Agitation médiatique sur le Tibet : une diversion pour mieux masquer l'Irak ?

Cinq ans après le déclenchement de la guerre en Irak, le 20 mars 2003, les médias sérieux étaient prêts dans le monde entier à diffuser des émissions sur cette guerre qui n’en finit pas et qui n’est pas prête de finir contrairement aux déclarations guerrières de George Bush.
L’Irak, héritier des civilisations de la Mésopotamie, est désormais un pays détruit profondément non seulement économiquement mais socialement. Dans ce pays où les femmes pouvaient circuler assez librement pour un pays arabo musulman, aller à l’école et à l’université, travailler, la puissance américaine a détruit au nom d’une pseudo liberté et d’une soit disante démocratie et pour de nombreuses années toutes les structures politiques et sociales.
Bagdad est ravagée, les troupes d’occupation sont incapables de contrôler le territoire, les crimes les plus barbares sont commis jour et nuit, les estimations les plus basses font état depuis le début de la guerre de 85 000 victimes mais il est très vraisemblable qu’elles sont au moins le triple, certains parlent même d’un million de victimes, sans compter les 4000 soldats de la coalition.
Face au désastre de cette intervention, les forces d’occupation cherchent à s’appuyer à nouveau sur les cadres sunnites formés par Saddam Hussein, seuls capables de restaurer un minimum de structures étatiques et d’essayer d’éviter l’enfoncement de la société dans des rivalités de clans ethniques dont la population civile a fait massivement et douloureusement les frais. Les plus aisés ont pu s’enfuir mais les plus pauvres continuent d’essayer de survivre entre les attentats quotidiens (40 morts hier un dimanche banal de mars).
Sans électricité, sans eau, sans école …L’insécurité est telle que le gouvernement n’arrive même pas à dépenser les fonds provenant du pétrole.
Or, devant ce bilan désastreux, partagé même aux Etats Unis, une diversion est venue fort opportunément agiter l’opinion bien pensante des droits de l’hommisme.
Quelques manifestations violentes au Tibet, réprimées par la Chine et toute la machine politico-médiatique de la bien pensance s’emballe, s’agite, BHL en tête.
On s’indigne, on appelle au boycott des jeux olympiques, Royal, Moscovici interpellent Sarkozy (ne serait-ce pas un peu de sa faute d’ailleurs ?), il doit boycotter les jeux olympiques et recevoir le Dalaï Lama. Cela mérite tout de même quelques réflexions.

Le Tibet était une théocratie ou les prêtes exploitaient la population qui les nourrissait. Cette société archaïque telle qu’elle était ne mérite certainement pas le soutien du camp laïc. Certes, les Chinois ont occupé le Tibet mais ils ont toujours considéré, depuis le XIIe siècle, à tort ou à raison, que cette région faisait partie de l’Empire chinois.
Le gouvernement chinois comme tout Etat centralisé a imposé ses lois, a construit des écoles et donné l’égalité des droits aux femmes. Mais, il n’a par exemple imposé l’enfant unique comme dans le reste de la Chine. Certes, il y reste beaucoup à faire pour que s’exercent les libertés démocratiques, comme en Chine, d’ailleurs. En revanche l’égalité sociale, l’égalité hommes femmes, l’accès à la scolarité et à la santé ont sans doute progressé. Même la liberté religieuse, me disent ceux qui reviennent de Chine, a progressé en Chine et l’on voit de très nombreux moines bouddhistes dans tous les temples.
Dans son ouvrage « Continuer l’histoire », Hubert Védrine ancien ministre des affaires étrangères de François Mitterrand se demande au nom de quoi voudrait-on imposer au monde entier la conception occidentale de la démocratie? Dans un pays comme la Chine, d’un milliard d’habitants, les problèmes ne se posent-ils pas différemment ? Car, est-on bien certain de ce qui se cache derrière les revendications faites au nom de la démocratie?
En 1983, Ronald Reagan décide de créer et d’apporter son soutien au National endowment for Democracy. « Le NED » ne cache ni ses intentions, ni ses valeurs, ni ses soutiens. Il s’appuie sur les trois grandes institutions qui ont contribué à sa naissance ; le département d’Etat, l’UIA (United States Information Agency) et l’AID (Agence internationale pour le développement), qui fournit les fonds.]…[Ces derniers sont destinés à promouvoir la politique étrangère et militaire des Etats Unis, à défendre les valeurs de la démocratie américaine et du libre marché (1). Ainsi, vont être financés nombre d’ONG par l’intermédiaire de fondations afin de défendre au nom de la démocratie les intérêts américains. C’est ainsi que la fondation Georges Soros et bien d’autres ont allègrement financé les révolutions au nom de fleurs dans les ex républiques soviétiques.
Tout cela n’a rien de secret mais les médias restent néanmoins très discrets sur ces petites affaires à part une émission remarquable de Canal plus dans la série Lundi investigation et celles de Monsieur X le samedi sur Franc Inter. Pourtant, s’ils étaient un plus nombreux à faire preuve de curiosité au lieu de jouer les moutons de Panurge, quelques enquêtes seraient bien venues pour éclairer notre lanterne.
Avec l’ouverture des archives de la CIA, de nombreux ouvrages paraissent, on sait désormais de façon incontestable comment la CIA non seulement a fomenté les coups d’Etat en Iran en faisant assassiner le leader communiste Mossadegh, ou en 1973 au Chili contre Allende, ce qui n’a pas empêché qu’on donne le prix Nobel à Kissinger ! Le comble.
Mais il n’est pas toujours nécessaire de recourir à la force. Il est parfois beaucoup plus efficace d’influencer les médias. Il se dit d’ailleurs que Reporters sans frontières aurait bénéficié de ses soutiens financiers (2). Difficile de savoir. En revanche, ce que l’on peut constater aisément c’est que Robert Ménard prend fait et cause la cause des Etats Unis, dénonce la situation à Cuba et au Darfour ou en Tchétchénie mais reste bien discret sur l’Irak. On peut également s’étonner de le voir déployer avec une telle facilité une banderole à Olympie.
La guerre se livre là. C’est bien pour cela qu’après qu’Harry Truman en 1950 comprenant l’importance stratégique de la guerre de l’information dans la guerre froide, que Ronald Reagan a crée le NED car les néoconservateurs avaient compris que tenir les médias est fondamental. C’est pourquoi par exemple, les Américains contrôlent toutes les images sur la guerre en Irak contrairement à la guerre du Vietnam. Que n’entend -on nos braves intellectuels qui s’insurgent contre le fait que la Chine empêche les journalistes d’aller au Tibet, dénoncer les Américains ?
Il faudra revenir plus longuement sur la guerre économique, peut-être à la guerre tout court que les Etats Unis préparent contre la Chine ; l’Irak, l’Afghanistan n’étant que des étapes pour mieux l’encercler. Préparer l’opinion publique mondiale, est donc indispensable. Mobiliser les intellectuels contre la Chine est nécessaire et la cause du Tibet est bien pratique et plus simple que le Darfour pour dénoncer la Chine. Quand, en plus, cela permet de faire passer le bilan de la guerre en Irak au deuxième plan, quelle aubaine ! Une fois de plus les intellectuels de la bien pensance, -et les Français se montrent particulièrement influençables – vont tomber à bras raccourcis dans le piège qu’on leur tendait. Que certains dirigeants du PS leurs emboîtent le pas n’étonnera guère… Boycotter les jeux olympiques, voilà un programme ! On se demande d’ailleurs dans quel pays ils voudraient organiser les jeux olympiques : aux Etats-Unis ?
Le vrai problème de la Chine n’est pas le Tibet (3). Le problème de la Chine est celui de l’alliance entre un régime peu démocratique, l’absence en particulier de syndicats indépendants et le capitalisme. Ainsi, des millions de travailleurs sont exploités au profit des capitalistes chinois et occidentaux, au détriment des travailleurs chinois et occidentaux. La solidarité internationale avec les travailleurs chinois, voilà une belle cause. Vous souvenez-vous ? : Prolétaires de tous les pays : unissez vous !
C’est pourquoi dans cette affaire qui va agiter la sphère politico-médiatique jusqu’aux jeux olympiques, il me semble prudent de ne pas s’emballer. La défense des libertés démocratiques est une cause réelle qui ne doit pas être dévoyée au profit d’intérêts qui se cachent derrière ces revendications légitimes.
Gabrielle Desarbres
(1) La CIA en France 60 ans d’ingérence dans les affaires françaises. Frédéric Charpier Seuil, janvier 2008
(2) La face cachée de Reporters sans frontière, de la CIA aux faucons du Pentagone. Maxime Vivas, Thierry Deronne
(3) Voir le livre de Jean Luc Domenach « La Chine m ‘inquiète »

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