Madame la Directrice,
Lundi 23 juin, en fin d’après-midi, dans la clinique catholique Saint-Vincent de Paul, que vous dirigez, un père de famille a obtenu que soit décroché le crucifix suspendu à l’un des murs de la chambre où reposait sa fillette, suite à une opération chirurgicale programmée : « Pendant près d’un quart d’heure – raconte un témoin cité par le Dauphiné libéré du mercredi 25 juin – le père, en présence de son épouse, s’est emporté verbalement, exigeant que le crucifix soit décroché ».
Et l’incroyable s’est produit : vous lui avez donné raison, submergée que vous fûtes par vos propres contradictions !
Comment, en effet, reconnaître l’aspect « nullement ostentatoire », voire « très sobre » du crucifix en question, et en même temps approuver l’attitude de l’aide-soignante qui a mis un terme à l’incident ?
Comment qualifier de « surprenante » cette demande émanant d’une famille musulmane, alors que se multiplient quotidiennement les tensions entre l’islam et la République ? « Quand les gens choisissent d’être soignés dans notre établissement (…) – précisez-vous – ils savent qu’ils sont dans une maternité catholique… Cela n’est nullement caché : c’est d’ailleurs parfaitement inscrit à l’entrée de l’établissement tout comme dans le livret d’accueil. Les petites sœurs des maternités catholiques évoluent en vêtements religieux dans les services ».
Mais dites-moi, Madame la Directrice : si vous êtes à ce point consciente d’avoir la loi pour vous, comment avez-vous pu vous incliner devant la loi d’un autre ? Savez-vous qu’en l’occurrence vous avez concouru au triomphe de la loi du plus fort, ce qui revient à dire que vous avez porté atteinte au régime de droit de notre République ? Voulez-vous que la République ne soit plus « une et indivisible » ? Voulez-vous que votre clinique devienne musulmane ?
Voulez-vous la guerre civile ?
Si encore la véhémence de ce père relevait de l’exception, comme il arrive lors d’une folie soudaine, cela serait un moindre mal ; mais la présidente du conseil d’administration de la clinique, Sœur Marie-Mathieu, a évoqué des incidents de même nature dans d’autres établissements gérés par des religieux, à telle enseigne que la présente affaire devrait être évoquée au prochain comité d’éthique de l’Alliance des maternités catholiques regroupant religieuses, personnalités civiles, philosophes, juristes et médecins.
Puisse ce comité être lucide et courageux ! Puisse-t-il comprendre que ce père a fait respecter sa foi en toute connaissance de cause : il savait très bien que sa foi venait de faire parler d’elle, lorsque le Tribunal de Grande Instance de Lille a prononcé un divorce pour vice de virginité, ou lorsque fut planifiée, à Vigneux-sur-Seine, l’organisation d’un match de basket féminin interdit aux spectateurs masculins. Il n’ignorait pas que cette même foi rend problématique la fonction hospitalière sitôt que l’obstétricien est de sexe masculin. Il avait conscience que chaque manquement islamique aux lois de la République est une avancée de la charia !
Pourtant, la charia n’avancerait pas d’un pouce sans l’aval de celles et ceux qui lui donnent libre cours ! Que vous le vouliez ou non, Madame la Directrice, votre attitude apparemment apaisante n’a jamais fait que contribuer à la construction d’un nouvel ordre religieux qui, soit dit en passant, n’est pas celui du Christ !
Vous pouvez me rétorquer que le message du Christ est celui du pardon, et que le « par-don » est précisément ce qui va jusqu’au bout du don. Vous pouvez me rappeler que le Christ condamne la violence, se laisse arrêter par les centurions, et qu’il se serait comporté comme vous dans les mêmes circonstances.
Ces arguments – qui reviennent invariablement – méritent pourtant quelques remarques, à commencer par celle selon laquelle il ne sert à rien d’aller jusqu’au bout du don avec l’intégriste, car l’intégriste ne comprend le don que par référence à lui-même et à son Dieu. Avec l’intégriste, il faut aller jusqu’au bout du « non » !
En souscrivant aux injonctions de cet homme, vous n’avez sauvé ni l’enseignement du Christ, ni le personnel de votre établissement, ni vous-même : vous vous êtes perdue, et vous avez perdu par anticipation celles et ceux qui subiront immanquablement de semblables pressions !
Plus grave encore : vous ne vous êtes pas perdue innocemment ! Non seulement vous aviez à faire à un homme en colère, mais encore à un musulman ! Or, depuis l’implantation de l’islam sur notre sol, il convient de sacrifier à la différence cultuelle, autrement dit de célébrer en ce domaine tout ce qui vient de l’autre, puisque l’autre est sacré en sa croyance même ! S’opposer à un rite religieux – serait-ce l’égorgement d’animaux non étourdis – peut conduire devant le juge ! Vous saviez tout cela, à quoi vous auriez dû cependant résister, mais le politiquement correct pensait à votre place, c’est-à-dire à la place que vous avez bien voulu lui accorder. Auriez-vous vraiment adopté la même attitude si le retrait du crucifix avait été demandé par un athée ?
Les forces négatives qui vous ont fait céder furent donc l’ire musulmane et, en filigrane, l’accusation potentielle de racisme, puisqu’au grand dam de la lutte actuelle contre tous les amalgames, on amalgame aujourd’hui « race » et « religion » – pour peu que cette dernière soit l’islam, évidemment !
En un mot, vous avez incarné la peur, et j’en suis d’autant plus étonné que votre religion présente le Christ comme le « rocher », la « forteresse », l’« asile protecteur » ! Vous êtes-vous, au moins, rendue compte que vous avez préféré ce père au Père ? Je croyais que vous releviez d’une autre autorité, et que vous aviez lu les textes, ne serait-ce que ce verset – qui vous est dorénavant destiné : « Quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai, moi aussi, devant mon Père qui est dans les cieux » (Matthieu, X, 33) !
Certes, le Christ se laisse capturer par ceux qui veulent sa mort, mais c’est dans le cadre de sa mission rédemptrice ! Certes, le Christ est contre la violence, mais il n’hésite point à dessécher le figuier qui ne lui donne pas de figues à l’instant même où il a faim, comme il chasse les marchands du temple à coups de fouet, renversant au passage les tables des changeurs d’argent et les chaises des vendeurs de pigeons ! C’est lui qui déclare tout de go : « Qui n’est pas avec moi est contre moi » (Luc, XI, 23) ! C’est encore lui qui lance cette phrase étonnante : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée » (Matthieu, X, 34) !
On pensera ce que l’on voudra des faits et gestes du Christ, mais on ne pourra se départir de cette évidence qu’ils relèvent d’un homme sûr, qui ne renonce en rien à ce qu’il est. Voilà l’exemple que vous auriez dû suivre, et, pour une fois, c’était simple à suivre, car il ne s’agissait pas de marcher sur les eaux agitées, mais de ne rien faire, autrement dit de laisser la chambre en l’état !
Je vous prie de croire, Madame la Directrice, en l’assurance de mes sentiments distingués.
Maurice Vidal