Affaire Sarah Halimi, la misère de l’expertise psychiatrique française

Jean-Yves Nau a publié dans la presse nationale un article polémique intitulé : “Affaire Moitoiret : des experts psychiatres au banc des accusés”. Il écrit sans la moindre réserve : “Un grand malade mental vient dêtre condamné à la réclusion criminelle par deux cours dassises. Le Pr Jean-Pierre Olié, un grand nom de la psychiatrie française, dénonce l’incompétence de certains de ses confrères. Et il accuse le ministère de la Justice de ne rien faire pour remédier aux insuffisances criantes de l’expertise psychiatrique“.

Comment peut-on savoir si le psychiatre Olié est un grand nom de la psychiatrie française ? En ce qui concerne la valeur de la fausse monnaie médiatique, Friedrich Nietzsche a écrit en 1887 : “Quand on sait comment naît la gloire, on en arrive à se méfier même de la gloire dont jouit la vertu.” On peut se demander justement, en conséquence, pour les multiples bénéficiaires de la Légion d’Honneur : “En quel honneur ?”

L’article compassionnel de Jean-Yves Nau parle de la souffrance psychique du psychiatre Olié :

Expert près la Cour de cassation, membre de l‘Académie de médecine et psychiatre à l‘hôpital Sainte-Anne, le Pr Jean-Pierre Olié… est l‘une des voix qui compte dans sa spécialité. Il confie être profondément meurtri” par le comportement, les faits et les dires de certains de ses confrères commis dans cette affaire. C‘est ce qui l’a poussé à s‘exprimer publiquement en des termes violents sur une affaire qui vient d‘être jugée, situation rarissime dans le milieu de la psychiatrie judiciaire, en estimant en substance que cette affaire signe définitivement la faillite de l‘expertise psychiatrique françaisePour le Pr Olié, le cas Moitoiretsigne la faillite de l’expertise psychiatrique” dans la mesure où elle est “incapable d’expliquer simplement à un jury d’assises que, même criminel, un malade mental grave doit être soigné“, rapporte Jean-Yves Nau.

Jean-Yves Nau poursuit : “Le psychiatre Olié va plus loin : “Le cas Moitoiret entrera dans l’histoire des régressions dont témoigne notre société en crise. Une société aux prises avec de graves tensions économiques et sociales, plus encline à tomber dans la facilité de la vengeance qu’à reprendre à son compte les valeurs humanistes qui, dès le début du XIX ème siècle, délivrèrent les aliénés de leurs chaînes.

Je ne crois pas que l’article compassionnel de Jean-Yves Nau, pas plus que la critique plaintive de l’être “profondément meurtri” du psychiatre Olié, n’entreront dans l’histoire de l’expertise psychiatrique !

Malgré cela, ce professeur expert en valeurs humanistes veut prêcher pour sa paroisse : On ne peut pas accepter que des experts qui ne savent plus ce que veut dire formation continue portent des diagnostics dont eux seuls connaissent la signification. Il faut reformuler la liste des questions qui sont posées par les juges aux experts. Il faut impérativement que nous puissions nous prononcer sur les traitements que létat de santé des personnes accusées réclame et réclamera.” En réalité, il s’agit d’abord d’une question de pouvoir médical parmi les plus médiocres. C’est ce qui permet au psychiatre Olié très compatissant de se plaindre à nouveau : La justice veut garder le pouvoir sur la nomination des experts psychiatres. On peut le comprendre. Mais on ne peut pas accepter que ce pouvoir ne soit pas éclairé par une évaluation des compétences.” Et qui va se proposer pour évaluer ces compétences en valeurs humanistes compatissantes ?

Le psychiatre Olié, n’en doutons pas ! La psychiatrie asilaire, héritière des valeurs humanistes et charitables du début du XIX ème siècle dont s’inspire le psychiatre de l’hôpital Sainte-Anne n’a pas le monopole de la formation continue ni la moindre compétence reconnue en tant que professeur soi-disant expert en valeurs humanistes. Le psychiatre Olié très compatissant confond le pouvoir médical du psychiatre de l’hôpital Sainte-Anne, et le pouvoir des juges d’apprécier librement le cas concret soumis à leur décision.

Friedrich Engels a publié en 1878 son ouvrage célèbre : “M. E. Dühring bouleverse la science“. On pouvait lire dans sa préface un propos qui nous éclaire sur l’attitude accusatrice du psychiatre Olié quand il “dénonce l’incompétence de certains de ses confrères et accuse le ministère de la Justice” :

Le travail qui suit n’est nullement le fruit de quelque “impulsion intérieure”. Lorsque, il y a trois ans, M. Dühring lança un défi à son siècle en qualité d’adepte et en même temps de réformateur du socialisme, des amis insistèrent auprès de moi pour que je fasse… l’examen critique de cette nouvelle théorie socialiste. Ils pensaient que c’était nécessaire si l’on ne voulait pas… donner à l’esprit de secte de nouvelles occasions de division et de confusion“. Le psychiatre Olié n’aurait rien à envier au fameux Dühring, vu par Engels !

Si on se réfère aux valeurs humanistes du psychiatre Olié comme à la “bonne volonté de M. Dühring, celle d’accepter également sa doctrine par-dessus le marché et les yeux fermés”, les experts n’ont pas fini de persévérer dans l’ignorance et dans les erreurs humanistes faussement scientifiques de la psychiatrie asilaire. Karl Marx a écrit son ouvrage intitulé Misère de la philosophie, en réponse à la Philosophie de la misère de Proudhon. Ce qu’on va lire peut inspirer les lecteurs pour comprendre l’attitude humaniste du psychiatre Olié : “M. Proudhon a le malheur d’être singulièrement méconnu en Europe. En France, il a le droit d’être mauvais économiste, parce qu’il passe pour être bon philosophe allemand. En Allemagne, il a le droit d’être mauvais philosophe, parce qu’il passe pour être économiste français des plus forts. Nous, en notre qualité d’Allemand et d’économiste à la fois, nous avons voulu protester contre cette double erreur“. Bruxelles, le 15 juin 1847.

La “méthodologie clinique” critique les résultats des expertises en psychiatrie. Il s’agit d’évaluer les qualités et les défauts méthodologiques des expertises psychiatriques. En appliquant l’analyse critique à ces expertises, on met souvent en évidence des exemples nombreux de violation des règles logiques qui sont le propre de la “méthodologie clinique”. C’est pourquoi, la réflexion de la psychiatrie critique considère que ces expertises sont des problèmes et non pas des solutions. Dans bien des expertises psychiatriques, des experts, en quête d’un statut “scientifique”, n’accordent pas une grande importance à ce qu’ils écrivent.

Quand le résultat est reconnu pour ce qu’il est, le vide absolu, on interprète ce néant comme la nécessité de plus de rigueur “scientifique”. Pour beaucoup de psychiatres, se donner un air de scientificité se limite aux procédés à la mode dans l’environnement médiatique et culturel immédiat. Par contre, ceux des psychiatres experts judiciaires qui insistent sur l’importance de la méthodologie dans les sciences humaines en psychiatrie mettent en avant l’usage de l’esprit critique dans un domaine où les préjugés psychiatriques risquent de l’emporter sur la démonstration, sur la logique et sur la preuve “scientifique” de ce qu’on avance.

On sait que la psychiatrie occupe, dans le champ des sciences humaines et des sciences sociales, une place à part, une sorte de discipline résiduelle, dont le domaine est défini à partir de la place laissée vacante par d’autres disciplines médicales, comme la neurologie, dont la fondation logique paraît plus solide.

En évitant la controverse, l’analyse critique porte sur l’inadéquation logique des conclusions des rapports d’expertise par rapport aux faits. La critique raisonnée des rapports d’expertise est indispensable au progrès de la connaissance. Les connaissances les plus fines ne valent rien si l’analyse est mauvaise.

Ainsi, on comprend que, pour le psychiatre humaniste compatissant, le mensonge, le vol, la violence, l’agressivité ou le crime seraient des symptômes psychiatriques et pas des comportements “normaux”.

La faiblesse du raisonnement repose ici manifestement sur “l’ignorance” du contexte, des intentions et des circonstances qui conduisent “au crime”, qui ne seraient “manifestes” que dans leur conséquences.

C’est pourquoi “un crime” est comparé abusivement à un autre crime, lui-même considéré, on ne sait “ni pourquoi ni comment”, comme “un crime” du même ordre. Dans la suite logique, le psychiatre n’hésite pas à proposer sa théorie personnelle. L’explication par l’existence d’une “bouffée délirante aigüe” implique que ce trouble supposé ne renvoie pas à une pathologie mentale préexistante, laquelle serait restée discrète, latente, passée inaperçue et donc totalement inconnue, même pas une zone de soi-disant fragilité propre à soutenir l’émergence d’une instabilité psychique, c’est-à-dire très banale chez la plupart des délinquants habituels.

Il est difficile de distinguer la cause et l’effet, compte tenu des liens subtils qui uniraient “un crime” à la “consommation préexistante” de cannabis. Dès le moment où l’intention criminelle a pris forme, le passage à l’acte criminel rend “illusoire” toute tentative d’affirmation d’une composante psychiatrique dans le temps de l’action, là où aucun psychiatre n’a pu réaliser la moindre observation et doit se limiter à une reconstruction.

Ainsi, le parti pris d’un état pathologique psychiatrique est envisagé comme la réponse à un passage à l’acte criminel clairement objectivé. Dès lors, on en arrive à la notion de l’existence d’une “bouffée délirante aigüe” en l’absence de tout antécédent d’un état pathologique. De là, la fondation “éthique” de la psychiatrie : Comment introduire la notion de “troubles pathologiques” pour des manifestations criminelles normales ?

En résumé : on comprend que l’expertise psychiatrique propose aux juges de se réfugier, en toute logique, derrière une espèce de théorie de la “bouffée délirante aigüe” par “précaution”, ce qui devient le seul “fondement moral” intentionnel du passage à l’acte criminel dans la vie des victimes et des familles.

La justification serait que le criminel le plus normal présente de tels passages à l’acte pathologiques et anormaux par l’effet d’une “bouffée délirante aigüe” dont personne ne sait rien, mais qui peuvent pourtant se manifester par l’évolution spontanée du comportement sous l’effet du cannabis. Le fait que ce passage à l’acte criminel renvoie à l’actualité ne doit pas faire négliger l’examen critique des rapports d’expertise.

Et la psychiatrie d’imaginer que le fonctionnement “normal” du comportement “criminel” serait affecté par l’existence supposée d’une “bouffée délirante aigüe” non observée dont personne ne sait rien, car l’auteur des faits est déclaré mentalement sain au moment des différentes expertises psychiatriques.

En résumé : on comprend que le criminel le plus “normal” serait, en réalité, un “malade qui s’ignore”. Le justement célèbre “Docteur Knock”, de Jules Romains, n’aurait certainement pas dit mieux ! Et il y a de quoi conclure en reconnaissant les “incertitudes de la clinique” des expertises psychiatriques. Naturellement, l’appréciation des critères d’une “bouffée délirante aigüe” sous l’effet de la “consommation préexistante” de cannabis est difficile à fixer. En résumé : on peut comprendre que le cadre théorique constitutif d’une “bouffée délirante aigüe” sous l’effet du cannabis, dont personne ne sait rien, pour justifier le passage à l’acte criminel, est susceptible d’être reconnu pour justifier simplement l’absence de procès pénal politiquement mal venu.

Pour conclure : “La psychiatrie judiciaire signe définitivement la faillite de l‘expertise psychiatrique française“. C’est bien ce que le psychiatre Olié a dit publiquement à propos du cas Moitoiret !

Thierry Michaud-Nérard

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7 Commentaires

  1. Merci pour cet article ( et les précédents ) , ce travail d’information que vous nous donnez dont le point de départ est le meurtre de Mme Halimi , fait extrèmement douloureux pour tout le monde . Oui c’est un peu difficile de parler humanisme et compassion dans cette affaire là , plus que dans d’autres, quand nous avons une composante de religion et de “djihadisme ” , que les experts psychiatriques ne connaissent pas ( comme d’ailleurs peu de gens, même la police ) .
    Sans parler de cette affaire , j’ai vu une émission il y a 4-5 ans sur l’emprisonnement de personnes qui avaient commis quelques exactions , je ne sais plus lesquelles, avec l’interview d’un magistrat qui voulait démontrer que ces personnes sont avant tout des malades et ne peuvent se retrouver dans un milieu carcéral !

  2. Le crime a pour cause la folie ? Les théories du docteur Lombroso refont surface.

  3. Encore un excellent réquisitoire contre des “auxiliaires” de la justice, cette justice qui rend fou les honnêtes citoyens, mais qui innocente les assassins pris sur le fait, le couteau encore dégoulinant du sang de leurs victimes, pour l’irraison folle qu’ils “agissent sous l’emprise d’un délire religieux”.
    Rideau! Fin de la comédie de “l’état de droit”!.

  4. de base, par construction, la psychiatrie est une imposture intellectuelle.

  5. La Pr Olié est mauvais et sainte-Anne où j’ai eu le plaisir de travailler dans les années 1970 en tant qu’interne m’afflige par son niveau d’ incompétence un de mes patient anxieux à composante obsessionnelle à été diagnostiqué par une femme psychiatre dont je tairais le nom par charité chrétienne de schizophrène et j’ai dû la menacer d’une plainte au conseil de l’ordre pour qu’elle fasse sortir mon patient
    De plus elle a eu peur quand j’ai parlé d’une demande d’expertise
    Voilà où en est la psychiatrie française
    Bravo alors qu’elle était la meilleure du monde avec la psychiatrie allemande

    • Malgré les menaces des “féministes” communautaires, la féminisation de diverses professions, comme la magistrature partisane, l’exécutif ministériel à la ramasse communautariste, l’école primaire à la dérive, les médecines marginales si peu scientifiques, comme la psychiatrie… cette féminisation n’est-elle pas une raison de ces dérives?
      Moins de testostérone, donc moins d’agressivité et plus de “compassion” mal employée, ça n’excuse pas ce laxisme et ces dérapages irresponsables, mais cela peut l’expliquer, non?

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