Pour une République respectable et respectée

Pour respecter la République, encore faut-il qu’elle soit respectable.
Effectivement, siffler la Marseillaise lors d’un match de football n’est pas quelque chose de réjouissant. Mais, par rapport à ce genre d’événement, il convient d’essayer de comprendre ce qu’il se passe. Au passage, notons tout de suite que comprendre ne veut certainement pas dire justifier et encore moins cautionner.
Prenons quelques instants une métaphore médicale. Une maladie se traduit, le plus souvent, par un ensemble de symptômes et s’attaquer à un seul de ceux-ci ne peut, en aucun cas, suffire pour éradiquer la maladie toute entière. Il convient donc de considérer la maladie dans son ensemble, et non pas de manière parcellaire, pour essayer d’obtenir le plus de succès thérapeutique possible.
Il en est de même dans ce genre d’affaire. Ne s’intéresser qu’aux sifflets serait, à coup sur, passer à coté de la majeure partie du problème. Dire qu’il suffit de punir les siffleurs démontre, pour le moins, une certaine légèreté intellectuelle et, au plus, une réelle incompétence. A moins que l’on ne fasse que de la politique communicationnelle et compassionnelle, teintée de beaucoup de démagogie.
Disons le tout net, aborder ce problème uniquement sous cet angle confine aux discours de type « café du commerce » et pulsionnel qui n’a pas grand chose à voir avec la réflexion et la raison. Les réactions à chaud, ce qui ne favorise jamais la réflexion, de certains membres du gouvernement ont été disproportionnées renvoyant plus à des « tartarinades » sans réflexion.
Il est évident que les réponses à ce genre de problèmes ne sont pas simples et nous ne prétendrons pas, ici, donner des solutions « clés en main ».
Cependant, il semble assez clair que cela signe des difficultés concernant la notion d’intégration républicaine. Dans un texte précédent, nous avions analysé les dangers que recouvraient la notion d’intégration/assimilation (l’assimilation renvoyant à le digestion, à la transformation en du même et donc au risque de perte identitaire et subjective, ouvrant la porte à tous les passages à l’acte). Rappelons que la notion d’intégration renvoie à la notion d’accueil. Dans cette notion, il y a certes celui qui est accueilli, mais il y aussi celui qui accueille.
Quand l’accueilli ne respecte pas l’accueillant, ce dernier n’a qu’une envie : le mettre dehors. A l’inverse, quand l’accueillant ne respecte pas l’accueilli, ce dernier se sent mal et s’il reste c’est, en général, parce qu’il n’a pas le choix, mais quand il a ce choix, il ne revient plus. Dans ce genre de situation, certes l’accueilli doit faire un pas vers l’accueillant, mais cette démarche ne doit pas être à sens unique et l’accueillant doit aussi faire un pas vers l’accueilli. En fait, il est nécessaire, pour que l’accueil soit le plus réussi possible, que chacun accepte d’abandonner un peu quelque chose de lui même pour s’ouvrir à l’autre, quel que soit son statut.
Abandonner un peu quelque chose de soi même oui, mais abandonner tout non. C’est bien le problème que pose l’assimilation en demandant à l’accueilli d’abandonner tout ce qui fait ses spécificités afin de se fondre à 100% dans le moule de l’accueillant. Mais, à l’inverse, et c’est bien le problème que pose le communautarisme, quand l’accueilli ne veut absolument rien céder sur rien alors le décalage entre les deux parties devient fossé puis abîme. La difficulté, oui un accueil et une intégration réussis c’est difficile, est de se situer dans un juste milieu, à l’instar de la médiété que nous enseigne Aristote dans son « Ethique à Nicomaque ». Ce juste milieu peut être représenté par ce que nous disions plus haut, à savoir cette absolue nécessité que chacun accepte d’abandonner un peu quelque chose pour s’ouvrir à la reconnaissance de l’altérité et de la différence.
Alors interrogeons nous : la République qui demande, à juste titre, à être respectée est-elle respectable. Pour tenter de répondre à cette question, prenons un autre symbole républicain au moins aussi fort, si ce n’est plus, que la Marseillaise, à savoir notre fameuse devise « Liberté – Egalité – Fraternité » et demandons nous si la République respecte ces principes qu’elle a elle même édictés. Et, à la suite, quelle image donne-t-elle à tous les accueillis qui viennent en France.
La liberté.
Force est de constater que nous sommes de moins en moins libres et ceci de manière plutôt insidieuse. Les différents fichages des individus sont en constante augmentation : ADN, téléphonie mobile, informatique, dossier de santé, Edvige, fichage de plus en plus précoce des enfants dans les écoles, les caméras vidéo de surveillance pullulent de plus en plus et la liste pourrait s’allonger encore. D’autre part, les mises en garde à vue augmentent significativement, ainsi que les incarcérations, les prisons débordent et de plus en plus d’individus sont en « préventive », parfois pour longtemps, alors qu’ils ne sont même pas jugés.
La présomption d’innocence est quotidiennement bafouée. Le nombre de lois est en augmentation quasi exponentielle. La liberté de critique et de blasphème, notamment à propos des religions est de plus en plus difficile à exercer. Le simple droit à l’humour est lui aussi de plus en plus mis à mal. Bref, tout cela demanderait un développement plus important mais nous voyons bien que ce qu’il convient d’appeler les libertés individuelles diminuent dans ce pays qui ne respecte même plus, et ceci de plus en plus souvent et dans de plus en plus de domaines, ces fameux droits de l’Homme dont il se fait le chantre. la France, notamment, mais pas seulement, à cause de sa politique pénitentiaire, est régulièrement épinglée par la cour européenne des droits de l’Homme, ce qui est quand même un comble et ce qui pourrait tout aussi bien nous faire rougir de honte, plus que quelques excités qui sifflent la Marseillaise.
L’égalité. Tout d’abord, précisons qu’il s’agit bien, ici, d’égalité de droit et non pas d’égalité de fait. En effet, si « tous les Hommes naissent libres et égaux » c’est bien « en droit », sachant que chaque être humain, par définition et ontologiquement, est profondément inégal vis-à-vis de chacun de ses semblables, et fort heureusement. Donc, ne confondons pas. Là encore cela mériterait de s’y attarder longuement, mais faisons court. C’est un truisme que de dire que les inégalités augmentent et de plus en plus d’indicateurs sont au rouge. Inégalités salariales, sociales, ethniques, de part le milieu d’origine, de part le lieu de résidence, délits de faciès… Les discriminations augmentent de jour en jour et la morale de La Fontaine qui indique une différence de traitement selon si nous sommes puissants ou faibles est de plus en plus de mise. Force est de constater que les lois de la République ne s’appliquent pas de la même manière sur l’ensemble du territoire français.
Ne prenons qu’un seul exemple qui devrait parler à tous les laïcs de France et de Navarre, à savoir la scandaleuse et anti républicaine loi concordataire qui s’applique en Alsace Moselle et pas ailleurs. Ou plutôt, la loi de séparation des églises et de l’état de 1905 qui ne s’applique pas de manière égalitaire en France. Un pays qui diminue la pression juridique sur la délinquance financière et en col blanc tout en l’augmentant pour des délits que l’on peut considérer comme mineur n’est plus tout a fait égalitaire, ceci de la même manière qu’en mettant en place un bouclier fiscal et en maintenant un grand nombre de niches fiscales.
La fraternité. Cette République qui est encore la nôtre est-elle fraternelle ? Assurément de moins en moins et, là aussi, les exemples sont légions. Un pays qui accepte qu’il y ait autant de SDF en son sein est-il fraternel ? Un pays qui traite ses quartiers difficiles comme il le fait actuellement est-il fraternel ? Un pays qui accepte que de plus en plus de personnes âgées soient tout juste au niveau du minimum vieillesse est-il fraternel ? Un pays qui instaure et pérennise une médecine et une santé à plusieurs vitesses est-il fraternel ? Un pays qui accepte de plus en plus de travailleurs pauvres et de précarité est-il fraternel ? Un pays qui fait de plus en plus l’apologie de l’individualisme, au travers de sa politique économique et sociale, est-il fraternel ? Un pays qui magnifie au plus haut point les « valeurs » du libéralisme économique et de l’entreprise comme modes re relations sociales est-il fraternel ? Les relations sociales se délitent, les rapports humains de judiciarisent de plus en plus à l’américaine, est-ce fraternel ? Nous affirmons que l’unique réponse à toutes ces questions est non, nous sommes de moins en moins dans une société où la fraternité est privilégiée.
Alors peut-être devrions nous nous interroger sur le fait de savoir dans quelle République nous voulons vivre ensemble. Les mots ne sont pas que des mots, ils ont une portée symbolique mais il faut aussi qu’ils aient une traduction concrète, en acte, sinon ils perdent leur crédibilité et leur puissance. Je ris toujours jaune quand je vois comment les mots démocratie et République peuvent perdre leur sens et leur valeur dans l’exemple, d’actualité, d’un pays comme le Congo qui ose se nommer, sans rire, « République démocratique ». Alors certes, la France est loin d’être comparable au Congo, mais, assurément, si nous n’y prenons pas garde et si nous croyons que les acquis républicains et démocratiques le sont de toute éternité alors nous risquons de courir à la catastrophe tyrannique et totalitaire.
Alors, pour que notre République française ne devienne pas cette « gueuse » décrite, en son temps, par une extrême droite populiste, pour qu’elle ne devienne pas, comme l’a souvent qualifiée un Jean Marie Le Pen, une « ripouxblique », il faut qu’elle balaye devant sa porte afin de restaurer la plupart de ses valeurs perdues qui ont fait sa grandeur et sa force. Quand ce travail de restauration sera effectué, alors elle sera de nouveau respectable et pourra exiger d’être respectée. La République a des droits, mais elle a aussi des devoirs. Elle a le devoir éthique de bien accueillir et de réellement mettre en œuvre ce fameux « pacte Républicain » au travers d’actes concrets.
Pour cela, il convient que la République ne confonde pas autorité et autoritarisme, intégration et assimilation, nécessaire sanction et répression aveugle. Mais aussi, qu’elle ne fasse pas l’apologie de la délation comme mode relationnel pour les fonctionnaires, que certains de ses membres ne défendent pas les châtiments corporels comme mode éducatif. Concernant ce dernier point, précisons que les châtiments corporels correspondent à un échec éducatif, comme une guerre correspond à un échec diplomatique, comme, de manière plus générale, toute violence correspond à un échec relationnel.
Pour terminer et pour couper court à tout amalgame, précisons encore que compréhension et remise en question ne signifient justification et cautionnement de tout et surtout pas qu’il faille accepter l’inacceptable. Simplement, et pour reprendre la métaphore médicale, pour traiter il faut comprendre et pour comprendre il faut avoir une vision globale et ne pas hésiter quand c’est nécessaire, pour éviter les discours à sens unique, à se remettre en question afin de ne pas stigmatiser et afin de ne pas désigner des boucs émissaires sur lesquels nous chargerions nos propres maux, croyant ainsi, à tort, que cela pourrait suffire à les traiter.
Tout en acceptant l’idée de : « pas de tolérance avec les intolérants », acceptons l’idée que, parfois, notre République doit aussi se remettre en question. Ce n’est pas la discréditer que de dire cela, au contraire, c’est lui rendre service, c’est nous rendre service.
Hervé BOYER

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