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M. Gerin, MM. les députés, vous n'avez rien à attendre du CFCM, c'est à vous de fixer les règles !

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les députés,
Française, féministe, citoyenne, je vous ai écrit plusieurs fois pour vous dire l’intérêt que, comme beaucoup de Français, je portais à vos travaux. J’ai suivi toutes les auditions qui ont été filmées.
Vous allez bientôt rendre vos conclusions et je souhaite vous faire part de mes inquiétudes. Monsieur le Président, vous affirmez de plus en plus souvent au cours des dernières auditions vouloir mettre en selle l’Islam de France et ainsi faire accepter plus facilement vos préconisations. Je crains que le deal que vous pourriez conclure avec ces personnes ne soient qu’un marché de dupes. Pourquoi ? Depuis la création du CFCM, au cours des mandats successifs, nous n’avons pu que constater l’explosion du port du voile. Les différents intervenants responsables, du culte ou associatifs, reconnaissent leur impuissance à agir sur ce phénomène et nombreux se trahissent en affirmant « le voile est obligatoire dès la puberté », pour se reprendre immédiatement et habilement en disant « conseillé, préconisé », ces lapsus sont très révélateurs.
Je pense donc, Mesdames, Messieurs, que ces personnes incitent très fortement leurs femmes et surtout leurs petites filles à porter ce fameux marqueur sexiste et religieux, que nous sommes condamnés à en voir de plus en plus et que ni la couleur ni la longueur ne leur portent souci, pourvu que les musulmanes se remarquent dans le paysage français. Or c’est bien cela qui exaspère nombre de nos compatriotes.
Bien sûr votre mission ne s’est donné comme objectif que d’analyser la question du voile intégral, et de mon point de vue, elle a eu tort de se restreindre à ce point seulement. Compte tenu de toutes vos auditions et des dangers profonds que vous avez perçus et nettement affirmés, il me semble que vous pourriez élargir vos recommandations.

C’est au nom de l’Islam que, sur le territoire français, des femmes portent voiles, hidjabs, tchadors, niqabs, voiles intégraux. C’est bien ce symbole sexiste et offensant qui nous préoccupe. La lecture du livre « Ma vie à Contre Coran » de Madame Djemila Benhabib m’a fortement marquée. Dans cet ouvrage, cette jeune Algérienne insiste sur le fait que le port du simple hidjab fût pour l’Algérie la première marche de l’escalier qui a conduit à l’intégrisme et aux 200.000 morts des années 90. En lisant attentivement cet excellent livre on ne peut qu’être frappé par la similitude de situation avec la France. Je crains que nous ne soyons sur la voie d’une islamisation à l’Algérienne, en constatant tous les incidents et agressions dont sont victimes différents acteurs de la société : enseignants, médecins, policiers etc.
Alors devez-vous nécessairement obtenir une espèce de « label » de compatibilité musulmane avant d’élaborer vos avis ? Est-ce là l’essentiel ?
Les féministes musulmanes par la voix de Sihem Habchi vous ont demandé d’empêcher la propagation du voile. En vous appuyant sur les responsables du CFCM vous allez obtenir plus de voile, vous allez valider, officialiser cette chose que les féministes musulmanes contestent et contre laquelle elles luttent depuis 20 ans, vous allez, Mesdames, Messieurs, les trahir.
Laissez-moi, si vous le voulez bien, revenir 30 ans en arrière. Croyez-vous qu’en 1975 lors du vote du droit à l’avortement, M Giscard d’Estaing, Mme Simone Veil et les courageux députés de l’époque se sont demandés s’ils auraient l’assentiment du clergé ou du pape ? Ils ont agi avec beaucoup de courage, en leur âme et conscience. Aujourd’hui d’autres féministes, vous ont fait part de leurs inquiétudes. Leurs demandes sont à l’opposé de celles des femmes bien voilées que vous avez reçues récemment et qui défendent le droit au port du voile intégral. Vous ne pourrez pas satisfaire les unes et les autres.
Comme M. Giscard d’Estaing a su entendre les femmes en 1975, vous devez, vous aussi, entendre les féministes, même, et surtout, si leurs paroles sont en contradiction avec celles du CFCM et c’est pour celles-ci que vous devez agir. Sauf à se renier complètement, la République française ne peut être qu’émancipatrice. Pour faire l’Islam de France que vous appelez de vos vœux, c’est très simple, les responsables peuvent débarrasser définitivement les femmes de la contrainte du voile. Vous n’obtiendrez aucune ouverture des adeptes de M. Ramadan.
Vous devez aussi entendre le malaise grandissant de la société française.
Il y a quelques années un homme a été inhumé à Lille dans le carré musulman, sur requête de M. Lasfar en violation totale du choix d’incinération émis par cette personne avant de mourir. Le pouvoir religieux a outrepassé de manière éhontée la volonté de cet homme. En laissant ces responsables religieux nous dicter ce que notre République doit accepter, nous leur donnons un pouvoir qu’ils ne devraient pas avoir. C’est à vous responsables politiques de réfléchir à tout ce qui actuellement crée des tensions au sein de notre société qui se cloisonne, se communautarise, se voile du nord au sud.
C’est à vous de fixer les règles. L’Islam restreint la Liberté des musulmanes et des musulmans, un des principes fondateurs de notre République, c’est pourquoi il est illusoire d’attendre quoi que ce soit des responsables de ce culte. Si la République avait attendu l’assentiment des représentants du CFCM elle n’aurait pas encore décidé de la loi d’apaisement adoptée le 15 mars 2004.
Vous devez agir librement sans chercher à plaire à qui que ce soit. Je souhaitais vous faire part de mon inquiétude. Il serait dommage qu’après un travail aussi fouillé, aussi courageux, votre mission ne prenne pas les bonnes mesures alors qu’elle doit sereinement, simplement mais fermement rappeler la laïcité et le respect des espaces publics laïcs.
L’Europe et la France ont des valeurs auxquelles doit s’adapter l’Islam et non l’inverse. On ne peut pas laisser se créer des îlots islamiques à l’intérieur de chacun de nos quartiers. On ne peut pas laisser se transformer nos rues françaises en annexe de Ryad ou de Téhéran. On ne doit pas laisser les femmes, les enfants, surtout les petites filles, aux mains des prédicateurs et des obscurantistes religieux. N’était-ce pas l’esprit qui sous-tendait la loi de 1905 par rapport à l’emprise religieuse catholique de l’époque ?
J’ai conscience que votre tâche est difficile et que les Français attendent beaucoup de vous mais nous sommes à un moment clé de notre civilisation et de notre histoire dont l’avenir repose entre vos mains.
Avec mes remerciements et sincères salutations.
Chantal Crabère