A Dunkerque, l'extrême droite flamande menace de mort le principal du collège "Lucie Aubrac"

Reconstruit à neuf, le collège « Michel de Swaen » de Dunkerque est devenu le « collège Lucie Aubrac », figure de la Résistance contre le Nazisme en France. Wido Triquet, premier secrétaire du “Mouvement flamand” basé à Dunkerque, refuse ce changement de nom.
« Le principal, lui, justifie le changement de nom de l’établissement qu’il dirige depuis septembre 2004. « Il a été démoli et reconstruit. Il accueille des élèves de trois quartiers qui ont été ou vont être rénovés. Le nom de Lucie Aubrac est le fruit d’une réflexion avec les enseignants, les parents, les élèves… Pour ma part, je ne l’avais pas proposé. Le conseil d’administration a proposé ce nom en juillet 2007, accepté par le conseil municipal en décembre. C’est à partir de là que la nouvelle a commencé à circuler sur les sites Internet d’extrême droite. » (1) .
Persistant à considérer le principal du collège responsable du changement de nom, l’ancien architecte Wido Triquet l’a menacé de mort. Agitation verbale d’un homme âgé de 69 ans ? Non, puisqu’il déclare : « je ne regrette pas mes propos (…) Peut-être étions-nous trop gentils, trop courtois. Maintenant, on montre les crocs. Ça marche puisqu’on nous écoute. »(1)

Incitation à l’assassinat d’un fonctionnaire de l’Etat français

C’est plus qu’une menace de mort. Dans un courrier du 12 décembre 2007 au principal du collège, W. Triquet se présente comme un résistant et un défenseur de la culture flamande : il exige que l’on préserve le souvenir de Michel de Swaen, poète et dramaturge flamand (1654-1707). L’histoire aurait pu n’être qu’une revendication culturelle mais, en incitant à l’assassinat du principal du collège, Wido Triquet invite à l’action armée. Dans sa deuxième lettre du 10 mai 2008, il propose de faire un exemple comme celui du préfet Erignac “grâce auquel Paris parle désormais de la Corse avec respect”.
En somme le secrétaire du “Mouvement flamand” invite à faire exécuter un fonctionnaire de l’Education nationale, donc de l’Etat français. C’est donc un acte politique. Qui rappelle l’esprit de la campagne de presse de l’extrême droite à l’été 1936 qui conduisit le maire de Lille et ministre de l’Intérieur du Front Populaire, Roger Salengro, à se suicider.
Cet appel au meurtre qui s’inscrit dans une stratégie de rupture et de séparation avec l’Etat-nation français, n’est pas l’acte d’un isolé épris de culture.

Michel de Swaen, un emblème de l’extrême droite

En effet, le 19 novembre 2007, le conseiller Bertrand Meurisse, classé extrême droite, avait déjà demandé au conseil municipal de Dunkerque de conserver le nom de Michel de Swaen, car « son œuvre est aujourd’hui au programme de tous les cours de littérature des écoliers néerlandophones, en Hollande comme en Flandre belge. »(2). Quid de la France ?
« En nous proposant, disait-il, de débaptiser le collège (…), la “communauté scolaire” ne nous propose rien d’autre que de tourner le dos à notre histoire. Et cela (…) nous ne pouvons l’accepter. Au moment où la question de l’identité flamande agite le plat pays, cette décision serait de surcroît mal perçue par la communauté flamande, de quelque côté de la frontière qu’elle se trouve d’ailleurs. »(2)
Le discours de B. Meurisse porte en germe le séparatisme. C’est bien pourquoi il a été et est toujours repris sur le site de la Fédération Identitaire, mouvement d’extrême droite qui prêche la haine de la « République française car jacobine » et prône l’Europe des régions, bien que négociant actuellement un rapprochement avec Marine Le Pen.
Bertrand Meurisse a été élu, depuis 2001, sur la liste de Philippe Eymery qui est encore présentée à la date du 8 juin 2008 comme liste MNR sur le site Internet de Bruno Mégret (3). Il figurait sur la même liste aux dernières municipales. Or quand on va sur le blog de Philippe Eymery (4), le lien « Avenir flamand » renvoie en Belgique sur le site Internet du parti flamand « Vlaams Belang », l’ex-« Vlaams Block ».(4)
Ce lien Internet montre que « L’avenir dunkerquois », le “Mouvement flamand” de Wido Triquet participent sur un plan politique à cette nébuleuse complexe qui oeuvre en France et en Belgique à la réunification de la Flandre de France et de la Flandre de Belgique, c’est à dire à la reconstitution des Pays-Bas du Sud, l’ancienne province très catholique d’Espagne née à la fin du XVIe siècle, sous Philippe II d’Espagne, du fait de l’indépendance des Pays-Bas du Nord protestants. D’aucuns fantasment même sur une nouvelle nation néerlandaise allant de Lille-Cassel-Bergue-Dunkerque à la Hollande, Flandre belge incluse. Ce sont les anciens Pays-Bas de Charles Quint, Empereur d’Allemagne et roi d’Espagne et de Sicile aux environs de 1516-1556 !
Ces mouvements politiques, entourés d’une nébuleuse d’associations culturelles sans rapport immédiat avec le politique, refusent le fait que la Flandre maritime et Dunkerque soient français depuis 1662, sous Louis XIV (5). Et ils ont choisi cette emblématique de Michel de Swaen plutôt que l’autre figure contemporaine de Dunkerque : Jean Bart, le corsaire du roi de France. Ces deux figures traduisent des futurs divergents pour ce territoire de la République Française, « une et indivisible ».

L’Eglise catholique et le mouvement flamand

Ce projet séparatiste flamand a été le combat de l’Eglise catholique au XIXe et jusqu’avant 1940. « En France comme en Belgique, le mouvement flamingant a d’abord été le fait de l’Eglise catholique, les curés flamands tenant à défendre l’identité ethnique et religieuse de leurs fidèles contre la République francophone et athée » (6). Ce mouvement catholique flamand a été terni, pendant la 2ème guerre mondiale, par l’attitude pronazie d’un de ses promoteurs du mouvement flamand, l’Abbé Jean-Marie Gantois (6), comme ce fut aussi le cas pour les mouvement séparatistes bretons.
Ces brefs rappels montrent que s’indigner contre l’appel au meurtre du principal du collège est totalement insuffisant.

S’indigner… ou défendre la République française laïque, féministe et sociale ?

En somme, l’appropriation de « Michel de Swaen » par l’extrême droite comme emblème de la construction d’un nouvel Etat-nation flamand, conduisant à l’amputation du territoire de la République française et à la remise en cause de la République laïque française, ne pouvait que conduire la municipalité de Michel Delbarre à voter la proposition du Conseil d’Administration d’appeler le collège Lucie Aubrac. Par cet acte politique républicain et de gauche la majorité municipale de Dunkerque a affirmé son attachement à l’Etat-nation français que signifie aussi la Résistante Lucie Aubrac. L’UMP locale s’est abstenue : cela en dit long sur sa complicité avec l’extrême droite !
Les Dunkerquois ont approuvé le choix de Lucie Aubrac puisqu’ils ont réélu la municipalité de Michel Delbarre au 1er tour à 57,8% et avec seulement une abstention de 38%. La liste de l’extrême droite de Philippe Eymery n’a obtenu que 11%, soit 3881 voix, ce qui prouve le faible impact de son discours en faveur l’ethnicité flamande. Il est vrai que vers 1990 les enquêtes estimaient que seuls 5% de la population de la Flandre française utilisaient le flamand quotidiennement ; « quant à la jeune génération, cette dernière a recours au français dans une proportion de 99%, du flamand 1%, et des deux langues 8%. »(7)
Si les républicains, et de gauche et des syndicats en particulier, ont à réfléchir sur la façon de prendre en compte la dimension culturelle flamande au sein de la République laïque française, ils doivent bien mesurer ce qu’ils font en ouvrant la boîte de Pandore du communautarisme ethnique, si pas religieux. Le récent vote des députés (Droites-Gauches) pour inscrire les langues régionales au même titre que le français dans la constitution française et, ce, à l’initiative du Gouvernement Sarkozy- Fillon, s’inscrit dans la logique de Bruxelles de casser la République laïque française, base et cadre des acquis sociaux des salariés et des femmes obtenus à la Libération avec le programme du Conseil National de la Résistance(Sécurité sociale, retraites, Enseignement public laïque gratuit, etc.) que Lucie Aubrac symbolise. Tout est lié !
Ces brefs rappels permettent de comprendre que le nom de Lucie Aubrac pour le collège de Dunkerque est l’emblème de ce combat pour la « République française laïque, féministe et sociale », mais aussi la cause de la haine de ses adversaires et de l’appel à l’assassinat d’un fonctionnaire républicain par un Wido Triquet. Seulement porter plainte contre Wido Triquet est totalement insuffisant. Ce n’est pas une affaire qui relève du Civil ; l’annulation du mariage à Lille pour non-virginité de l’épouse non plus ! Ce sont des enjeux graves de société.
Pierre Baracca
(1). La Voix du Nord, 5 juin 2008, p 4.
(2) Discours de Bertrand Meurisse, site des « Elus identitaires, réseau des élus locaux identitaires et régionalistes »,
http://www.elus-identitaires.com/archive/2007/11/20/michel-de-swaen-une-fierte-dunkerquoise.html
(3). Cf.le site du MNR, au 8 juin 2008 :
http://www.m-n-r.net/dyn_downloads/chene13.pdf
(4). blog de Philippe Eymery, Défi dunkerquois, 8 juin 2008.
http://defidunkerquois.hautetfort.com/
(5). Site officiel de la ville de Dunkerque, rubrique « Histoire ».
(6). Emmanuel Le Roy Ladurie et Marie-Jeanne Tits-Dieuaide, Minorités (histoire des) Encyclopaedia Universalis, Corpus 12, 1985, p 332.
7). Le flamand en France, Research Centre of Multilingualism,
http://www.uoc.es/euromosaic/web/document/neerlandes/fr/i1/i1.html

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