieu qui guide qui Il veut » (s 28, v 56) ; effectivement, selon cette lecture comme nous le dit notre auteur, « chacun a le droit d’avoir ses croyances » (p 83) ; sauf que ce que TBJ se garde bien de nous dire, c’est que ces sourates 28 et 109 sont des sourates précédant l’hégire, c’est-à-dire qu’elles correspondent à la période préalable pendant laquelle, Mahomet, très minoritaire, s’efforcera de convertir par la seule parole, afin de mieux séduire son auditoire. Ces versets seront ensuite abrogés par des versets intolérants à l’égard des non-musulmans. La sourate II, celle du «nulle contrainte» est la première prêchée à Médine, alors que Mahomet, nouvel arrivant dans la cité, est à la recherche d’alliés, quelle que soit leur religion (4). Aussi cette libre invitation à être guidé par Allah, s’adresse aussi aux juifs et cite un bon nombre d’événements historiques tirés de leurs propres traditions afin de mieux les séduire. Cette volonté de séduire les juifs laissera place ensuite à un antisémitisme d’ordre religieux, de la part de Mahomet, dépité de n’être pas parvenu à convertir ces juifs arabes de Médine. TBJ est-il ignorant de ces aspects évoqués, ou alors cherche-t-il à manipuler par omission ses lecteurs ?
Autre classique, quoique moins répandu de cette apparente tolérance, cette affirmation que « l’islam reconnaît les prophètes des juifs et des chrétiens » (p 22). Cela nous laisse une impression de magnanimité de leur part ; sauf que ce que l’islam reconnaît, c’est un Jésus bien différent de ce qu’il apparaît être dans le christianisme ; et la crucifixion, centrale dans le christianisme, est totalement escamotée dans l’islam ; cette croyance dans la résurrection d’un christ, fils de Dieu, étant même l’objet de récitations coraniques colériques de la part de Mahomet, vouant ainsi les croyants chrétiens au courroux d’Allah , comme dans la sourate 9, verset 30 (5). Et encore un fâcheux verset non évoqué par TBJ.
Un bon indicateur de la mesure de notre tolérance à l’autre, réside souvent dans le degré d’acceptation que nous éprouvons vis-à-vis d’une union d’un membre du groupe culturel auquel on appartient avec une personne issue d’un autre groupe culturel. L’indicateur concernant TBJ nous donne un résultat bien décevant : « une musulmane n’a pas le droit d’épouser un non-musulman, à moins que ce dernier ne se convertisse à l’islam » ; mais « [les hommes] ont le droit de se marier avec des non-musulmanes ». « Ce n’est pas juste. », s’indigne avec raison un de ses enfants interlocuteurs, sans doute pas encore suffisamment islamisé. Le père reprend froidement et cyniquement sans laisser trace de l’ombre d’une opinion : « C’est à cause du nom, qui est transmis par le père. Il s’agit d’une société où domine le patriarche, c’est-à-dire le chef de la famille. On dit que c’est une société patriarcale. La femme est de ce fait soumise, dépendante de l’homme, donc influençable. Si elle épouse un non-musulman, elle risque d’être perdue pour l’islam, et ses enfants risquent aussi d’être élevés dans la religion du père » (p 33). Toujours aucun commentaire indigné de sa part ; qui ne dit mot consent. Outre le fait qu’il dit clairement à ces enfants que la femme sera inférieure à son époux, il ne lui vient même pas à l’esprit que le père peut-être athée, figé qu’il est dans son raisonnement de l’époque mahométane.

DE LA LIBERTE EN ISLAM

Toujours ce mutisme conservateur qui vaut approbation, concernant quelques interdits : « l’islam dit qu’il ne faut pas manger la viande de porc parce que cet animal se nourrit de tous les déchets. » Mais réplique un enfant, « aujourd’hui les cochons sont élevé proprement, comme les moutons ». Là, TBJ fait l’aveu qu’ « il est très difficile de revenir sur une loi religieuse » (p 32) !!! Cela augure de bien des difficultés ultérieures pour réviser la loi coranique, si un réputé modéré comme lui raisonne ainsi. Suit un petit passage d’humour involontaire quand il s’agit de légitimer l’interdit de la consommation d’alcool. « L’homme qui s’enivre perd le contrôle de lui-même. Or l’islam insiste sur la maîtrise de soi, et aussi sur la liberté de l’homme, ce qui le rend responsable. » Comment peut-on parler de maîtrise de soi, alors que l’homme musulman est soumis au conditionnement mahométan avec tous ses interdits et attitudes du beau modèle à imiter ; quant au concept de liberté, il n’apparaît à aucun moment dans le coran.
A propos de liberté, nous avons un bel exemple de la dialectique musulmane, lorsqu’est évoqué l’esclavage. Là encore, à nul moment l’islam n’énonce la fin de l’esclavage ou tout au moins une condamnation de l’esclavage, ne fût-ce que sur un plan spirituel. Or TBJ claironne : « Mohamed en affranchissant [l’esclave] Bilal a donné l’exemple afin que tous ceux qui avaient des esclaves fassent comme lui. Malheureusement ils ne l’ont pas suivi » (p 25). C’est oublier rapidement que Mahomet a fait de ses prises de guerre des esclaves. De l’inexistence d’un acte, ici la fin de l’esclavage, les musulmans se proclament pourtant, comme en étant les initiateurs, par l’intermédiaire de leur beau modèle. A l’image de la fable inique qu’ils nous tiennent régulièrement, évoquant Mahomet comme étant un initiateur de l’émancipation féminine. On est loin des propos plus nets sur le sujet, du si détestable par sa misogynie Paul de Tarse : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus Christ. » (Epîtres – Galates livre 48 – chapitre 3 verset 28) ; même si là aussi, la condamnation temporelle et non pas spirituelle de l’esclavage par le christianisme n’a pas été effectuée.
Quant au manque d’égalité en droits entre les individus vivant en terre d’islam, TBJ ne semble pas plus ému de constater la discrimination religieuse dont étaient victimes les juifs et les chrétiens, nous présentant benoîtement une interprétation paternaliste de la situation : « Quand les musulmans prennent un pays, ils prennent sous leur protection les chrétiens et les juifs. Ceux-ci leur doivent un impôt » (p 56). Il reconnaît ensuite qu’ils achètent leur protection, qu’il justifie du fait qu’ils étaient en minorité. Etrange conception. Tout au plus pressent-il que c’était « peut-être » (il nous fait croire qu’il n’en est même pas sûr) un moyen de les pousser à se convertir à l’islam, pour éviter le paiement de cet impôt supplémentaire. Mais il évacue aussitôt cette évidence, pour nous signifier que de toute façon, cette situation n’a pas duré tout le temps. Acheter sa protection, cela nous rappelle plutôt les méthodes du système féodal, ou plus près de nous le racket effectué par les bandes mafieuses.

L’ ENCHANTEMENT DE L’ ISLAM

Quoi de plus charmant à entendre pour un enfant, qu’un conte. TBJ joue de ce registre nous présentant volontairement l’islam comme un conte. « Il était une fois il y a très longtemps […] un petit garçon […] Mohamed […]. Il n’a pas connu son père, mort avant sa naissance. Il n’ira pas à l’école. Il grandira sans savoir ni lire, ni écrire. […] [Sa mère] est morte aussi. […] Il avait moins de six ans. […] Il vit ensuite avec son oncle Abou Talib, un homme pauvre mais très droit et bon. Mohamed le considère comme son père. Il apprend avec lui la fidélité, l’honnêteté et la bonté. » (p 15, 16 & 17). Même si ces faits sont avérés historiquement, ce n’est pas le hasard si TBJ commence son récit de la religion musulmane par la peinture de cette dramaturgie ; suit une description enchanteresse des qualités de Mahomet. L’enfant auditeur est alors placé dans une situation où il ne peut qu’être subjugué par le récit. Je retrouve ainsi les méthodes éprouvées du catéchisme catholique de mon enfance, nous présentant la vie et les qualités de Jésus, comme dans un rêve.
Le conte se poursuit régulièrement, même si la majorité des propos tenus dans le livre, le sont sur un registre plus sérieux. Mais le discours, pour autant, se déroule souvent de façon manichéenne ; (p 20) Dieu ne parle pas directement aux hommes, car il a préféré choisir Mahomet un homme simple et bon. Enfantin raisonnement. En page 26, on apprend qu’il ne faisait pas de mal et que c’était un homme bon (bis). Enfin le récit atteint des sommets oniriques, lors de l’évocation de l’âge d’or des Arabes : « Je te demanderai d’imaginer un rêve, d’entrer dans un monde merveilleux où règnent la paix, la sagesse, l’harmonie entre les personnes, la curiosité pour tout ce qui est différent … » (p 40). Manifestement, le mythe andalou, traditionnellement cher à nos charmeurs islamiques et à leurs défenseurs, ne suffit plus à notre écrivain endoctrineur, puisque c’est la civilisation islamique dans son ensemble du IX° au XI° siècle qu’il évoque en la hissant au pinacle.
Cette volonté d’une évocation merveilleuse de la geste mahométane tranche avec un des arguments préférés de leurs laudateurs pour justifier ce qu’ils pensent être la supériorité de leur religion, à savoir, l’absence de miracles. Réunir autant de qualités en un seul homme me semble pourtant relever d’un miracle ; de même pour l’existence d’une société si parfaite, qu’elle soit du vivant de Mahomet ou du IX° siècle. Cette affirmation d’une absence de miracles n’empêche pas TBJ de faire l’hypothèse de l’existence possible d’un miracle, car « on raconte que l’entrée de cette grotte a été fermée par une toile d’araignée qui a pu protéger Mohamed et ses deux compagnons » (p 27), poursuivis par des hommes armés.
Jean Pavée
(1) Tahar BEN JELLOUN « L’islam expliqué aux enfants » © éditions du Seuil, 2002
(2) verso de couverture
Je raconte ici l’islam et la civilisation arabe à mes enfants nés musulmans, à tous les enfants quels que soient leur pays, leur origine, leur religion, leur langue et aussi leurs espérances. Ceci n’est surtout pas un prêche, ni un plaidoyer. Je ne cherche pas à convaincre, je raconte le plus objectivement et le plus simplement l’histoire d’un homme devenu prophète, l’histoire aussi d’une religion et d’une civilisation qui 0 tant apporté à l’humanité.»
(3) p 12 « – Qu’est-ce que [ton père] te disait ?
– Un jour, il nous a réunis, mon frère et moi, et a dit ceci: « Mes fils, vous êtes nés dans l’is¬lam, vous devez obéissance à vos parents et à Dieu. Vous devez, en principe, faire les cinq prières quotidiennes comme vous devez faire le jeûne du Ramadan. En islam, il n’y a pas de contrainte. Personne n’a le droit de vous obli¬ger à faire les prières, ni Dieu ni votre père. Comme dit le proverbe: le jour du Jugement dernier, chaque brebis sera accrochée par sa propre patte. Alors, vous êtes libres, je vous laisse réfléchir, le principal c’est de ne pas voler, ne pas mentir, ne pas frapper le faible et le malade, ne pas trahir, ne pas faire honte à celui qui n’a rien, ne pas maltraiter ses parents et sur¬tout ne pas commettre d’injustice. Voilà, mes fils, le reste, c’est à vous de voir. J’ai fait mon devoir. À vous d’être des fils dignes.»
– Et alors?
– J’ai baisé sa main comme je le faisais chaque matin, et je me suis senti libre. J’ai compris ce jour-là que je pouvais être musulman sans pratiquer avec une grande discipline les règles et les lois de l’islam. Je me souviens aussi de ce que nous disait le maître d’école coranique: « Dieu est miséricordieux ! »

(4) http://fr.assabile.com/quran/surat-002-al-baqara.htm
(5) http://www.intratext.com/IXT/FRA0015/_PU.HTM#UW
« 30. Les Juifs disent: ‹Uzayr est fils d’Allah› et les Chrétiens disent: ‹Le Christ est fils d’Allah›. Telle est leur parole provenant de leurs bouches. Ils imitent le dire des mécréants avant eux. Qu’Allah les anéantisse ! Comment s’écartent-ils (de la vérité)? »

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