Relevons notre République, bien malade…

Article 1° de la constitution française : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée … ». Article 2 : «… La devise de la République est « Liberté – Egalité – Fraternité »
En novembre 2008, nous écrivions un texte intitulé : « Pour une République respectable et respectée ». (1) Ce texte intervenait après l’émoi qu’avait provoqué le fait que la Marseillaise fût sifflée par une grande partie du public venu assister à un match de football France – Algérie. Cet évènement avait soulevé, chez certains, une vague d’indignation, jusqu’au plus haut niveau de l’appareil d’Etat. D’aucuns avaient aussitôt enfourché leur plus beau cheval blanc avec la ferme intention de pourfendre celles et ceux qu’ils qualifiaient alors d’irrespectueux envers la République française. Qui plus est, ces sifflets avaient été émis par bon nombre de ce qu’il est convenu de nommer, dans une magnifique expression antirépublicaine, « français issus de l’immigration ». Antirépublicaine bien sur, car, en l’occurrence, il n’y a pas cinquante solutions : soit un individu est français, au sens où il détient la nationalité française, soit il ne l’est pas, sans distinction d’origine comme l’indique l’article premier de notre constitution. C’est la raison pour laquelle ces sifflets montraient bien l’existence d’un malaise dans l’intégration républicaine.
Nous avions, toujours en novembre 2008, écrit un autre texte intitulé : « Accueil et intégration ». (2) Texte dans lequel nous tentions de démontrer tous les vices qui nous semblaient (et qui nous semblent toujours) inhérents à la notion d’intégration/assimilation et, à contrario, toutes les vertus à l’œuvre dans la notion d’intégration/insertion. Nous n’y reviendrons pas, renvoyant celles et ceux qui le souhaitent à la lecture de ce texte.
Dans le premier texte cité, nous pointions, entre autres choses, l’incohérence qu’il y avait à demander du respect quand celui qui le demande n’est pas, lui-même, respectable. Par exemple, comment un professeur, un policier, un juge peuvent demander à être respectés uniquement de part leur position et leur statut s’ils ne sont pas, eux-mêmes, respectables et s’ils ne respectent pas leurs interlocuteurs ? Inconcevable, d’autant qu’il s’agit bien là de fonctions qui confèrent du pouvoir sur autrui. Nous défendons l’idée de dire que plus un pouvoir est grand, plus il doit augmenter la responsabilité de celui qui le détient. Alors, oui ces gens là ne doivent pas être respectés uniquement de part leurs fonctions, mais aussi et surtout parce qu’eux-mêmes sont respectueux d’autrui, en toutes circonstances. Sinon, nous sommes bien dans le tristement fameux « faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que fais » et, en ces temps où la notion d’exemplarité est pointée comme étant de plus en plus manquante, cela ne manque pas de poser problème.
Il doit en aller de même pour la République française et, déjà dans ce texte de 2008, nous avions démontré, au travers de l’analyse de notre devise « Liberté – Egalité – Fraternité », qu’il n’en était rien. Au risque de paraître quelque peu prétentieux, force est de constater que nous avions raison. C’est ce que démontrent deux faits de l’actualité récente. Faits qui, même s’ils ont été quelque peu relayés médiatiquement, n’ont pas soulevés de grands débats.
Le premier fait est un sondage paru, entre autres, dans Le Nouvel Observateur.com. Il montre que 55% des personnes interrogées estiment que la Liberté est en régression en France. Environ 60% des français pensent que la notion d’Egalité diminue. Ce chiffre étant à peu près le même pour celles et ceux qui pensent que la Fraternité est de moins en moins de mise. Même si ce sondage fait apparaître quelques clivages droite/gauche, il montre bien qu’au-delà de cette classification, les français se rassemblent aujourd’hui pour considérer, très largement, que ces trois valeurs républicaines essentielles sont en net recul. Les résultats et l’analyse de ce sondage montrent aussi que, conjoncturellement, il y a certes un pessimisme de crise qui s’exprime là, mais pas seulement. En effet, au-delà, nous assistons bien à une alarmante perte de repères, à un inquiétant délitement du projet collectif, à un net recul des frontières de l’Etat Nation. Pire encore : quand ce sondage demande quelle personnalité française symbolise le mieux notre devise ternaire, environ un français sur deux ne parvient pas à répondre. Nous assistons donc bien là à un déficit d’incarnation des valeurs républicaines.
Les banlieues dites sensibles se sont transformées en ghettos d’où la République et ses représentants sont de plus en plus absents. Le service public est en dissolution annoncée, programmée et avancée. La médecine est à plusieurs vitesses et elle se marchandise de plus en plus. La protection sociale se délite inexorablement. Le fossé entre les plus riches et les précaires se creuse pour devenir abîme. Les gardes à vue s’intensifient de manière dégradante et humiliante dans le seul but de faire du chiffre. Notre système pénitentiaire produit de plus en plus de récidive en ne respectant pas les plus élémentaires des Droits de l’Homme et sans que la délinquance ne diminue pour autant. L’individualisme devient la règle. Les Droits de l’Homme sont quotidiennement bafoués dans le pays qui les a créé. La justice est de moins en moins juste car elle est de plus en plus clémente avec les puissants, les délinquants en col blanc et sévère avec les faibles. Nous pourrions multiplier ce genre d’exemples à l’infini et ce sondage montre bien qu’il n’y a aucun déclinisme, ni aucun pessimisme, mais du réalisme à dire cela.
Le second fait est le constat effectué par Jean Paul Delevoye, médiateur de la République, dans le Monde.fr. L’état des lieux qu’il nous propose dans le rapport annuel qu’il a remis le 23 février dernier au président de la République et au Parlement parle d’une « société émiettée et en tension ». Il est inquiet quant au diagnostic porté sur l’état du pays car il perçoit, au travers des dossiers qui lui sont adressés, « une société qui se fragmente, où le chacun pour soi remplace l’envie de vivre ensemble ». Il constate « qu’un fossé s’est creusé entre le citoyen et l’Etat et de plus en plus de personnes se sentent mal défendues par ce même Etat ». Par ailleurs, il constate que, « malgré l’existence d’amortisseurs sociaux, l’angoisse du déclassement augmente ». Il est frappé par la « cohabitation de deux types de société : l’une officielle, que nous connaissons tous, l’autre plus souterraine qui vit d’aides, de travail au noir et de réseaux. Ces deux sociétés ont des fonctionnements parallèles, elles ont leur propre langage, leur propre hiérarchie et leur propre chaîne de responsabilité ». Sa conclusion est de nous mettre en garde car « politiquement cela peut mal tourner et l’histoire a déjà montré que le ressentiment et la peur nourrissaient le populisme ».
La République française est donc bien malade. Elle n’est certes pas mourante, mais si nous ne nous penchons pas immédiatement à son chevet, nous risquons d’entendre bientôt son dernier râle. Alors, parlons de la République encore et encore.

Commençons par une approche au travers du prisme de la philosophie politique. La République est synonyme d’Etat, un Etat non monarchique, fondé sur le principe de la souveraineté populaire, que celle-ci s’exerce directement ou par le truchement de représentants élus. Dans son « Contrat social », Rousseau définissait la République comme « tout Etat régi par des lois ». C’est vers la fin du XVIII° siècle que le sens actuel se généralise avec, notamment, la révolution française de 1789, mais aussi aux Etats-Unis en 1776.
Montesquieu, philosophe des Lumières par excellence, oppose la République au despotisme et à la monarchie. Pour lui, cette République est fondée sur la vertu. Un type d’Etat est bon s’il est modéré, car c’est seulement alors qu’il garantit la liberté. Celle-ci est également favorisée par la limitation que le pouvoir exerce sur lui-même, notamment au travers de la notion de « contre pouvoir ». C’est la raison pour laquelle Montesquieu préconise la fameuse « séparation des pouvoirs » en établissant une distinction entre : le pouvoir législatif qui contrôle l’exécutif et se compose de deux chambres (une qui contrôle et l’autre qui légifère), le pouvoir exécutif doté d’un droit de veto contre le législatif et le pouvoir judiciaire qui doit être strictement séparé de l’exécutif.
Cette « séparation des pouvoirs » qui s’applique encore aujourd’hui, ou plus exactement qui est censé s’appliquer, est son apport le plus important à la philosophie politique. Justement, le fait que, aujourd’hui, cela relève plutôt du théorique et non plus réellement d’une application pratique, d’une praxis, est un des problèmes majeurs de la maladie de notre République. Donc, Montesquieu distingue bien le gouvernement républicain des gouvernements monarchique et despotique. D’ailleurs, il appelle alors République ce que Rousseau appelait Démocratie. Aujourd’hui encore, et c’est tant mieux, les deux termes sont souvent associés et la République est une Démocratie politique. D’un point de vue philosophique, il est important de noter que la République est une idée de portée universelle.
Alors, opérons un petit détour par Emmanuel Kant qui, à propos de sa conception de la morale, avait largement mis en avant cet universalisme comme une nécessité. Pour lui, la République est l’essence de toute constitution politique fondée sur le droit et cela suppose plusieurs impératifs. Tout d’abord, l’égalité devant la loi et l’égale liberté de tous. Ensuite, la volonté commune d’un intérêt général, non réductible aux intérêts particuliers de chacun. Puis, la participation de tous à la vie publique, c’est-à-dire la politisation des consciences car chacun doit se sentir concerné par l’Etat. Et enfin, la vertu des citoyens et une éducation civique visant à renforcer le souci que doit avoir chacun de l’intérêt commun.
Mais, aujourd’hui, le mot République, sous un apparent consensus, cache de graves affadissements. Cela dénote trop souvent d’un oubli des principes et des valeurs sur lesquels est fondée, juridiquement et idéologiquement, notre vie publique, à la fois sociale et politique. L’Etat de droit qu’instaure la République ne doit pas se limiter à quelques règles neutres et simples, comme le pense les tenants du libéralisme, qui permettraient de s’en remettre à la nature des choses et à la libre concurrence des acteurs. Elle assigne aux citoyens qui la composent, et sans lesquels elle n’est rien, des buts individuels et collectifs qui leur soient communs et auxquels ils ne sauraient se dérober. Il y a des valeurs et des principes fondamentaux sur lesquels l’accord de toutes et de tous est indispensable et il convient de constamment les identifier et les rappeler.
C’est bien ce qui est exprimé dans le trinôme que constitue notre devise constitutionnelle de Liberté, d’Egalité et de Fraternité. Il s’agit bien de trois attributs indissociables qui demandent à être pensés constamment, notamment dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux. Il convient de reconnaître ce triptyque à tout Homme, même et surtout s’ils ne sont pas dans sa « nature » pour lui permettre de vivre pleinement son humanité dans sa qualité de citoyen. C’est ainsi que tout Homme confirmera bien son passage de l’état de nature à celui de culture, c’est-à-dire de son entrée dans la civilisation. En se situant en dehors de ces trois attributs, ce qui est aujourd’hui trop souvent le cas, un Etat, des citoyens, ne peuvent plus être parties contractantes du contrat, à la fois social et politique, qui est censé fonder toute République digne de ce nom.
Au-delà de la nécessaire application concrète de ces valeurs, insistons sur le fait que la République implique la souveraineté, à la fois de chaque citoyen et de l’Etat. Comment faire croire aux citoyens qu’ils sont souverains, dans un Etat qui est censé avoir la même qualité, quand une partie de plus en plus grandissante des normes juridiques leur est imposée de l’extérieur ? C’est bien le problème de l’Europe, telle qu’elle existe actuellement, qui est une autorité se décrétant comme de plus en plus supérieure à la République, à laquelle les citoyens n’ont quasiment aucune part. Il conviendrait donc soit de transférer l’ensemble des valeurs républicaines à cette Europe, soit de diminuer ses prérogatives. Force est de constater, au travers de sa pseudo constitution et de son fonctionnement, que c’est loin d’être le cas. Ceci est d’autant plus vrai, pour ce qui concerne la France, que les citoyens se sont clairement et majoritairement prononcés contre.
Ensuite, la République implique un Etat suffisamment fort et cohérent pour être l’expression de l’intérêt général. Ce qui ne veut pas dire un Etat autoritaire, mais, au contraire, un Etat d’autant plus fort qu’il est démocratique, c’est-à-dire égal pour tous, respectueux du droit, mais inflexible quand il s’agit de la faire respecter et appliquer. Ce n’est bien, comme nous le disions déjà, qu’en étant respectueux de tous les citoyens que l’Etat sera respectable et pourra exiger ce respect. Parce qu’il tire sa souveraineté des citoyens constituant le peuple, l’Etat républicain est le seul habilité à parler et à agir au nom de toutes et de tous.
Ne nous y trompons pas, notre Etat républicain n’est pas immortel et il n’a pas toujours été là de toute éternité, il nécessite donc une vigilance au quotidien quant à sa bonne santé. En effet, les exemples ne manquent pas, dans l’histoire de France, nous indiquant que la République a failli mourir. De 1815 à 1945, en passant par 1871 et 1918, nous avons bien vu que la République pouvait être assassinée, de l’intérieur comme de l’extérieur. Il a fallu l’extrême dévouement, parfois très chèrement payé, de quelques uns pour persévérer dans le fait de rendre habitable, pour les citoyens, un espace national, social et culturel maîtrisable. Oui, notre République est fragile et elle requiert beaucoup plus d’attentions que ce que nous lui en donnons actuellement.
Cette inquiétude n’est pas infondée. Effectivement, la République française est actuellement, plus que jamais, contestée, critiquée ou, plus insidieusement, sommée de se renier de différentes manières. Et cela même, parfois, par ceux là mêmes qui nous affirment à longueurs de mensonges qu’ils veulent la défendre. Le pire étant que ces mêmes personnes, sous couvert de correspondre au « sens de l’histoire », sous couvert de mondialisation, de lutte contre les « archaïsmes », nous présentent cette contestation de la République comme une fatalité contre laquelle nous ne pourrions rien. N’oublions jamais que l’avenir n’est pas écrit et qu’il sera ce que nous en ferons, ce que nous déciderons d’en faire. Ce discours de la fatalité inéluctable renvoie directement au tristement célèbre « TINA » (there is no alternative, se traduisant par : il n’y a pas d’autre alternative) que nous avait présenté, en son temps, Margaret Thatcher pour justifier l’ultra libéralisme économique. Nous voyons bien aujourd’hui où cela nous a mené et où cela continue à nous mener encore.

Actuellement, nous assistons bien au démantèlement de la puissance publique, au démembrement de la fonction publique et de la notion républicaine de service public égalitaire pour toutes et tous, à la mise en cause des valeurs et des principes républicains, notamment au travers des attaques quotidiennes que subit le principe de laïcité. Ces mises en cause sont sournoises car elles interviennent dans les profondeurs des relations économiques, sociales, culturelles et politiques. Qui plus est, comme nous l’avons écrit plus haut, elles sont mises en œuvre par beaucoup trop d’acteurs sociaux et autres politiciens menteurs qui nous affirment, dans un faux discours de façade, défendre ces mêmes valeurs républicaines. C’est sûrement là, en grande patrie, qu’il faut voir une des explications majeure à l’abstention toujours plus importante à chaque élection.
Nous sommes, par trop, dans un temps du tout évaluation uniquement en terme de valeur marchande, concernant l’éducation, l’instruction, les formations, l’école, la culture, la santé, la justice et même le bonheur. A la recherche du sens, à la quête des origines, de l’identité est opposé l’éclatement communautariste. Plutôt que de revaloriser un des socles essentiels de notre identité nationale française, à quoi assistons nous actuellement ? Au fait que même ceux qui, institutionnellement ou idéologiquement, ont en charge notre République (gouvernements successifs, corps de l’Etat, certains syndicats, certains partis de gauche ou de droite, certaines associations …) font de moins en moins barrage aux attaques dont elle est victime. Pire encore, eux-mêmes, pour certains, sont à l’origine de ces attaques. On n’est jamais aussi bien trahi que par les siens, la mode, la sottise et certains médias aidant.
Aujourd’hui, cette République, qui est en principe notre charte fondatrice, n’est plus très brillante dans les faits. Elle pourrait résister si ses principes étaient vraiment appliqués, si ses valeurs étaient mieux diffusées et enseignées. La République n’est rien si elle n’est pas peuplée de républicains. Mais, on ne naît pas républicain, on le devient, pour paraphraser Simone de Beauvoir, car personne n’est républicain par « l’opération du saint esprit ». La République doit être expliquée, défendue, démontrée et appliquée constamment et sans relâche car ses principes et ses valeurs ont une cohérence, une plénitude et une pertinence dont on trouve peu d’équivalents politiques. Alors, soignons la et guérissons la, toutes et tous, ensemble. Comme disait, en 1795, Donatien Alphonse François de Sade, militant révolutionnaire, « Français, encore un effort si vous voulez être républicains ».
Hervé BOYER
(1) Pour-une-Republique-respectable-et.html
(2) Accueil-et-integration.html