Qu'est-ce qu'un néo-socialiste ? Un ennemi de la République !

Une synthèse de l’involution de la pensée socialiste de ces dernières décennies

M. Laurent Chambon, mon contradicteur sur le plateau de France24 du mardi 26 janvier, a commis un article sur son blog (1) pour défendre sa vision du débat et m’a envoyé une missive faussement naïve, me disant « Je pense que vous vous trompez lourdement sur la question de la burqa et que vous serez amené à réviser vos positions dans quelques années, mais nous avons le bonheur de vivre en démocratie où chacun a le doit d’avoir ses opinions. Je me félicite donc que vous ayez le luxe de pouvoir partager vos pensées, aussi idiotes soient-elles, en toute liberté. Cependant, j’ai une question… Vous m’appelez “néo-socialiste” dans votre blog. Avant de savoir si c’est un compliment ou une insulte, pourriez-vous me dire ce que cela signifie? La définition que je connais (http://fr.wikipedia.org/wiki/Néo-socialisme) ne semble pas du tout appropriée. »
Le dialogue avec quelqu’un qui me traite d’emblée d’idiot ne m’intéresse guère. Mais je vais saisir cette opportunité pour brosser le portrait de ce type politique que j’ai baptisé néo-socialiste, qui n’est même pas de moi, puisque Tony Blair a renommé les travaillistes britanniques le New Labour. Un néo-socialiste, c’est un quelqu’un qui n’a jamais lu Marx, Feuerbach, Hegel, ou Debord, et n’a jamais entendu parler du projet d’émancipation du genre humain qu’était le socialisme.
Il ne connaît rien aux analyses de l’aliénation religieuse, de l’aliénation politique et de l’aliénation marchande, et a fortiori n’a aucune idée de la distinction entre idéologie et théorie critique. Un néo-socialiste, c’est un socialiste qui a abandonné la lutte contre la forme aliénée du travail, c’est-à-dire contre le salariat et l’économie de marché capitalistique, et partant, ne se distingue plus d’un libéral de droite que par un appel incantatoire à une plus grande redistribution étatique de la plus-value. Un néo-socialiste défend la cause (l’économie de marché) tout en exigeant d’elle d’autres conséquences. Un néo-socialiste n’est qu’un capitaliste incohérent.
Ainsi par exemple, tout ce qu’il garde de l’internationalisme de ses aïeux, c’est un vague cosmopolitisme et un relativisme culturel péremptoire, dont les manifestations les plus patentes sont ses prises de position contre les mesures anti-immigration, qu’il qualifie de xénophobes. Alors qu’il adule l’Etat national, puisqu’il a besoin de lui pour en exiger plus de « discrimination positive », de « redistribution », de lutte « contre les inégalités », il en sape les fondements mêmes, en faisant fi de la distinction cruciale entre l’Homme et le Citoyen.
Un néo-socialiste, c’est aussi quelqu’un qui fait mine d’avoir le « monopôle du cœur », tout en dénonçant les mouvements de cœur d’autrui comme autant de peurs irrationnelles, ou de passions absurdes. C’est quelqu’un qui, ne sachant par répondre aux arguments d’autrui, attaque le ton de sa voix, ou l’émotion qui enveloppe ses propos, voire qui psychiatrise ses adversaires. Par exemple, M. Chambon croit avoir trouvé la clé pour me comprendre: « Stoenescu est à mon avis tellement aveuglé par sa peur des religions qu’il est prêt à remettre en cause l’esprit de la laïcité. » tout comme il s’était cru en droit de conseiller à M. Myard d’aller voir “un bon psy”.
Un néo-socialiste, c’est quelqu’un qui parle sans cesse de débat et de concertation, pourvu que celui-ci ne « dérape » pas, c’est-à-dire que ne soient exprimés que des propos ou des points de vue acceptables pour son indigence intellectuelle. Ne sachant plus faire aucune distinction entre les faits, les valeurs, et les idées, il accuse la réalité de n’être pas conforme aux valeurs régulatrices de liberté, d’égalité et de fraternité, pour ensuite reprocher à ceux qui défendent ces valeurs de ne pas s’occuper de la réalité.

Promoteur de la discrimination positive, il souhaiterait ainsi que par exemple les femmes et les minorités ethniques soient représentées au Parlement d’une manière proportionnelle au pourcentage de femmes et de « membres de la diversité » dans la société. Un néo-socialiste a donc délaissé l’équité aristotélicienne pour l’égalité purement mathématique, qui ne tient pas compte du mérite, et qui est une violence faite à la diversité réelle des êtres humains, inégaux en talents et en aptitudes. Un néo-socialiste, lorsqu’il parle d’égalité, fait donc campagne pour l’injustice et contre la diversité.
En dernière analyse, un néo-socialiste c’est un défenseur du capitalisme régulé par l’Etat, pour lequel les seules solutions aux problèmes concrets issus de la dynamique mondiale du marché (en l’espèce, les conflits culturels) sont le déni et l’écrasement violent, par des lois qui interdisent l’expression même de ces problèmes : lois mémorielles, lois sur les propos racistes, sexistes, lois sur les « propos haineux », lois sur le harcèlement, etc.
Un néo-socialiste, c’est quelqu’un qui psalmodie le truisme « nous avons le bonheur de vivre en démocratie où chacun a le droit d’avoir ses opinions », et qui « s’en félicite », comme s’il avait institué personnellement la liberté d’expression, alors que répéter cette évidence ne fait que trahir son regret de ce que ces opinions s’expriment, en attendant ces années bénies, où on « sera amené à les réviser ».
Bref, un néo-socialiste est très précisément un vieux stalinien, dans la mesure où le stalinisme a été la promotion du capitalisme d’Etat et la tentative de destruction de toutes les distinctions culturelles dans l’espace de l’URSS, par la « rééducation », pour créer « l’Homme nouveau », acculturé, matérialiste et internationaliste.
L’élite mondialisée d’aujourd’hui, dont font partie les néo-socialistes aisés d’aujourd’hui, c’est la caste composée de ces « Hommes nouveaux », l’éthique du travail en moins, regardant de haut les peuples particuliers et leurs problèmes trop nationaux, trop concrets et trop vulgaires.
En restant terre-à-terre, la meilleure définition du néo-socialiste, c’est celle qu’en donne l’exemple même de M. Chambon : c’est quelqu’un qui cherche sur wikipédia la définition de « néo-socialiste ». Car pour comprendre la nouveauté, il faut avoir un certain bagage de connaissances historiques, et en déduire ce qui émerge de décalé par rapport à la tradition et aux principes que l’on est censé défendre. Cela fait de toute évidence cruellement défaut à M. Chambon, pour lequel la laïcité consiste à défendre les religions contre l’Etat, alors qu’elle est historiquement exactement le contraire. De plus, la laïcité pour les anciens socialistes, était plus qu’un simple combat formel pour l’autonomie de l’Etat vis-à-vis de agressions théocratiques : c’était la lutte pour l’émancipation de l’homme et de la femme vis-à-vis de tout endoctrinement obscurantiste, fut-il librement consenti.
La liberté, ce n’est pas la simple liberté de choix, c’est l’autonomie de l’être raisonnable qui se construit par l’éducation à exercer sa raison créatrice de lois propres, indépendamment de toute révélation supposée divine. (2) Ce que M. Chambon ne peut pas comprendre, c’est que l’islam, ce n’est certes pas la négation de la raison dans son ensemble, mais la négation de la capacité de la raison naturelle de l’homme de se donner sa propre loi.
Ce domaine, qui est fondamental pour toute république, est réservé par l’islam au Coran et à la sunna, cadre immuable de l’ordre juridique de la charia. Accepter la burqa, c’est accepter de renier dans un cas particulier la préséance de la loi de l’homme sur la prescription supposée divine. Ce n’est certes qu’un détail, mais le principe qui est en jeu dans le débat autour de cette question est le principe fondateur de notre Etat, ce qui est loin d’être un détail, mais notre essence la plus intime de républicains. C’est pourquoi il est parfaitement légitime que l’on n’accorde pas la nationalité française aux hommes obligeant leurs femmes à porter la burqa, ni aux femmes qui la portent. Mais on ne peut pas reprocher à M. Chambon de s’opposer à ces principes : a-t-on jamais rencontré un stalinien républicain ?
Radu Stoenescu
(1) http://kreukreuscopie.blogspot.com/
(2) « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. » Rousseau, Du contrat social, Livre I, chapitre VIII

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