Malek Chebel : un islam des Lumières peu éclairant !

Lors de son remarquable entretien avec Pierre Cassen, paru dans le n° 102 de Riposte Laïque (1), Hamid Zarnaz nous expliquait que les réformistes de l’islam, « ceux qui essayent de nous vendre un islam modéré » sont plus dangereux que les islamistes parce qu’ils avancent masqués.
Je ne sais s’ils sont plus dangereux que les islamistes, mais la portée de leur discours représente indéniablement un danger, car leur discours qui se veut rassurant avec son vernis moderniste, anesthésie une grande partie de l’opinion publique, qui du coup, estime que les avertissements venant des opposants à l’islam, n’ont pas de raisons d’être. « Regardez, écoutez ces musulmans modernistes ; voyez comme ils vont contribuer à faire évoluer l’islam dans le sens de la modernité ! », nous rétorquent-ils alors.
Pourtant, outre que l’islam est une religion qui sera difficilement réformable, voire impossible à réformer, du fait de « l’impossibilité d’adopter le dogme islamique aux exigences des temps modernes » comme nous l’exposait Hamid Zanaz (1), cet islam « moderne » qui nous est proposé est, en fait, loin de coïncider avec la modernité occidentale, et il reste très empreint de pensées archaïques.
Pour illustrer cela , nous observerons le cas de Malik Chebel, parfait représentant de cet « islam des lumières » ; il en est devenu le vrp, passant de plateau de télé en émission de radio, tentant de nous rassurer quant à l’évolution future d’un islam conciliant avec nos valeurs républicaines. Il faut convenir qu’il tient bien son rôle de rassureur avec ses rondeurs et sa bonhommie souriante. Ses propos tenus relèvent plus du vocabulaire utilisé dans un salon littéraire que des invectives coraniques. Sauf que parfois, nous constaterons qu’il nous présente une autre partition.
A longueur d’interventions, Malik Chebel nous invoque un islam des lumières, un islam moderne. Mais force est de constater que ses interventions médiatiques n’en restent qu’au stade des vœux pieux ou de vagues considérations incantatoires. Jamais, dans celles-ci, il ne nous a indiqué des propositions précises de réformes issues de l’esprit des lumières. Puisque quand il nous dit que les pays musulmans doivent abandonner voile, lapidation, circoncision ou excision, ce n’est pas au nom de la raison, chère aux Lumières, mais tout simplement parce que le coran ne les prescrit pas.
A propos d’incantations, M.Chebel débute un récent entretien dans le Monde du 18/7/09 (2), en nous indiquant que, pour la traduction de son coran, il s’est « inscrit dans une problématique globale qui vise à réenchanter l’islam » ; il n’est pas innocent et tout autant comique que notre charmeur ait utilisé ce verbe réenchanter qui ne peut qu’inconsciemment nous transporter vers Merlin l’enchanteur et ses ensorcellements. Mais un islam enchanteur nous éloigne de l’idéal des Lumières et du rationalisme.
Mais, il se ressaisit vite à un autre moment de l’entretien pour nous lancer ces mots réconfortants rationalisme, modernité, liberté : « j’ai voulu apporter une part de rationalisme [à ma traduction] », « il y a une modernité réelle à trouver au sein de l’islam ». On attend cependant qu’il nous indique de quelle modernité s’agit-il ; et quel exemple de rationalité a-t-il à nous donner ? On en saura pas plus puisque la journaliste semble se satisfaire de ces généralités évasives.
Beaux principes déclamés également : « La vérité comme la liberté sont les axes principaux de mon rapport à l’écriture. Sans liberté, sans vérité, le mieux pour moi, c’est de devenir ermite.» (ermite, dit-il ; cocasse !). Ah, cet homme est bien éclairé en invoquant la liberté ; mais l’inconvénient, c’est qu’il a été éclairé sur cette notion par John Locke puis la philosophie des lumières, et non pas par le coran. Car sachez-le, à aucun moment le concept de liberté n’est évoqué dans le coran. Quant à évoquer la vérité à propos d’un texte religieux, comme d’un texte traduit, nous sommes dans le registre de l’imposture philosophique.
Tout en poursuivant l’analyse de cet entretien, il faut noter que la journaliste du Monde, spécialiste de littérature, n’est manifestement pas la personne adéquate pour réaliser l’entretien ; tant par son étrange passivité vis-à-vis des réponses incomplètes et fumeuses de l’interviewé que par son insuffisante prise en compte du coran : ainsi, concernant les questions ayant trait à l’insubordination et à la chasteté des femmes. Lorsqu’elle souligne que le coran affirme qu’il faut lutter contre l’insubordination des femmes, M.Chebel se contente de dire brièvement que le coran n’évoque pas la lapidation ; il reconnaît donc implicitement que la femme doit être subordonnée à l’homme (comme l’affirment certains versets ; ex : sourate II verset 228) ; on pouvait s’attendre que Josyane Savigneau, lui suggère la non modernité de ce genre de position. A la place, rien.
De même, pour nous dire que le port du foulard n’est pas obligatoire, mais que seule la chasteté est recommandée (la chasteté, moderne ????), M.Chebel énonce les versets 30 & 31 de la sourate XXIV. Mais il omet de nous évoquer les 100 coups de fouets qui s’abattent sur les fornicatrices et fornicateurs, « révélés » dans le verset 2 de la même sourate(3). Qui ne dit mot consent ? Toujours pas de réaction de notre journaliste, qui eût été bien inspirée d’avoir un coran à ses côtés, pour réagir aux ensorcellements de notre enchanteur.
Malgré les insuffisances perçues dans cet entretien, le personnage peut toujours paraître sympathique, nous assurant de sa bonne volonté de réformer l’islam, et paraissant ainsi un humaniste, maladroit peut-être, mais humaniste tout de même. Cependant, il en est autrement à la lecture d’un autre entretien dans le Point du 17/1/07 (4), dans lequel sa misogynie et son prosélytisme font plus qu’effleurer. Il nous révèle également son approbation de vertus bien éloignées de la modernité habituelle dont il se réclame.
Nous apprenons ainsi de sa bouche qu’être un homme de guerre contribue à l’aboutissement d’un homme, que la force et la guerre sont des valeurs fortes qui permettent ainsi à l’islam d’être une religion masculine, voire virile, à rebours du christianisme, religion compassionnelle donc féminine selon les critères de M.Chebel, ce qui, dans son esprit, représente une faiblesse. Pourtant l’objectif premier des sociétés à la recherche du progrès, n’est-il pas de tenter de résoudre les problèmes par les négociations plutôt que par la force armée, à l’image de ce que proclame la charte de l’ONU en 1945. Mais non, M.Chebel est fasciné par un tout autre dessein, bien martial, celui-là.
Tous ceux qui sont attachés à l’émancipation des femmes ne peuvent être également qu’atterrés de lire ses associations force/masculinité ou compassion/féminité. Avec cette répartition de rôles bien spécifiques attribués à chacun des deux genres, on est à l’opposé du rapprochement mutuel des comportements des individus des deux sexes, en œuvre dans les sociétés occidentales, comme l’a bien dépeint Elisabeth Badinter dans « L’un est l’autre ». Dans cette veine phallocrate, notre pan-mahométan de moins en moins éclairé reconnaît que l’islam propose un renforcement du patriarcat. Dans un élan de franchise, il ne nous fait plus mystère des visées prosélytes de l’islam, puisque l’avenir est à l’islam, selon lui, force démographique.
Mais le plus inquiétant est pour la fin de l’entretien. Qu’est-ce qui serait si convaincant dans l’islam ? « ….. dans l’islam, ils n’ont plus à penser. La parole vient d’en haut….. ils peuvent régresser en toute quiétude. Les nouveaux convertis sont pris en charge….. Tout est balisé….. l’islam ne doute pas ….. ». C’est inouï qu’en quelques phrases, cet ancien psychanalyse se libère et nous révèle la nature de l’islam : régression, déresponsabilisation, absence du doute ; nous nous retrouvons avec un mode de vie situé à l’opposé d’une conduite humaniste pouvant amener l’être humain à l’émancipation.
Puis, tout à coup, pour ses réponses aux trois dernières questions, comme s’il prenait conscience de s’être trop confié, il recouvre à nouveau son discours d’un vernis laïque : « C’est le discours des hommes, pas le discours de Dieu, qui doit gérer la société des hommes. » Nous applaudirions sans arrière-pensées, si nous n’avions pas lu quelques lignes auparavant que les convertis, dans l’islam, n’ont plus à penser. Diantre, comment faire un discours sans recourir à la pensée ? Pas très explicite cela.
Inquiétant également l’amorce de son débat avec Mohamed Sifaoui, lors de l’émission Café Picouly du 11/9/09 (5) : le ton et les arguments évoqués se veulent intimidants : « Est-ce que Monsieur Sifaoui cherche une fatwa ? » ; « certains m’ont dissuadé de venir vous parler. » Son entourage serait-il composé d’adeptes de la censure à l’encontre de leurs contradicteurs ? « M.Sifaoui est un personnage sulfureux qui vit sur la haine de soi et qui vit de l’opprobre qu’il jette sur l’islam et les musulmans » ; on perçoit là la menace de « mauvais musulman » adressé à tout musulman, croyant ou non, qui critique partiellement l’islam. Le débat n’a même pas commencé que M.Chebel jette le discrédit sur la personne et non pas sur ces idées. Est-ce sa conception d’un débat éclairé ? Il ne veut donc voir qu’une seule tête dans les rangs musulmans.

Et pour le disqualifier davantage, il n’hésite pas à effectuer des comparaisons démesurément excessives : « les attaques contre l’islam que vous pratiquez sont de la même espèce ou pas loin de l’islam des intégristes » Bref, que l’on s’avise de critiquer l’islam, et on se retrouve affublé de l’épithète du mauvais musulman, ou dans notre cas personnel de sympathisant de Riposte Laïque, de l’étiquette du laïcard, de l’intégriste laïque, et du rôle du méchant qui dit du mal des musulmans, comme si attaquer des idées revenait à détester les personnes qui les soutiennent. Pour M.Chebel, critiquer des idées revient à humilier à l’extrême (définition de l’opprobre) les partisans de ces idées. En raisonnant ainsi, c’est tout débat d’idées qui devient impossible.
A propos, il est amèrement amusant de constater que la diatribe, dont a été ici victime M.Sifaoui, est du même ordre que celle qu’il a adressée à Riposte Laïque, à la suite d’une critique du ramadan effectuée par une de ses collaboratrices. Relisons-le (6) : « Cette tendance qu’a Pierre Cassen, et certains de ses amis, à vouloir mordicus jeter le bébé avec l’eau du bain en montrant une hostilité indécente à l’égard des musulmans, de tous les musulmans, en cherchant systématiquement à les renvoyer à leur « obscurantisme » qui serait consubstantiel à leur religion, n’a rien à envier aux constructions intellectuelles des intégristes musulmans, nos seuls et principaux ennemis, qui, via des discours similaires agressent musulmans et non-musulmans en utilisant, eux aussi, des clichés inacceptables. » L’arroseur arrosé !, mais qui voudra arroser à son tout M.Chebel en le traitant ultérieurement de conservateur.
Mais revenons-en à ce dernier, qui ne se montre pas plus moderniste, par son refus que l’islam puisse être réformé, par des personnes étrangères à cette culture (« l’islam a besoin d’une réforme de l’intérieur et non de l’extérieur »). Or les Lumières, c’est bien sûr l’universalité de la pensée. La philosophie est possible par et pour tous les êtres humains ; il n’y a pas d’exclus de l’amour de la sagesse, que ce soit pour critiquer ou pour adhérer à des opinions ; c’est la caractéristique de l’Occident que de prendre en compte toutes les opinions d’où qu’elles viennent, lors d’un débat ; le seul critère d’acceptation de ces idées résidant dans leur pertinence ou leur validité ; on n’écartera pas une idée parce qu’elle proviendrait de quelqu’un d’extérieur à l’Occident. Mais pour M.Chebel, qui nous vante par ailleurs la profondeur philosophique et intellectuelle du coran, les interprétations du coran qui pourraient permettre de réformer l’islam ne doivent être énoncées que par des musulmans.
Enfin finissons sur ses pensées peu éclairantes avec son opinion sur le rire et l’ironie. « Je suis preneur de la dérision par rapport à l’islam, par rapport aux musulmans ». « l’islam n’est pas contre le rire. Dieu merci, le rire est trop divin pour que les hommes puissent s’en mêler. » Mais aussitôt, il fait plus que nuancer en ajoutant qu’il ne faut « pas traiter les autres de moins que rien, d’invalide …. ». Diantre, sait-il que tourner en dérision (puisque c’est lui qui a utilisé l’expression), c’est se moquer d’une manière méprisante. Sait-il que les philosophes des Lumières, avec Voltaire en premier lieu, maniaient régulièrement l’ironie et la dérision pour mieux faire prendre conscience à leurs contemporains des imperfections de leur société.
Ce serait donc un rire aseptisé qu’il nous propose ; ces petits rires sagement étouffés des dames patronnesses. Là aussi sa conception des Lumières est fort éloignée de la nôtre. D’ailleurs, dans l’impulsivité de son discours, il le reconnaît, affirmant que « ça, c’est une construction imaginaire qui n’existe pas au-delà de la Méditerranée, qui existe ici, mais pas au-delà ; c’est de la foutaise ! »
Eloge de la virilité de l’islam, subordination de la femme à l’homme et consentement implicite aux sanctions envers les femmes qui n’accepteraient pas cette subordination, islam favorisant la régression et la déresponsabilisation, intimidation de ceux qui critiquent l’islam ….. Que d’obscurité dans cet inventaire non exhaustif.
Jean Pavée
(1) http://www.ripostelaique.com/Hamid-Zanaz-un-islam-reforme-c-est.html
(2) reflexionsetautresidees.blogs.courrierinternational.com/media
(3) http://oumma.com/coran/afficher.php?NumSourate=24
(4) http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2007-01-17/interview-de-malek-chebel-l-avenir-est-a-l-islam/920/0/22017
(5) http://www.youtube.com/watch?v=RGbWI8xdarY
http://www.youtube.com/watch?v=D7zEsnCXdgM
(6) http://www.mohamed-sifaoui.com/50-comments-35545488.html

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