Vote, voile et religion au Canada

Suivant une nouvelle loi canadienne, les électeurs ont trois options pour prouver leur identité au moment de voter et ce n’est pas simple à régler. Ils peuvent présenter un document d’identité émis par le gouvernement incluant une photo, le nom et l’adresse – comme un permis de conduire. Ils peuvent encore présenter deux documents d’identité approuvés par le directeur général des élections, tous deux incluant le nom, l’un d’eux incluant l’adresse de l’électeur; aucune photo n’est requise. Ils peuvent aussi faire une déclaration sous serment et demander à un autre électeur porteur de documents d’identité acceptables, et dont le nom figure sur la liste électorale de la même section de vote, de se porter garant.
En septembre 2007 au cours d’élections partielles, cette loi suscita une polémique, à l’instigation de l’extrême droite, car elle autorise en fait une personne voilée à voter sans montrer son visage. Personne dans la communauté musulmane n’avait demandé un tel droit mais le principe de la loi le permettant, ce sont des Conservateurs, à l’origine de la loi, qui ensuite s’en firent les dénonciateurs.
Qu’allait-il se passer aux élections générales d’octobre 2008 que nous avons suivi en direct à Montréal ? Il n’y eut aucune polémique bien que la loi soit restée la même. Le Toronto Star du 30 septembre 2008 indiquait seulement qu’une directive du directeur général des élections, Marc Mayrand (c’est lui qui avait affirmé que le vote avec voile est légal) enjoint les directeurs de scrutin de demander aux électeurs dont le visage est couvert de se découvrir, ou de jurer qu’ils sont admissibles au vote, avant d’être autorisés à glisser leur bulletin dans l’urne. Un porte-parole d’Elections Canada (l’organisme officiel qui gère les élections et qui est dirigé par M. Mayrand) a affirmé au quotidien torontois que cette nouvelle position plus nuancée est autorisée en vertu de la Loi électorale du Canada qui n’est pas un manuel d’élections.
Un professeur de droit de l’Université d’Ottawa a déclaré qu’Elections Canada peut, à sa discrétion, adopter des procédures dont la loi ne fait pas spécifiquement mention. Mais selon Craig Forcese une autre personnalité, obliger des électeurs à se découvrir le visage équivaut à appliquer deux poids deux mesures, et pourrait constituer une discrimination religieuse.
Donc, ici, en dehors de toute polémique, revenons sur le fond de la question lâchée par le terme « discrimination religieuse ». On imagine facilement que le vote ou pas, d’une femme voilée, est sans conséquence quant au résultat final, aussi la question est ailleurs et se situe plus globalement du côté de ce qu’on appelle au Québec « les accommodements raisonnables ». Pour comprendre faisons un détour par une autre question : la place des cours de religion à l’école.
Au tournant de l’an 2000 le gouvernement du Québec a décidé de déconfessionnaliser les écoles. Auparavant le conseil des parents d’élèves décidait si l’école avait le catéchisme catholique pour les uns, ou la morale pour les autres. Le conseil des parents décidait donc de la dominante religieuse des écoles entre catholiques et protestantes. A la place de ce système, le gouvernement a décidé qu’il y aurait des cours de religion pour les uns, et la morale pour les autres (ceux sans religion). En conséquence l’extrême droite mène des actions pour demander que le choix religieux dépende des familles et non du gouvernement. Ce que j’étais prêt à approuver, si on ne m’avait pas expliqué que ce choix des familles en question, n’était pas un choix privé, mais un choix POUR l’école. En Espagne, le même renversement des valeurs existe où l’épiscopat s’appuie sur une lettre de Jaurès défendant l’utilité du catéchisme, pour demander que ce catéchisme s’enseigne à l’école et non en dehors de l’école !
Denis Watters répondant au Cardinal Ouellet dans le quotidien Le Devoir défend la nouvelle orientation adoptée par l’unanimité des élus politiques et conclut ainsi son article : « Le choix du Québec en matière de formation en éthique et en culture religieuse, constitue une voie prometteuse. Elle est d’ailleurs saluée par plusieurs experts dans le monde et par de nombreux croyants préoccupés par les questions concernant l’identité culturelle et le vivre-ensemble. Le Québec peut en être fier. Si le Cardinal ne partage pas ce choix, ses fonctions exigeraient toutefois – tout comme le font ses collègues – qu’il prenne du recul face à la réalité québécoise et qu’il fasse preuve d’un minimum d’objectivité. »
Quelles que soient les religions, comment, à l’école et dans la société, développer la laïcité ? Denis Watters rappelle que depuis 40 ans le Québec a connu cinq programmes confessionnels et que le nouveau est un pas en avant vers ce que certains appellent une laïcité ouverte. S’il y a polémique aujourd’hui autour de cette loi, c’est parce qu’aussi beau que soit ce programme nouveau, il est inapplicable en ses bases, et que les difficultés suscitées, vont alimenter les mécontents. Tout commence par cette question : quels enseignants vont avoir la capacité d’enseigner « six ou sept religions »au moment où la formation des enseignants du pays se réduit au minimum ? Et que le programme soit minutieusement mis au point, confirme que l’existence d’un tel cours de religion donne au religieux une fonction « politique » !
Or, le fondement de la laïcité c’est de renvoyer le religieux dans le domaine premier des croyances personnelles donc privées. Un tel programme permet ensuite à l’islam de revendiquer pour les femmes, l’absence de photo sur les papiers d’identité, revendication à laquelle a eu à répondre la province d’Alberta, avec des juges qui d’abord confirmèrent les plaignants dans leur demande, l’Etat revenant ensuite sur le jugement. Si la religion prétend au politique alors il peut y avoir « discrimination religieuse ». Inversement, si la religion est une affaire privée, alors existe socialement, le racisme, le sexisme etc. Le voile n’est plus, dans ce contexte, une question religieuse, mais une mise sous tutelle des femmes, obsession qui unifie toutes les religions. Quelle place font les cours d’éthique et de culture religieuse à la négation des droits des femmes présente dans toutes les religions ? Voilà sans doute un beau sujet d’études non pas dans les textes savants, mais dans les classes québécoises elles-mêmes.
En conséquence sur la question du vote et du voile, il est facile de trouver sur les blogs, des démocrates défenseurs du droit de vote avec hidjad, qui reprennent les arguments français des défenseurs de gauche du droit à porter le voile à l’école. Puisqu’il existe un vote par correspondance pourquoi ne pas admettre le droit de vote de la femme réduite à des yeux ? Des forces de gauche peuvent aller plus loin que les revendications islamistes car une fois encore le respect de la religion passe par le respect de son intervention politique ! Comme si l’histoire et l’histoire en particulier du Québec n’avait pas démontré la nocivité pour les droits humains de la domination catholique ! Mais l’islam, religion minoritaire dans ce pays devrait être considéré sous un autre angle….
Jean-Paul Damaggio

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