A propos du dernier Olaf : la laïcité mère porteuse de l’islam ?

Voici le second ouvrage d’OLAF (Odon Lafontaine), cette fois-ci accompagné du Père Viot, ancien pasteur et ancien franc-maçon, converti au catholicisme.

Son premier ouvrage consacré au grand secret de l’Islam était une synthèse de la thèse du Père Gallez sur l’origine judéo-nazaréenne de l’Islam, et avait rencontré un beau succès sur la Toile.

Le titre et la couverture sont assez provocateurs. Sainte Geneviève reconvertie en Panthéon, derrière laquelle se profilent les minarets de Sainte Sophie dont deux sont déjà achevés, les deux autres à l’état d’ébauche… La laïcité serait peut-être la mère porteuse de l’Islam (titre de l’ouvrage).

La thèse du livre qu’on trouve page 24 et en couverture va très loin. L’Occident aurait les yeux de Chimène pour l’Islam, il y aurait entre eux une dialectique ami-ennemi mais la laïcité occidentale et l’islam se rejoindraient dans la persécution anti-chrétienne qui aboutirait alors à la disparition de l’Occident lui-même. Et il y aurait des affinités ente la Laïcité et l’Islam.

J’ai beaucoup aimé ce livre car il apprendra bien des choses à ses lecteurs non-initiés à la matière, il est bien écrit et rempli de références et il doit donner à réfléchir. Les auteurs sont chrétiens, je ne le suis pas, d’où des différences inévitables d’appréhension notamment de l’histoire.

Si j’en partage la conclusion, le risque de dissolution de l’Occident faute de repères, je ne partage pas ce qui est censé démontrer la thèse de départ. Les arguments me paraissent en effet discutables.
Je crois que les auteurs ne sont pas assez précis sur le type de laïcité à qui ils attribuent une affinité avec l’Islam. Ce concept au sens chrétien et surtout non chrétien du terme est particulièrement puissant en France. Mais justement il ne faut pas confondre laïcité au sens premier du terme et laïcisme au sens du 20ème siècle. Je pense que c’est ce dernier que les auteurs ont en ligne de mire.

La préface (de Rémi Brague, membre de l’Institut), son introduction et son préambule sont là pour poser les notions de base utiles et ébaucher la thèse.

Il est à juste titre rappelé que la séparation du temporel et du spirituel est inconnue de l’Islam (page 22), que les deux n’ont jamais cherché à se détruire (page 28) et que la laïcité est d’abord d’essence chrétienne (page 25).
La première partie se nomme « Le saccage de la laïcité ». Les auteurs rappellent fort justement que la laïcité est un concept chrétien et que le gallicanisme instauré par Philippe le Bel arriva à un juste équilibre entre la laïcité de l’État et la pratique de la foi chrétienne. Or cet équilibre est aujourd’hui rompu quand il s’agit de la foi musulmane qui est en mesure de nous envahir totalement. Les auteurs auraient dû insister davantage. C’est dommage.
Ensuite vient l’examen des fondements des Lumières. Avec cinq coups de canon vers les ennemis vrais ou supposés du christianisme.
Un coup tout d’abord pour les jansénistes.
Un coup pour les penseurs libéraux anglais.
Un grand coup sur Voltaire. Je vais m’arrêter sur celui-ci.

Il me semble que les auteurs font une erreur de perspective. Sans doute parce qu’ils ne connaissent pas tous les écrits de Voltaire sur la religion. Oui Voltaire est antisémite au sens où les juifs (ou plutôt hébreux) sont le peuple fondateur du monothéisme révélé et qu’il n’admettait pas la révélation. Il est donc antisémite dans ce sens-là. N’admettant pas la révélation, il devait s’en prendre inévitablement aussi à la religion dérivée du judaïsme. Mais Voltaire était un théiste, il suffit de lire « La profession de Foi des Théistes ». Non, contrairement à ce qu’écrivent les auteurs, Voltaire n’était pas un sectateur de Mahomet, il existe d’autres passages dans lesquelles il se paie la tête des musulmans tel l’échange entre un musulman et un allemand sur la polygamie dans l’article « Femme » rédigé pour l’Encyclopédie.

A la page 55, les auteurs ne citent pas intégralement Voltaire. Je vais compléter les premiers crochets. « Croire en un seul Dieu tout-puissant, était le seul dogme ; et si on n’y avait pas ajouté que Mahomet est son prophète, c’eut été une religion aussi pure, aussi belle que celle des lettrés chinois » (Complete Works of Voltaire Taylor Institution Oxford Volume 62 page 338). Comme quoi Voltaire se payait aussi la tête du Prophète.

Le quatrième coup de canon est pour Rousseau. Certes Rousseau, adepte sans contestation possible d’une religion naturelle, est plus fasciné par l’Islam que Voltaire (ce qui est un paradoxe quand on sait ce qu’a de peu naturel l’Islam !!!). Mais il faut replacer cela dans une mode orientaliste à laquelle Montesquieu aussi a cédé.
Le dernier coup est pour les Lumières économiques. D’un événement, la « Guerre des Farines », les auteurs font une généralité quant à la nocivité du libéralisme naissant. Mais c’est sans rapport avec la laïcité.

La troisième sous partie qui fait trente pages (91-121) va traiter de la mort programmée du christianisme. Ces passages me laissent sur ma faim. Y a-t-il eu programme ? Et qui tirait les ficelles ?  Je suis étonné que les auteurs n’aient pas fait référence à l’ouvrage fondamental que fut celui de Paul Hazard écrit en 1935 sur la Crise de la conscience européenne. Cette évolution en forme de rupture a son germe dans la fin du 17ème siècle. Je crois que rien n’est éternel.

La seconde partie est consacrée à l’Islam des Lumières. On aura bien compris qu’il ne s’agit pas des Lumières de l’Islam ce qui serait une contre-vérité.

Après un rapide aperçu géopolitique sur l’Islam du temps des Lumières (qui n’a rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui), les auteurs vont à la source de l’Islam.

Pour en arriver très vite à la conclusion que l’Islam se définit comme un sens de l’Histoire (page 135) et que « la proximité de l’Islam avec le schéma général des Lumières apparaît ainsi de façon flagrante » (pages 141,184 et fin 259), Je ne suis pas d’accord. La comparaison est très forcée. Ou alors on pourrait la faire avec toute idéologie, religieuse ou non. Ce qui est vrai d’une religion l’est aussi d’un système politique totalitaire : il y a toujours Soi et l’Autre, le Bien et le Mal, l’avant et l’après, les purs et les impurs, les croyants et les incroyants …etc. Et ce qui est dit pages 142 et 143 sur les rapports avec l’argent et sur l’éthique morale dans les échanges est applicable mutatis mutandis à d’autres communautés. Je précise que le passage du Coran II-223 cité en note 184 autorise la sodomie : c’est l’explicitation de « venez à votre champ de labour comme vous voulez » Pourquoi cette précision ? Pour rappeler aux auteurs que le Coran, comme le Talmud, valent bien Voltaire !!!

Je partage en tous points la vision des auteurs exposée pages 153 et 154 sur l’origine de l’Islam.
Les auteurs étudient ensuite la venue de l’Occident en Islam. Puis les soumissions de l’Islam et ses réactions. Ce passage est très intéressant ; Il nous montre comment les musulmans cultivés ont réagi à l’irruption de l’Occident qui n’avait plus rien à voir avec celle des croisés. On y rencontre deux musulmans francs-maçons Al Afghani et Abduh qui seront les « lumières » de la progressiste Nahda. Puis de longs passages sont consacrés au fondamentalisme des Frères Musulmans et des wahhabites. Pour les raisons que j’ai exposées déjà ci-dessus, je ne partage pas le parallèle entre la trajectoire empruntée par l’Europe des Lumières et l’évolution de l’Islam : une crise de l’espérance collective (page 200). Les auteurs parlent d’un « projet politique intégral ». Mais ce projet est déjà dans le Coran !!! Donc les Frères musulmans comparés à un Rousseau, c’est un peu forcé. Pour ma part je verrais plutôt comme le disent les auteurs, un retour aux sources comme le prétendait la Réforme en Occident devant les turpitudes du clergé. En effet les souverains musulmans en titre étaient largement corrompus et cela ne pouvait qu’appeler un fondamentalisme. Les auteurs iraient plutôt dans mon sens lorsqu’il est question page 205 d’une exécration du siècle des Lumières. Et n’oublions pas que c’est cet Islam-là qui est au pouvoir aujourd’hui (la Turquie en prend le chemin) même si comme il est dit très justement, l’Islam échoue toujours dans sa quête du Bien absolu.

La troisième partie porte le titre du livre.
La première sous-partie traite de l’Islam dans le jeu mondial. C’est l’occasion pour moi d’apporter une précision sur la note de la page 305. C’est une mise au point plus que salutaire sur la participation de juifs apostats au massacre des Arméniens. Ce fantasme qui parcourt depuis quelques années l’extrême droite intellectuelle ne repose sur rien.

Par ailleurs le parallèle Vendée-Arménie me dérange quelque peu. Toutes les méthodes d’extermination seront toujours les mêmes. Mais il n’y a aucune mesure entre les deux.

Les développements de la page 223 nous montrent bien que les auteurs ont du mal à démontrer le parallélisme entre la laïcité à la française et la laïcité « à la turque ». Dans le premier cas on chasse l’Église, dans le second on contrôle et on s’appuie sur la religion. Ce sont deux techniques qui n’ont rien de commun.

La seconde sous partie traite de l’Islam en Occident. Combien les passages de la page 252 sont-ils justes !!! C’est là-dessus que les auteurs auraient dû davantage insister, ça valait plus que quelques pages. Si l’Islam pose problème, nous sommes aussi notre propre problème avec notre droit-de-l’hommisme et notre tolérance de pacotille.
Ne l’ayant pas fait, ils se trompent donc dans leur conclusion, notamment en page 266. En appeler aux Juifs pour lutter contre le messianisme musulman c’est ignorer totalement que pour eux le peuple juif est son propre Messie. Ce n’est pas moi, ce sont eux qui l’écrivent. Je crois que seuls les chrétiens ont changé, au grand dam des auteurs !!! La riposte laïque est la seule solution, au besoin en rappelant le concept développé par Saint Thomas sur le temporel et le spirituel. Mais pas en ayant recours au laïcisme qui au nom de la tolérance, tolère l’intolérable.

Le boboïsme et le droit de droit-de-l’hommisme tiennent aujourd’hui lieu de valeurs, accompagnés de leur naïveté confondante. Je crois qu’un Voltaire contemporain fourbissant les mêmes armes que lorsqu’il écorniflait les rabbins et les curés serait utile. Mais quand on voit comment sont morts des journalistes en 2015, on sait que la route est longue…

Patrick Leprince