Avec plus de dix millions de spectateurs, inutile que je fasse de la publicité pour ce film dans Riposte laïque. Ce qui m’intéresse , c’est de comprendre les raisons de ce phénoménal succès.
Beaucoup a déjà écrit à ce sujet, le Figaro y a consacré une page entière. Pourtant, il me semble utile d’y revenir. En effet, et au delà du simple plaisir d’aller voir un film drôle, je ne pense pas que l’on puisse se suffire de cette seule explication. Je suis allée le voir pour comprendre : la salle de cinéma de ma ville de banlieue souvent à moitié vide, a fait salle comble à toutes les séances. Le public était varié : des enfants aux dames âgées, très âgées même : tous avaient voulu venir. Surprenant tout de même.
Certains des commentateurs patentés ont essayé d’expliquer le succès du film par sa valorisation de la langue ch’ti et donc de s’engouffrer dans la brèche pour nous jouer le couplet valorisation des langues régionales. Pourtant, je ne suis pas certaine qu’un film en breton à la gloire des Bretons aurait suscité le même enthousiasme, la même adhésion. Il plairait aux Bretons et serait vu par les Bretons mais après ?
D’autres, comme ma très chère fille, ont dit que c’était une réaction contre le côté bling bling de Sarkozy. Ce n’est pas exclu, mais cette explication me semble un peu juste car il me semble que le mépris de peuple n’a pas commencé avec Sarkozy. Pour être totalement honnête, j’aurais presque envie d’écrire au contraire…Certes, la gauche caviar n’a pas étalée son fric avec autant de tapage et encore.. mais elle fréquentait assidûment l’Ile de Ré, le Lubéron, les Seychelles ou le Maroc et les meilleures tables en demandant au bon peuple de faire des efforts, de partager le travail et de subir la fatalité de la mondialisation. C’est quand même sous la gauche que j’ai découvert que lors des grands rassemblements populaires, comme les concerts de SOS racisme, les VIP(very important persons) pour les non-initiés étaient reçus à l’abri des masses avec champagne et petits fours.
En ce qui me concerne, mon analyse est que ce film renoue avec une certaine tradition populaire des films des années d’avant guerre où l’on montrait des gens ordinaires, des films comme ceux de Marcel Carné et de bien d’autres par exemple. Et puis est venu la rupture des années 68 ou Cabu a pétrifié l’homme populaire d’en la figure repoussoir du beauf, et le cinéma a suivi avec un film comme Dupont la joie. Depuis, la grande majorité des films produits en France sont soit des films intimistes se délectant des états d’âme de bourgeois ou de bobos, soit des films compassionnels et victimaires, films encensés par Télérama, l’organe officiel de la bien- pensance. A cet égard, au moment où sortait le film de Dany Boon, la cérémonie mortelle des Césars encensait un film sirupeux « la graine et le mulet » caricature du film de bons sentiments dégoulinants à propos d’un vieux tunisien qui veut ouvrir un restaurant. Rien que la bande d’annonce m’a fait fuir.
C’est parce que le film de Dany Boon sur un ton comique sort de ces registres qu’il a rencontré un tel succès qui n’est pas partagé par les élites de la boboïtude parisienne… Reconnaissons d’ailleurs à Dany Boon le mérite de nous avoir évité le bon beur ou le bon noir pour faire dans la diversité ou le métissage de rigueur, lui dont la mère est d’origine kabyle, ne nous a pas joué le mythe des racines mais assume totalement sa part de chtis du Nord. A juste titre d’ailleurs, car tous les immigrés quand ils ne sont pas instrumentalisés par les communautaristes adoptent l’accent local, parlant cht’is, lyonnais ou marseillais.
Il faudra revenir plus longuement sur les trente dernières années et la façon dont non seulement le peuple a du subir l’austérité (pas en 2008 avec Sarko mais en 1983 avec la gauche, je précise pour les jeunes), les blocages de salaires, les licenciements massifs mais en plus le dénigrement de sa culture. Seuls ont été encouragés et subventionnés les modes d’expression des élites (opéra théâtre) pour aller dans la décomposition totale (cf. festival d’Avignon lire l’opuscule de Régis Debray) ou le soutien aux cultures urbaines (hip hop, rap..). La plupart des bals populaires ont été détruits par des sonos agressives et la techno. Plus personne n’ayant la moindre envie de danser aux sons de ces décibels agressifs. C’est toute une génération qui a perdu droit de cité et qui a été reléguée, oubliée, méprisée.
Il faut écouter le sociologue Michel Vievorka, référence de toute la gauche libérale, parler avec mépris de ce film, essayer de le démolir, dans l’émission de Yves Calvi. Quel mépris de la culture populaire, quel mépris du peuple ! (1)
Alors, au delà sans doute des intentions du réalisateur, ce film est ressenti comme une petite revanche , celle d’un film qui donne la parole aux gens ordinaires qui ont sans doute tant effrayés le juge d’Outreau, avec un message simple et chaleureux au contraire de tous ceux qui le ridiculisent comme les Deschiens ou Groland (sur Canal +).
Pour terminer, le moment le plus émouvant du film est celui qui se déroule au stade de Lens quand la foule entonne de chant des corons. Les drapeaux rouges, la fraternité éclate chaleureuse, sincère. Et l’on ne peut que ressentir une grande émotion mais aussi un vrai ressentiment à l’encontre de ceux qui ont détruit ces valeurs au profit du fric, de a mondialisation, du libéralisme. Une fois encore, on ne peut s’empêcher d’analyser comment la gauche a abandonné lentement mais sûrement toutes les valeurs qui la caractérisaient et comment le fossé s’est creusé inéluctablement entre elle et le peuple. Et il ne suffira pas qu’un front anti-sarkozy se substitue au front anti FN pour faire renaître de ces cendres la gauche qui n’est plus qu’une coquille vide quelque soit le résultat des élections municipales.
Gabrielle Desarbres
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